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Articles taggés avec: Devaux Patrick

Dans l’attente de toi, Alexis Jenni (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 13 Septembre 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Dans l’attente de toi, L’iconoclaste, 2016, 246 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Alexis Jenni

 

Les mots échappent. Les mots ne suffisent pas à l’auteur pour dire son amour ; rien ne l’universalise convenablement.

Cette obsession ravira l’intrigue que suscite ce roman qui traverse les siècles dans l’admiration des grands peintres : « J’aime chez toi cette inflexion de la courbe de ton corps, qui donne sa forme et son élan, comme la courbure d’un arc qui donne puissance et ressort ; et je sais gré à Bonnard de me montrer cet endroit exactement, par cette tache de lumière intense qui vibre au centre de ce tableau ».

En psychologie, s’il s’agissait de suggérer une personne à travers une autre, on appellerait cela un « transfert ». Ici, c’est l’idée même de l’abstraction de l’Amour qui est « transférée » dans quelques œuvres d’Art certes bien choisies et certainement pas au hasard : « Ce sont des figures, rondes et molles mais dentées, qui aboient à la base d’un crucifix où pend quelque chose d’encore vivant ». C’est de cette façon qu’Alexis Jenni ramène dans son sujet la référence au grandiose Francis Bacon, le peintre des extraordinaires « portraits du pape Innocent X » d’après celui peint par Velasquez.

Et aussi les arbres, Isabelle Bonat-Luciani

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Roman, Carnets du dessert de lune

Et aussi les arbres, mai 2018, 76 pages, 13 € . Ecrivain(s): Isabelle Bonat-Luciani Edition: Carnets du dessert de lune

 

Tous les sens de l’auteur sont en éveil à écouter, entendre, distinguer, ressentir à fleur de souvenir jusqu’au trouble qui mêle le haut et le bas, la cime et la racine de l’être, la sève de vivre : « Le ciel a débarrassé le plancher. Il est dans ma tête. Au fin fond. Toujours ça revient ». Les mots sont « tagués » les uns aux autres « pour tenir loin des désordres. Pour tenir loin des solitudes ».

Souvenir d’un premier amour ? Certes. Mais sans « Il était une fois » parce que l’évènement tourne en boucle.

Avec un ton faussement anodin, des choses importantes sont dites, toujours avec cette façon un peu explicative, voire professorale : « Parfois elle lui disait que pour aimer il valait mieux ne jamais rien savoir ».

Avec retours sur l’adolescence, l’image des parents, de la mère plus particulièrement, du corps qui se modifie, la vie en évolution parle à travers le temps qui se souvient de façon obsessionnelle : « Les gens marchent mais c’est dans ton image qui fissure le sol » ou encore : « Lorsque j’approche de ton absence, il y a ce toi bien trop immobile pour regarder ».

Les tulipes du Japon, Isabelle Bielecki

Ecrit par Patrick Devaux , le Mercredi, 15 Août 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Les tulipes du Japon, éditions M.E.O., février 2018, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Isabelle Bielecki

 

Si les clichés ont la vie dure, Isabelle Bielecki casse les codes avec Les tulipes du Japon.

Le livre, presque scindé en deux romans distincts, reprend le thème de l’amour sur les lieux de travail, d’une part, et le combat très hiérarchisé d’une femme déterminée vers un poste non convoité mais bien revendiqué de plein droit avec autant de difficulté que de détermination : « Et moi ? Quels seront mon titre, ma fonction, mon travail ? a-t-elle failli hurler. Mais Elisabeth s’est souvenu des conseils de tous ceux auxquels elle s’était confiée : ne rien demander, laisser venir, qu’ils prennent l’initiative. S’ils veulent te virer ? Qu’ils le disent ! Et cette possibilité-là, que chaque jour une lettre de licenciement allait tomber dans sa boîte aux lettres s’était si bien incrustée au cœur de ses nuits blanches qu’elle n’a rien dit ».

On retrouve le fait accompli, valable pour bon nombre d’entreprises, de placer la performance de l’employée dans une situation limite activant le processus de productivité, la difficulté supplémentaire étant, pour Elisabeth, de se faire à la culture et la langue japonaises sans compter un univers de compétitivité masculine se manifestant d’une façon propre et bien féminine d’une autre : « Liliane avait des comptes à régler. Les autres la regardaient en ricanant. Les hommes étaient moins durs ».

Le périmètre de vie, Alexandre Millon

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 09 Juillet 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le périmètre de vie, éd. Murmure des soirs, mai 2018, 132 pages, 15 € . Ecrivain(s): Alexandre Millon

 

« Parler de la vie dans le deuil plutôt que le deuil dans la vie » nous dit Alexandre Millon dans ce « périmètre de vie » qui ressemble à une circonférence puisque les angles de vie de la disparue oscillent dans sa mémoire en continu.

Comment renaître à travers le manque ? Si le sujet est universel, les façons de l’aborder sont multiples et je songe à cette belle phrase d’Yves Montand, questionné après la disparition de Simone Signoret : « On ne refait pas sa vie, on la continue ».

Combien de temps Thomas est-il donc resté ce « veuf sous anesthésie » ? Quitter le lieu du manque sera la première étape pour « faire un deuil » que Thomas, écrivain, pense en mots désincarnés, en mots vrais plutôt qu’en formules utilisées à ne rien dire.

On ne « fait pas son deuil » comme on fait ses courses.

Cueillette matinale, Martine Rouhart

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 29 Juin 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Cueillette matinale, éditions Demdel, mai 2018, 67 pages, 10 € . Ecrivain(s): Martine Rouhart

 

La multi romancière, notamment récemment de La Solitude des étoiles(éd. Murmure des soirs), se jette à corps perdu dans une tendre poésie avec une profondeur que ne laisse pas soupçonner le titre.

Martine pratique la discrétion comme un oiseau le vol.

Son instinct va au-delà du poème, au-delà d’une cage aux ailes grandes ouvertes comme elle ouvre ses bras : « s’évader de toutes les cages, s’attaquer au vide », nous dit-elle. Cette attitude m’a fait penser à celle de Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississipi, un film de François Truffaut de 1969 où l’héroïne attend avec une cage à oiseaux sur un quai portuaire… La cage et l’oiseau : la liberté et son contraire… dans un même mouvement… l’important étant le moment où quelque chose ou quelqu’un intervient au niveau de l’ouverture, au niveau de l’échappatoire…

Son coup d’essai poétique est derechef un coup de maître : éloquence mesurée des mots, simplicité ouverte à des poésies suggérées davantage qu’écrites. Cela rend son secret intérieur encore mieux lumineux et participatif : « c’est l’heure du voyage muet au fond de soi/ l’heure de retrouver les absents ».