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Cadavres en sursis, Philip Mechanicus

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 02 Mai 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Récits

Cadavres en sursis, éd. Notes de Nuit, avril 2016, trad. néerlandais Daniel Cunin, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Philip Mechanicus

 

Entre journal intime et mémoire collective, Cadavres en sursis restera une œuvre capitale sur les camps de la mort. Refusant une attitude passive face à la vie, l’auteur lutta jusqu’au bout, porté et emporté par elle en refusant l’issue qui était pourtant inéluctable. Il fit de la mort des autres en prélude à la sienne le moyen de témoigner en pleine connaissance d’un processus tragique dont il montra tout ce qu’il avait de répugnant. Et c’est un euphémisme.

A l’origine le camp de Westerbork était sensé héberger des réfugiés juifs allemands. Après l’invasion de la Hollande par les Nazis, le camp passa sous leur administration. Dès ce moment il devint le corridor (à diverses strates) pour « transvaser » (écrit Mechanicus) les juifs hollandais de leur pays d’origine vers camps de Pologne. Sous couvert officiel d’« émigration », les juifs furent donc portés de toute la Hollande via Westerbork vers le massacre de masse jusqu’à la fin de 1944.

Chronique des sentiments, tome I, Alexander Kluge

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Langue allemande, Récits, P.O.L

Chronique des sentiments, tome I, traduit de l'allemand mars 2016, 1116 pages, 30 € . Ecrivain(s): Alexander Kluge Edition: P.O.L

 

Alexander Kluge fut l’élève d’Adorno avant de devenir avocat. Son maître philosophe estima qu’il lui serait impossible d’être écrivain et juriste. Il envoie le futur auteur mis d’abord sous tutelle, auprès de Fritz Lang. Adorno estimait que le cinéma lui passerait l’envie de littérature. Il fut l’assistant de Fritz Lang sur Le Tombeau hindou avant de commencer sa propre carrière. Auprès du maître – si maltraité en Allemagne – il apprend « ce qu’est un génie et comment on détruit son travail ».

Plus tard Alexander Kluge est un des signataires du Manifeste d’Oberhausen qui réforme le cinéma allemand et réinvente les outils de production. Il a réalisé de nombreux courts métrages et documentaires et dix longs métrages : Nouvelles de l’idéologie antique, Le complexe d’Allemagne, Fruits de la confiance. Néanmoins Kluge ne renonce pas à l’écriture même s’il a d’abord fait du cinéma, mais dit-il « comme on écrit des livres ». Quant à ces derniers, il les a créés – selon la formule de Peter Weiss – « avec les moyens de cinéma ».

La Méguila d’Esther, Gérard Garouste

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 24 Mars 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Hermann

La Méguila d’Esther, février 2016, 128 pages, 30 € . Ecrivain(s): Gérard Garouste Edition: Hermann

 

C'est aujourd'hui la fête juive de Pourim qui célèbre Esther, épouse du roi Assuérus.

 

Gérard Garouste dans les « pas » d’Esther

Quoique « canonisé » avec retard peut-être parce qu’il relevait davantage du genre romanesque que de genre historique, le livre d’Esther fait néanmoins partie du patrimoine historique du peuple juif. Qu’importe si les Sages du Talmud l’ont d’abord considéré comme hétérodoxe. L’œuvre est singulière sous son apparence profane : elle fait exception dans la conception du lien entre Dieu et les hommes. Les prières n’existent pas dans ce livre mais uniquement des manifestations qui lui sont associées : « Mardochée déchira ses vêtements, se couvrit d’une silice et de cendres ». Tout au long du récit s’affiche une confiance déterminée dans le salut du peuple juif enraciné dans les textes plus anciens. La Providence est distillée tout au long du récit et c’est elle qui retient Garouste. Comprenant que la situation du secret est de l’ordre de l’exil de la Face le peintre cherche à exhumer le caché, à accorder une rédemption à la trace enfouie dans les ténèbres.

Pendant que les mulots s’envolent, Corinne Valton

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 15 Mars 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Paul & Mike

Pendant que les mulots s’envolent, janvier 2016, 190 pages, 13 € . Ecrivain(s): Corinne Valton Edition: Paul & Mike

 

Sutures et reprises

Corinne Valton est une styliste particulière. Elle concrétise ce qu’écrit Bernard Noël : « C’est en défaisant qu’on fait ». Ses nouvelles cependant offrent moins des déconstructions que des transformations du monde à travers ses nouvelles souvent drôles. Les personnages sont parfois reliés d’un texte à l’autre selon divers rapports par accrocs, jointures, coutures. En ce sens l’auteur lutte contre la ressemblance à « façon » (pour parler couture) et par voie de conséquence contre nos constructions mentales.

Les nouvelles sont faites de cambrures et de spasmes. Les personnages sortent des limbes du quotidien pour devenir chimères propres à d’extraordinaires voyages entre le dehors et le dedans. En dépit de la présence du monde contemporain les textes n’en représentent pas le simple miroir mais saisissent ce qui fait du réel un marécage afin d’en faire saillir des envols particuliers.

Idées fixes, Patrick Sirot

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 08 Mars 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Idées fixes, éd. Chez Higgins, coll. Carnets d’artiste, Montreuil, 2016

 

Eric Higgins ouvre de manière magistrale sa nouvelle collection de carnets d’artiste et sa nouvelle aventure réalisée avec Marie Bolton. En édition limitée enrichie d’une œuvre originale de chaque créateur, cette collection permet de faire découvrir les dessous des œuvres d’artistes qui ne se laissent pas détrousser facilement. Patrick Sirot le prouve.

Dans ces dessins l’être devient un monstre presque invertébré et parfois une sorte de larve dont les soupentes sont des garde-manger étranges. L’artiste (et poète) fait passer du paroxysme de l’idéal à un abîme. Il aiguillonne autant l’absurde que le critique du monde par ses germinations plastiques. Elles ouvrent des perspectives que nous voulons souvent ignorer.

Les dessins, par leur trace, leur « odeur », créent des hantises en des situations qui placent l’être dans ses miasmes. Patrick Sirot transforme l’homme en pantin. Et Topor ne renierait pas de telles œuvres. Comme les siennes, ici, le graphisme remplace le travail du deuil et de la mélancolie par celui du comique et de la drôlerie. Les situations qui pourtant ne prêtent pas à rire. Et c’est un euphémisme.