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Les tulipes du Japon, Isabelle Bielecki

Ecrit par Patrick Devaux 15.08.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Les tulipes du Japon, éditions M.E.O., février 2018, 240 pages, 18 €

Ecrivain(s): Isabelle Bielecki

Les tulipes du Japon, Isabelle Bielecki

 

Si les clichés ont la vie dure, Isabelle Bielecki casse les codes avec Les tulipes du Japon.

Le livre, presque scindé en deux romans distincts, reprend le thème de l’amour sur les lieux de travail, d’une part, et le combat très hiérarchisé d’une femme déterminée vers un poste non convoité mais bien revendiqué de plein droit avec autant de difficulté que de détermination : « Et moi ? Quels seront mon titre, ma fonction, mon travail ? a-t-elle failli hurler. Mais Elisabeth s’est souvenu des conseils de tous ceux auxquels elle s’était confiée : ne rien demander, laisser venir, qu’ils prennent l’initiative. S’ils veulent te virer ? Qu’ils le disent ! Et cette possibilité-là, que chaque jour une lettre de licenciement allait tomber dans sa boîte aux lettres s’était si bien incrustée au cœur de ses nuits blanches qu’elle n’a rien dit ».

On retrouve le fait accompli, valable pour bon nombre d’entreprises, de placer la performance de l’employée dans une situation limite activant le processus de productivité, la difficulté supplémentaire étant, pour Elisabeth, de se faire à la culture et la langue japonaises sans compter un univers de compétitivité masculine se manifestant d’une façon propre et bien féminine d’une autre : « Liliane avait des comptes à régler. Les autres la regardaient en ricanant. Les hommes étaient moins durs ».

L’auteur, dans cette démarche à examiner les caractères, approfondit son processus d’analyse psychologique en rappel de la propre histoire d’Elisabeth, les parents étant évoqués à maintes reprises.

C’est valable également pour l’histoire d’amour vrai et très physique qui se joue avec un homme d’une culture différente aux sensibilités inattendues qui vont chez elle susciter un violent et agréable processus de jouissance.

Mais la réciprocité joue-t-elle et jusqu’à quel point ? N’y a-t-il pas parfois tentation de mimétisme à vouloir se comparer ? : « La bouche collée au téléphone, la voix chaude d’Irène, entrecoupée de rires provocants, badine avec une conquête masculine à l’autre bout du fil. Y aurait-il un nouvel élu pour dégrafer cette robe ? se demande Elisabeth en poursuivant vers la kitchenette se préparer un nouveau café ».

Jusqu’où y a-t-il compensation à vouloir se démarquer du milieu professionnel contraignant activant une sexualité permettant une sorte d’activité physique à l’instar d’un jogging réparateur à l’heure de table ?

Sortie du contexte professionnel, Elisabeth se sert, en effet, également, de la moindre parcelle de nature pour « souffler ». L’auteur redevient alors la poète confirmée : « Elle s’élance sur le trottoir blanc de lumière. Arrivée en haut de la rue Potaerdenberg, elle poursuit sa course dans le parc, le long du gazon coupé la veille. Le parfum de l’herbe, rafraîchie par la rosée du matin, flotte encore dans l’air. Libre ! ».

Neurones aux aguets, Elisabeth est à l’affût de la moindre observation, notamment des couples et plus particulièrement, alors, de l’attitude de la femme par rapport à l’homme et, dans ce cas, avec une certaine prédominance assez féministe, souvent de bon aloi.

La symbiose de tout ce petit monde en quête de bonheur est résumée dans le titre bien choisi où un vase à tulipes se fera objet rétinien indélébile rappelant l’instant d’un vif moment de bonheur amoureux.

Fine connaisseuse de l’ambiance japonaise assez éloignée des clichés du Fuji-Yama, l’auteur nous convainc d’un Japon entreprenant, poli mais sans concession avec quelques séquences tout aussi délicieuses qu’étonnantes. Je resterai marqué par une scène assez violente où le flegme et la zen attitude sont franchement mis à mal, Elisabeth étant confrontée à la réalité de ce monde des entreprises qui reste très peu régulé du point de vue humain et où chacun, à sa manière, tente une éclipse pour rester ou encore devenir davantage libre après avoir surmonté des situations pénalisantes pour la santé, « le plus dur étant de rester normale avec ses autres interlocuteurs. Pareille à celle qu’elle a toujours été, pressée mais efficace avec ses clients, à leur image, de vrais samouraïs, impeccables de la tête aux pieds, superbement maîtres de leurs sentiments. Jusqu’à la mort. Comme à la guerre, dont la dernière contre les Russes en 1939 ».

Presqu’un roman-essai au style direct, aux dialogues vrais, aux ressentis agissant directement sur la peau du lecteur, le tout dans un style impeccable que ne renie pas la poésie qui équilibre cette belle thérapie des sentiments.

 

Patrick Devaux

 

 

 

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A propos de l'écrivain

Isabelle Bielecki

 

Née à Passau le 03/05/1947 

Poète, romancière et dramaturge, Isabelle Bielecki est née en Allemagne de père russe et de mère polonaise. Sa famille, d'abord réfugiée, obtient la naturalisation belge en 1963. Elle fait ses études à l'Institut Marie Haps, où elle obtient une licence en traduction, puis suit les cours d'art dramatique à l'Académie d'Uccle. Le déracinement, la création et la folie sont des thèmes importants dans son oeuvre. Outre le français, elle parle couramment le russe, l'anglais et le néerlandais. Depuis plus de vingt-cinq ans elle travaille dans une compagnie d'assurance japonaise.

A propos du rédacteur

Patrick Devaux

 

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Patrick Devaux est né en Belgique sur la frontière avec la France, habite Rixensart, auteur d’une trentaine d’ouvrages auprès d’éditeurs divers en poésie, quelques prix d’édition, 3 romans parus dont 2 aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune; 2 recueils de poésie récents (2016 et 2017) parus aux éditions Le Coudrier ; membre de l’AEB (association des écrivains Belges) et de l’AREAW (association royale des écrivains et artistes de Wallonie), il a aussi de nombreux contacts en France ; il anime une rubrique « mes lectures » sur le site de la revue Vocatif www.moniqueannemarta.fr de Nice depuis 2013 et fréquente de près ou de loin les écrivains du groupe de l’Ecritoire d’Estieugues de Cours la Ville  et de l’association LITTERALES de Brest ; publie aussi dans diverses revues de poésie. Fréquente aussi les réseaux sociaux, faisant ainsi connaitre la poésie d’auteurs moins connus ou disparus.