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Articles taggés avec: Gavard-Perret Jean-Paul

L’enfant aux cerises, Jean-Louis Baudry

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Samedi, 26 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, Essais, L'Atelier Contemporain

L’enfant aux cerises, novembre 2016, préface et photographies Alain Fleischer, 174 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Baudry Edition: L'Atelier Contemporain

 

Le mouvement du livre de Baudry est un faux mouvement. Certes, il débute par deux textes intimes réussis où le sémiologue évoque comment enfant il est devenu « addict » aux images. S’enchaînent ensuite d’autres articles simplement repris et choisis par le théoricien. Il égraine ses goûts artistiques et prouve qu’avec le temps il s’oriente vers un bel art, celui qui s’intègre aux grands systèmes historiques d’appropriation dont l’ancien iconoclaste est devenu un gardien des temples.

Tous les textes montrent une homogénéisation d’un art qui devient la solution imagée et imaginaire des contradictions. Le livre représente le signe de réappropriation des maîtres-penseurs dans un moule dont ils assurent l’hypostase à la fois rationnalisante et spiritualisante. Au refoulement patent du sexuel répond une propension politique. Baudry fait preuve d’un sentiment de propriétaire sur la « chose » artistique. Dans la persistance d’un « je » imperator se déploient des morceaux choisis qui sont les « points de l’esprit » chers à Breton et qui font de chaque option de l’auteur une projection icarienne dans un lieu mental hors contradiction.

Hieronymus, moi, Jérôme Bosch, Frédéric Grolleau

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 14 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

Hieronymus, moi, Jérôme Bosch, Les Editions du Littéraire, Bibliothèque de Babel, novembre 2016, 292 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Frédéric Grolleau

 

500 ans après sa mort et à son « corps » défendant, Jérôme Bosch sacrifie pour notre plaisir et notre connaissance à l’autofiction. Frédéric Grolleau le fait parler en un journal intime enrichi de différents documents. Apparaissent les Riches Heures d’un peintre majeur pour lequel l’occultisme devint le ferment d’une esthétique où sont repoussées les dimensions « classiques » du bien et du mal, de la beauté et de la laideur, du multiple et de l’un.

Au service de son sujet, Grolleau va plus loin philosophiquement et littérairement que dans ses biopics de Nicolas Rey et de Tintin en ce qui tient d’une anaphore. Elle ouvre le monde loin de ses attendus en vue d’atteindre une infinitude que peu de peintres ont su toucher d’aussi près. Existe dans l’œuvre de Bosch beaucoup d’atmosphère, beaucoup de souffle souterrain, de « mêmeté » et de beauté moniste. Mais perdurent autant d’altérité et de beauté et laideur convulsives.

Échange longue distance, Thomas Kling

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 10 Novembre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Échange longue distance, éd. Unes, octobre 2016, trad. allemand Aurélien Galateau, 104 pages, 20 € . Ecrivain(s): Thomas Kling

 

Thomas Kling est autant un poète « sonore » qu’un philosophe rebelle à tout effet. Il est un des rares créateurs capables d’émettre une poésie du langage et de l’Histoire dignes de ce nom. Il pourrait donc se situer autant dans la lignée de Jean-Pierre Faye (et de ce que fut la revue « Change ») et de John Cage.

L’auteur prouve comment s’inscrit à travers l’Histoire et ses documents des lignes de tensions (souvent oubliées sous des prétextes plus ou moins fallacieux) et quelque chose d’essentiel du côté de l’altérité. Rien n’est caché dans un univers esthétique puissant. Il y eut les nazis, les staliniens, les glorieux hommes du commun, les camps de la mort mais aussi « Le Bleu du Ciel » dans l’esprit de Bataille.

Le retour se fait par la guerre, le pouvoir de tuer, et signe l’avènement de l’état « gnômateux » qui annonce un devenir en forme de néant. Mais pas seulement. Certes l’auteur rappelle que le monde est une obscurité qui se meut en tous sens. Et la langue lui emboîte le pas. C’est elle qu’il conteste du moins en ses états passifs. Il sait que c’est par la langue poétique – et sans masquer ses références – que le politique et le monde se pensent.

Gestuaire, Sylvie Kandé

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 04 Novembre 2016. , dans La Une Livres, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Gestuaire, octobre 2016, 112 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Sylvie Kandé Edition: Gallimard

 

A l’inverse de son long poème en prose Lagon, Lagunes (Gallimard, 2000), très marqué par le lyrisme à la Césaire, Gestuaire se dégage de toute pesanteur culturelle. Une charge d’inconnu est exposée à l’arrachement – qui se dessine à travers l’incantation, le soliloque poétique qui affirme et nie à la fois. On en retient le souffle coupé qui pourtant garde la force d’expirer l’énigme là où la nuit tente de tout recouvrir.

L’écriture illustre d’ailleurs cette lutte, comme s’il s’agissait là d’un geste désespéré accolé à sa résistance dans ce qui tient du mouvement qui déplace insensiblement des terres vierges vers le paradoxal désert occidental du présent. Sylvie Kandé fait éclater les masques du « je » pour qu’il s’affirme à l’aune d’un passé et de ses peaux dont elle arrache la fixité, l’opacité de leur règne énigmatique.

Le dedans se fraye une issue – sans propension autobiographique si ce n’est de manière allusive – à travers les fissures d’une litanie qui de reprises en reprises s’incruste dans la chair et rebondit sur la peau en de longues vibrations de lumière, comme si le dedans laissait monter la trace et l’ajour d’une existence prisonnière et l’éclat diffracté de son immense évasion qui d’une certaine façon n’a jamais pu se faire.

Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Pierre Guyotat

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Samedi, 29 Octobre 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Gallimard

Par la main dans les Enfers, Joyeux animaux de la misère II, Hors série Littérature, octobre 2016, 432 pages, 24 € . Ecrivain(s): Pierre Guyotat Edition: Gallimard

 

Le cycle Joyeux animaux de la misère est présenté par son auteur comme « des jactances ». Et Guyotat de préciser : « La jactance est la manifestation de celle ou celui qui veut prendre la place de l’autre ». Ce procédé permet à l’auteur une forme de détente puisqu’il n’est plus lui-même mais un autre. Néanmoins la tension revient vite étant donné la radicalité du propos. Et il faut à l’auteur, par instants, retrouver « sa » propre langue. D’où l’effet labyrinthique d’une telle fiction.

Tout est écrit dans le besoin d’écrire des sortes de répliques rapides créatrices d’une rythmique où les mots même courants se trouvent « ré-annexés » selon un propos sans doute insupportable pour un lectorat classique. Guyotat ose en effet l’excès non seulement de la langue mais de ce qu’elle crée. Et l’auteur de se « justifier » (si besoin était) : « Une grande œuvre, c’est effectivement une œuvre où il y a plutôt plus de choses que moins de choses. Il faut qu’il y ait de la musique dans la musique ».