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Les Impressions des Petits Garçons, François Baillon (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 06 Novembre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles

Les Impressions des Petits Garçons, François Baillon, éd. Gaspard Nocturne, 2019, 148 pages, 17 €

Dans une langue sûre, classique, posée, précise, intuitive certes, le nouvelliste Baillon, par ailleurs poète, décape, le mot n’est pas trop fort, les clichés souvent associés à l’enfant, à l’enfance. Aucune mièvrerie ne vient contrevenir le regard que le nouvelliste pose sur cet univers qu’est « l’enfance ». L’instable domaine des enfants, plein de surprises et d’étonnements singuliers, trouve ici matière à description, à réflexion. Le scalpel délirant convient bien à notre écrivain : il faut gratter la pelure des interdits, des tabous. Et se méfier des premières « impressions » lénifiantes ; l’enfance n’est pas « ça » ! On peut « déménager » au propre, au figuré, s’enticher, faire l’affront au réel pesant. On peut, encore faut-il avoir les rênes solides, les reins combatifs ! On peut avoir un « grand-oncle », une « Amalia » de conserve, être « ce p’tit gars » : la vie est toujours au-delà de nos espaces de référence, de nos pauvres espérances. L’enfant est toujours cette exception – comme sauvée d’une police routinière, efficace, ou de parents sérieux – apte à subir les contrecoups, à les délayer dans l’espérance folle du rêve ou du déni singulier. Ces nouvelles inquiètent, ouvrent, ferment, obtempèrent, signalent, dégagent (au sens politique) ; elles sont de bon aloi infernales de vérités cachées. On en remercie l’auteur, doué, et tout aussi singulier !

La terre invisible, Hubert Mingarelli (par Philippe Leuckx)

, le Vendredi, 23 Octobre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Points

Edition: Points

 

Ce dernier roman d’un auteur trop tôt disparu, né en 1956, mort en 2020, dans le droit fil des œuvres de Mingarelli, est un superbe road-movie, dans une Allemagne, en déroute, juste après la victoire alliée.

Deux personnages, un photographe et un chauffeur militaire, jeune soldat anglais, traversent les contrées désolées pour prendre quelques clichés des populations hagardes, recluses, en bordure du Rhin, vers le nord.

Le grand intérêt des romans de Mingarelli, et ce dernier opus est une merveille de concision et de gravité retenue, est de plonger dans l’intimité des personnages, toujours resserrés dans des lieux clos ou ouverts sur des conflits et leurs retombées : c’était déjà le cas de Quatre soldats (Médicis 2003), à l’heure de la guerre civile russe de 1919. On est au plus près des antihéros, dans des relations professionnelles qui deviennent, chez l’auteur, amicales, fraternelles.

André Ughetto (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 15 Octobre 2020. , dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Poésie, Le Nouvel Athanor

André Ughetto, mai 2020, 116pages, 15 € Edition: Le Nouvel Athanor

 

Né en 1942, André Ughetto se voit proposer ici une anthologie qui traverse toute son œuvre, de 1990 à 2017, sans omettre quelques pages d’inédits.

Le rédacteur de Phoenix, la belle revue de Marseille, rejoint, dans cette collection attentive aux destins poétiques effacés, des noms tels que Guy Allix, Alain Breton, Evelyne Morin… C’est l’occasion de réécouter son écriture, entre poèmes d’une « enfance première » aux lignes récentes puisées à l’insulaire Réunion. Un lyrisme apaisé, où le végétal renoue avec les aspirations les plus profondes (« forêts qui finirez/ à l’intérieur des villes/ vous avez/ converti le ciel en azur », p.31).

L’enfant qui se souvient « avoir syllabé » quand « mes parents avaient le cheveu sombre », « rassuré par leurs fables », n’a rien perdu des dons d’émerveillement qui offre au lecteur d’aujourd’hui des plages admiratives : « Tentative pour dire Alger » emprunte les escaliers anciens du souvenir (chez Bolognini, « Per le antiche scale » ; ici « escaliers jetés sur des ravins » ou « l’assiette de la mer/ qu’on vous lance au visage » (p.51).

Passe aux cerfs dans la brume, Michel Bourçon (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 09 Octobre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Passe aux cerfs dans la brume, Michel Bourçon, Christophe Chomant Editeur, septembre 2020, 138 pages, 19 €

La mélancolie au long cours

Michel Bourçon, que je suis depuis une petite douzaine de recueils, parmi lesquels Ce peu de soi (éd. La tête à l’envers) reste l’incontournable opus, tient un journal poétique en prose de plus de deux années. Il livre patiemment ses observations, ses états d’âme, ses réflexions, poète climatique, apte à saisir « le ciel dans les moindres » mouvements, poète atmosphérique du cœur et des yeux, prélevant au réel scruté et ressenti, des pépites, en dépit de « l’effondrement du jour », et du passage du temps, lui, privé « de s’envoler ».

Le maître de l’interstice, de l’entre, du vide d’espacement, Pessoa, a dû durablement inspirer à notre ami nivernais une bonne dose de désenchantement et le pousser à un indécidable mouvement d’esprit : on hésite à vivre, on ne sait comment, on ignore tant de choses, « on frémit », c’est tout, enfouissant journée après nuit, ce réel impratique devant lequel on est juste impuissant. Une phénoménologie des instants perçus ou désirés, des départs pressentis, assure à ces textes une vibration existentielle inouïe.

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 02 Octobre 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Étrange, suivi de Onze kaddishim pour Rose, Pierre Maubé, éditions Lieux-Dits, Coll. Les Cahiers du Loup bleu, juillet 2020, 32 pages, 7 €

Dans un double mouvement, ce livre se déploie entre vie et mort, entre mal qui ronge le corps et souffrance terrible imposée brutalement à l’autre. Rose a été tuée, à 97 ans, par un terroriste dans la synagogue de Pittsburgh avec dix autres personnes, pour le seul « motif » d’être née juive : l’horreur radicale, qui remémore tous ces actes nazis et autres !

Étrange, premier volet d’une douzaine de poèmes, incise l’appréhension de la vie, de la douleur, du corps souffrant, dans le double sens du terme : prendre en compte et craindre. Le poème soulage-t-il de la dire cette douleur ressentie au plus nu ? En septains jouant de l’anaphore « étrange vie », le poète dissèque sa « douleur », « mienne » jusqu’au plus dur et incisif du mot : avec l’effort qu’il faut pour baliser la souffrance pour mieux la maîtriser, avec le « ricanement » perçu au plus profond, avec ce lot de déplaisantes manifestations du corps souffrant (vomissement, plainte, « vie maladive », ah ! cette « sœur d’abîme », sublime image d’un soi blessé au cœur de ce corps). Dans une description sans complaisance, le poète se met à la place de tout souffrant, quel qu’il soit, dont il éprouve jusqu’à l’os le malaise de vivre et la lueur qui, quoi qu’on ressente, subsiste, en dépit de tout.