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Articles taggés avec: Gavard-Perret Jean-Paul

Francis Picabia, Catherine Hug, Anne Umland, Hatje Kantz

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 19 Août 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Arts, Recensions

 

Un printemps aux aguets

Selon Picabia « Les cubistes voulurent couvrir Dada de neige : ça vous étonne mais c’est ainsi, ils veulent vider la neige de leur pipe pour recouvrir Dada ». Le tout parce que le mouvement né à Zurich leur empêchait de pratiquer leur odieux commerce. Et soudain la peinture tourne et se détourne des « chiures de mouches ». A qui en réclame, il vaut mieux proposer des reproductions ou des autographes.

Picabia fut donc détesté et s’en satisfaisait. Mais son œuvre tient : elle ne date pas. Plutôt que de « cuber les tableaux des primitifs, et les sculptures nègres, cuber les violons, les guitares, les journaux illustrés, la merde », l’artiste a semblé cultiver le rien. Il est devenu un tout que les toutous du Surréalisme ont largement annexé à leur profit.

Son art reste vivant et dégagé des « huîtres sérieuses » aimées par snobisme. Celui qui se refusait à être sérieux et qui considérait « le seul mot qui ne soit pas éphémère, est le mot mort » a fait de son œuvre un voyage dans la vie.

Et tout s’effondre Journal du camp de Vught, Klaartje de Zwarte-Walvisch

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Samedi, 09 Juillet 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits

Et tout s’effondre Journal du camp de Vught, Klaartje de Zwarte-Walvisch, traduit du néerlandais par Mireille Cohendy, Editions Notes de nuit, juin 2016, 182 pages, 18 € . Ecrivain(s): Klaartje de Zwarte-Walvisch

 

Klaartje de Zwarte-Walvisch est une sorte d’Anne Franck. Comme elle, elle vécut à Amsterdam et fut condamnée à mort par la barbarie nazie. D’elle, il ne reste rien ou presque. Juste quelques photographies et surtout son journal. La couturière néerlandaise qui ne s’était pas fait enregistrer en tant que juive comme la loi l’exigeait, et qui commit l’erreur de ne pas entrer en clandestinité, fut arrêtée avec son mari en mars 1943 : elle mourut à Sobibor en Pologne.

Son journal part du jour de son arrestation jusqu’à celui où elle quitte la Hollande pour la Pologne. L’auteur y décrit la vie au camp de Vught où seront détenus 12000 juifs. Ce sont d’abord les enfants du camp qui partent à Sobibor. Klaartje de Zwarte-Walvisch décrit – entre autres – cet événement qui fait trembler d’effroi tout le camp : « Nous ne pouvions le concevoir. S’est-il jamais passé une chose pareille dans le monde ? Qu’est-ce que cela signifiait ? ». L’auteur n’a pas d’illusion sur la réponse.

Il y a poésie, Mathias Lair

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 04 Juillet 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie

Il y a poésie, éd. Isabelle Sauvage, 2016, 164 pages, 17 € . Ecrivain(s): Mathias Lair

 

Le livre de Mathias Lair peut se prendre comme une suite de « Lettres au jeune poète ». Au plus vieux aussi. L’auteur y propose son Ars Poetica par sauts et gambades plus que par tyrannie du logos. Et comme l’on dit, « ça dépote ». De manière jouissive et judicieuse. Le prétexte de caresser une forme poétique ne suffit pas à se prétendre poète. La connivence est remplacée par la distance nécessaire ente la réalité et le fantasme de l’écriture. La « tutoyer » impose un trouble double que même la seule expertise ou diagnostic autocritique ne suffit pas à établir.

Au premier rang des risques ou « incestes » (comme le dit Lair) inhérent au genre : l’idéalisme de supposés illuminateurs qui se prennent pour ses gourous (et parfois ses lacangourous). Ils réduisent à une théosophie de plus. D’autant que se cache souvent « sous » le prétendu poète un psychotique : il ne souffre pas (à l’inverse d’un Beckett) de ne pas être né, mais de n’avoir pas été « identifié ». L’objectif sera de faire savoir à la terre entière son état d’« inséparation » mais n’est pas Artaud qui veut. De cette maladie infantile surgit un totalitarisme, un besoin dérisoire de toute-puissance qui « puise à nos racines premières ».

Cindy Sherman, Eva Respini, Collection Catalogues d’exposition Hazan, Paris

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 14 Juin 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts

 

Cindy Sherman, jusqu’au 11 juin 2016, Metro Pictures, New-York

 

Cindy Sherman : les surannées

Après cinq ans de retrait, Cindy Sherman fait un retour sur un « terrain » a priori inattendu ? Celle qui disait il y a quelques années « Le passé ne passe plus dans mes œuvres, elles sont créées contre lui pour des extases négatives », l’artiste crée l’équivoque. Un doute apparaît sur ses fondamentaux. Celle qui refusait que le corps de la femme soit une machine à fabriquer du fantasme ou d’écrin semble changer de cap.

Mais qu’on se rassure : l’artiste pastiche l’univers du portrait tel qu’il fut décliné au cinéma de l’entre deux-guerres et en particulier du cinéma muet. L’artiste rameute les « climax » et les ambiances du genre en éloignant tout artifice par l’artifice lui-même. Au moment où elle semble jaillir, l’activité mimétique de la photographie capote. Et comme dans le Portrait ovale de Poe, si la vie semble passer intégralement de la réalité à l’art, les deux sont laissés pour « morts ».

Le Mort, Pascale de Trazegnies

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 10 Mai 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Le Mort, éd. Weyrich, Coll. Plumes du Coq, février 2016, Préface de Michel Host, 13 € . Ecrivain(s): Pascale de Trazegnies

Il arrive que des fictions soient des lettres d’amour qui ne s’écrivent pas. Et il existe dans ce cas quelque chose d’unique, d’autant qu’il s’agit là d’un amour filial contrarié. De son père comme de sa mère, Lou l’héroïne aura connu la cendre plus que les flammes. C’est pourquoi il existe chez Pascale de Trazegnies du Bettina Rheims et du Catherine Millet mais surtout du Bataille – auquel le titre de son roman (mais pas seulement) fait irrémédiablement penser. La comédie humaine tourne au-delà du drame. Le père qui vient de mourir n’a jamais été présent pour sa fille. D’où lors de cette mort – et le retour en amont qu’elle entraîne – la dérive finale dans (et entre autres) le stupre et la fornication comme ultime parade ou danse macabre. Cela fait penser à La Notte d’Antonioni et La Ronde de Max Ophüls. Le roman échappe à la simple narration pour atteindre une fonction supérieure. Ce n’est en rien une enluminure mais un envoi avec forcément fin de non recevoir par le principal intéressé.

Le roman crée un cairn avec ses pierres rapportées du passé et de la douleur. Il s’arrache à la procédure personnelle (expéditeur-receveur) pour atteindre une portée générale : beaucoup pourront se reconnaître dans une telle histoire sans suivre pour autant le « délire » terminal de l’héroïne.