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Le Rire ou la vie, Anthologie de l’humour résistant 1940-1945, Alya Aglan (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 11.09.23 dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard)

Le Rire ou la vie, Anthologie de l’humour résistant 1940-1945, Alya Aglan, Folio, avril 2023, 304 pages, 9,20 €

Edition: Folio (Gallimard)

Le Rire ou la vie, Anthologie de l’humour résistant 1940-1945, Alya Aglan (par Didier Smal)

La création autour de la Résistance, contemporaine ou postérieure à celle-ci, est la plupart du temps placée sous le signe de la tragédie, celle d’une violence subie mais à refuser, ou, plus rarement, de l’espoir. Les auteurs, poètes, romanciers ou cinéastes, plus rarement musiciens, peintres ou sculpteurs, témoignent de l’horreur de l’Occupation ou disent leur désir que persiste le Beau dans le Laid, en témoigne en particulier la magnifique anthologie La Résistance et ses poètes (France 1940/1945) publiée par Pierre Seghers pour la première fois en 1974. Espoir : Liberté, de Paul Éluard, parachuté à des milliers d’exemplaires sur la France occupée ; tragédie et pourtant désir de vivre dignement, Je trahirai demain, de Marianne Cohn :

Je trahirai demain pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,

Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.

Moi je sais.

Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.

Vous avez aux pieds des chaussures

Avec des clous.

 

Je trahirai demain, pas aujourd’hui,

Demain.

Il me faut la nuit pour me résoudre,

Il ne faut pas moins d’une nuit

Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

 

Pour renier mes amis,

Pour abjurer le pain et le vin,

Pour trahir la vie,

Pour mourir.

 

Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

La lime est sous le carreau,

La lime n’est pas pour le barreau,

La lime n’est pas pour le bourreau,

La lime est pour mon poignet.

 

Aujourd’hui je n’ai rien à dire,

Je trahirai demain.

 

Du côté de la geste cinématographique, cela va du fulgurant L’Armée des ombres aux troublants Black book et Un héros très discret en passant par Au revoir les enfants ; quant aux romanciers, Le Silence de la mer était à la fois un récit sur une forme de résistance (« Sois correct avec eux, mais ne va pas au-delà de leurs désirs », pouvait-on lire dans le tract « Conseils à l’occupé » – cité par Frédéric Gros dans Désobéir) et un acte de résistance, publié qu’il était aux alors bien nommées Éditions de Minuit, et Gary a conclu sa carrière et sa vie sur un chef-d’œuvre, au sens de celui d’un compagnon médiéval, évoquant la Résistance en tant qu’état d’esprit, Les Cerfs-volants. Quant aux chansons, de Bella Ciao au Partisan écrit par Emmanuel d’Astier de la Vigerie entre deux coups de feu et repris par Leonard Cohen de magistrale façon, elles furent un soutien contre Hitler.

L’historienne Alya Aglan choisit de montrer un autre aspect de la Résistance, qui fut aussi un soutien contre Hitler lorsque sa botte broyait l’Europe et ses espoirs : l’humour, et en propose une anthologie qui devient l’indispensable complément, peut-être un miroir à celle de Pierre Seghers : Le Rire ou la vie. Un miroir, disions-nous, non pas déformant mais comme une sorte de boucle dans l’espace-temps où les contraires apparents deviennent jumeaux, car le rire est souvent jaune, voire grinçant, dans la présente anthologie, et l’on songe à un poème de Guillevic lu chez Seghers montrant toute l’horreur découverte par une femme après le passage de l’occupant dans sa maison, dont certains vers relèvent quasi de l’humour noir. Ce constat est naturel et attendu, puisque l’humour noir est le surgissement de l’incongru dans l’énonciation de l’insupportable – et si l’on considère certains des papillons reproduits dans Le Rire ou la vie, l’on se dit que le Franquin des Idées noires eût été un formidable résistant par l’encre – noire, l’encre, très noire.

Ces papillons, associés à des tracts, sont l’essence de l’un des treize chapitres du Rire ou la vie, qui se présente comme un catalogue raisonné des publications résistantes faisant montre d’humour, selon l’adage qui veut que « l’humour est la politesse du désespoir » (phrase dont la paternité est douteuse, mais dont la maternité est certaine : l’espèce humaine), proposant au lecteur un voyage en absurdie s’ouvrant sur « Un nouvel ordre : le règne du bizarre » et se concluant « À la Libération ». Ce voyage va à la rencontre de « Faux documents administratifs » (certains sont franchement hilarants) et autres « Chansons satiriques » (en gros, le célèbre Maréchal, nous voilà à toutes les sauces, ce qui fait sourire l’ancien étudiant habitué aux chansons de carabins et autres paillardises), et effectue un détour par des articulets publiés dans le Libération de 1941 et dressant de Pierre Laval un portrait d’autant plus décalé que cet homme était représentatif d’un esprit détestable.

Chaque chapitre est introduit par un bref texte d’introduction à la thématique contenue (ainsi, il faut bien comprendre la manie des « Enterrements anticipés », ces faire-part conviant aux funérailles d’Adolf Hitler dès 1941, promettant que « la messe de requiem sera chantée par les célèbres “macaronis” sous la conduite du maestro Benito », ou aux « Pompes funèbres générales européennes », ou ce « Testament d’Hitler » qui se conclut sur des points de suspension laissant libre cours à l’imagination ordurière que mérite « Celui qui devait être pour la Paix des Races » – probablement son humour, à lui, si l’on peut dire), texte clair et contextualisant ; Aglan est historienne mais aussi professeur, elle fait donc montre de la pédagogie nécessaire à comprendre la nature exacte des documents ici reproduits.

Parmi ceux-ci, citons in extenso un poème, anonyme et publié sur tract à Marseille en 1941, « L’An I de la Kollaboration », qui sera le contre-point à celui de Marianne Cohn cité ci-dessus et qui démontre que si l’esprit potache a pu parfois présider à l’humour résistant, il était redoublé d’un réel et redoutable talent pour le verbe :

 

Aimons et admirons le chancelier Hitler

L’éternelle Angleterre est indigne de vivre

Maudissons écrasons le peuple d’outremer

Le Nazi sur la terre sera seul à survivre

Soyons donc le soutien du Führer allemand

Des boys navigateurs finira l’odyssée

À eux seuls appartient un juste châtiment

La palme du vainqueur attend la croix gammée.

 

Pour mieux lire, couper à la césure et considérer par série de huit hémistiches : talentueux, intelligent, efficace et dénotant un bel esprit de fronde face à l’horreur de l’Occupation, à l’image des autres documents, tracts, extraits de presse, caricatures et autres chansons publiés dans Le Rire ou la vie.

 

Didier Smal

 

Alya Aglan est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Seule ou en collaboration (sans mauvais jeu de mot…), elle a aussi publié chez Folio La France à l’envers. La guerre de Vichy (1940-1945) et les deux tomes de 1937-1947 : la guerre-monde.

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A propos du rédacteur

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.