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Dans la solitude inachevée, Marc Dugardin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 11 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dans la solitude inachevée, Marc Dugardin, éditions Rougerie, avril 2023, 80 pages, 13 €

 

Tout poète est une sorte de Pythie lucide et prudente. Pythie parce qu’il constate une espèce de « dictée des mots » en lui, dont – dit Marc Dugardin – il se sent « tributaire », puisque sa propre expression prend en route ce quelque chose qui parlait déjà en lui. Mais lucide, parce qu’il sait bien que ce discours intérieur n’est peut-être qu’un bavardage inspiré, une révélation pour rire, au mieux un rêve un peu tenace. Et prudent parce que, même si une musique verbale s’amorce et s’avance en lui avec ferveur, il n’est pas bon de se laisser tout dire : si écrire ne servait pas la vie, ou même (par diversion, ou imposture) la trahissait, pourquoi lancer encore au large sa petite bouteille de mots, l’espérant un jour recueillie (comme dit Paul Celan) sur la « plage d’un cœur » lointain ?

Par le titre de son recueil, le poète belge Marc Dugardin (76 ans) répond ceci à son lecteur : parce que deux solitudes valent mieux qu’une, si et quand, du moins, aucune ne prétend achever (enclore, accomplir, faire cesser) l’autre.

La Dernière Amitié de Rainer Maria Rilke, suivi des lettres à Nimet Eloui Bey et Les derniers mois de Rilke, par Genia Tchernosvitow, Edmond Jaloux (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Avril 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La Dernière Amitié de Rainer Maria Rilke, suivi des lettres à Nimet Eloui Bey et Les derniers mois de Rilke, par Genia Tchernosvitow, Edmond Jaloux, Arfuyen, mars 2023, 132 pages, 15 €

La courte 4ème de couverture résume parfaitement les circonstances et l’objet de ce livre :

« Dans les premiers jours de septembre 1926, à l’hôtel Savoy de Lausanne, Rilke fait la connaissance de Nimet Eloui Bey. Son père, Achmed-Khaïri Pacha, a été premier chambellan du sultan d’Égypte Hussein Kamal. Sa haute stature et son élégance naturelle attirent sur elle tous les regards. Mais plus encore, ce qui la rend fascinante, c’est la terrible lucidité et l’inquiétude spirituelle qu’on sent en elle ».

La présence de Nimet Eloui Bey illuminera les derniers mois de Rilke. « Tout à la fin de septembre, raconte sa dernière secrétaire, une amie, dont il disait qu’elle était la femme la plus belle du monde, était montée de Lausanne le voir dans sa tour. Il avait tenu à cueillir lui-même des roses de son jardin pour en mettre partout dans “sa” maison ». Il s’égratigna sur une épine et sa santé se dégrada subitement. Rilke mourut de leucémie trois mois plus tard, le 29 décembre 1926.

Le Livre des Laudes, précédé de Requiem, Patrizia Valduga (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 14 Avril 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen, Poésie

Le Livre des Laudes, précédé de Requiem, Patrizia Valduga, Arfuyen, février 2023, trad. italien, Christian Travaux, 240 pages, 18,50 €

 

Une poète, à 38 ans, (1991), perd son père ; puis (2004), à 51, son compagnon (le célèbre poète Giovanni Raboni). Elle est déjà célèbre ; elle écrit des choses osées, instruites, maîtrisées. Osées (brillamment sensuelles, utilement scandaleuses) ; instruites (elle cite et traduit Proust, Shakespeare, Valéry, John Donne, Molière…) ; maîtrisées (elle aime s’exprimer en formes fixes de la tradition poétique : elle y puise de quoi évoquer inlassablement – dans de rituelles redites – ce qui ne peut se laisser penser pas même une fois ; et mendier aux Muses, ou aux anges, initiatives remédiatrices et interventions gracieuses, pour ce qu’on n’a pu accomplir pas même une fois). Et soudain, à l’occasion de l’un et l’autre deuil, correspondant aux deux ensembles poétiques ici réunis, la voici qui, improbablement, spectaculairement, et comme farouchement, supplie, régresse et s’humilie :

Elle regrette par exemple d’avoir écrit des poèmes érotiques, non qu’elle en soit honteuse, mais elle craint d’y avoir été inauthentique (d’avoir mis en scène ce que son expérience de la chair réelle n’aurait pu personnellement suivre, ni relayer).

Laisser être et rendre puissant, Tristan Garcia (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 05 Avril 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Laisser être et rendre puissant, Tristan Garcia, PUF, Coll. Métaphysiques, février 2023, 570 pages, 29 €

 

C’est un – encore assez jeune – homme génial (parce qu’avec humour et sincérité dépassé par sa propre puissance de pensée) et sympathique (parce que touchant, et voulant partout justesse) ; il intrigue, parce que sa capacité de vérité avance sans cesse, radicale sur les « lignes de front », nuancée dès qu’on respire en paix ; il désarçonne, parce qu’il ne défend aucune forme de vie définie (il nous donne juste de quoi s’arranger mieux, plus brillamment, plus distinctement, avec la nôtre) : le seul devoir qu’il consent à nous donner est de rassembler nos moyens de le comprendre. Il ne fait le siège de rien, il ne défend non plus aucune forteresse : il veut juste « réfléchir au coup d’après, ouvrir une brèche de possibilité » (L’architecture du possible, p.105). Il n’aime que rendre possibles de nouveaux élans de sens, les rendre disponibles, loisibles à un effort de vérité (les aménager pour ceux qui voudraient bien reprendre son effort de compréhension), et ne combat que les ennemis du possible, ceux qui abusent des effets contraires (inévitables) de ce qui rend possible, les aggravant au lieu de les adoucir. Lui, simplement, part en « éclaireur » des futures niches de vie sensée et de pensée heureuse, des nids à venir de fidélité (scrupuleuse et partageable) au possible.

Nous nous attendons, précédé de Iris, c’est votre bleu, Ariane Dreyfus (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 29 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Nous nous attendons, précédé de Iris, c’est votre bleu, Ariane Dreyfus, Poésie/Gallimard, février 2023, 272 pages, 9,10 €

 

Attention, cette lyrique n’a pas peur du mal :

 

« Parfois une histoire comme un caillou

Tombe, j’en ramasse une :

“Du lait mauvais”

Cette toute petite fille ne ment pas.

Elle parle comme elle l’a vécu : “Du lait mauvais”.

Un homme empoignait son sexe pour lui ouvrir la bouche avec.

Est-ce qu’il y a une pitié dans le langage ?… (p.93)