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Le Message réisophique, Laurent Albarracin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Juin 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Essais, Arfuyen

Le Message réisophique, Laurent Albarracin - Arfuyen, 112 pages, mai 2025, 14 €

 

"Les poissons sont pisciformes parce qu'ils naissent d'eux-mêmes : ils grossissent peu à peu puis s'étirent jusqu'à se détacher d'eux au point de rupture de la queue, dans une sorte d'allongement abrégé dont ils sont l'histoire. Tout se passe comme si le poisson traversait un miroir - ou simplement la surface d'une eau claire - et que cette traversée lui donnait sa forme. La lente apparition-disparition du poisson est le poisson" (§ 234)

 

"Réisophie", étymologiquement, c'est la sagesse des choses. Et le Réisophe est celui qui s'y rend attentif. Parce qu'il sent qu'un contact bien compris avec les choses pourrait être leçon suffisante d'existence.

Personne dis-tu, Marc Dugardin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 03 Juin 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Personne dis-tu, Marc Dugardin préface de Anouk Delcourt, Rougerie, avril 2025, 64 p. 12 €

 

Marc Dugardin (né en 1946) est un poète (belge) discret et juste ; le poète des présences délicates et des (expressives et merveilleuses) lacunes de la vie. Par exemple, aux étoiles (belles, mais lointaines et figées), il préfère les nuages, et peut, d'une formule, en dire tout : "flottants/ indéterminés/ précis comme les trous/ d'un rêve dans la mémoire" (Table simple, p.64), et, s'ils passent et se dissipent, ils le font penser à ces autres passants - les humains, qui, eux, ont un regard, et, au contraire des nuages, savent qu'ils passent et que nous passons, et sont, eux, nos vrais "miroirs", que nous négligeons. Dugardin est un poète de la présence (parfois terrible) des autres, et de l'absence (parfois sublime) du sens : on comprend mal, parfois, ses formules elliptiques, mais ce qu'il saisit du monde nous saisit aussitôt ! Quand il parle de "la mer/ violemment/ en paix avec elle-même", on ne sait pas trop où on est, mais on y est directement.

Tonnerres de Bresk, Bruno Krebs (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 29 Avril 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Bandes Dessinées

Tonnerres de Bresk, Bruno Krebs, L’Atelier Contemporain, avril 2025, 832 p. 28 €

« Si tendre enfance, n’en garde évidemment aucune trace. Ma mère m’a conté l’épisode un jour, très naïvement. J’avais six mois, tout au plus. Au pied du manoir où je suis né, il y avait une grève. Avec mon père, on avait pris place dans cette pirogue – capitaine au long cours, mon oncle l’avait ramenée d’Afrique. Ma mère me tenait dans ses bras, quand la pirogue sur une vague esquissant menue embardée, elle m’aurait lâché. À cet âge-là, on ne flotte pas : j’ai plongé comme une pierre. Mon père avait heureusement des réflexes, le bras long et la poigne solide. Il m’a ramené sain et sauf – juste ébahi, me confia ma mère en gloussant. Lui-même n’en a conservé aucun souvenir. Quant à moi, si j’ai toujours à la fois béni, aimé et respecté les vagues, mère si maladroite lui ai toujours voué légitime défiance » (p.161).

Cet extraordinaire livre est au moins trois choses : d’abord (et comme son titre l’indique) c’est un unanime et perpétuel juron. Voilà ce qu’analyse surtout ce qui suit. Mais c’est aussi une immense foire aux revenants, comme on n’en avait jamais visitée ou ne l’avait crue possible. Enfin, c’est une universelle irrésistible déploration, un maelström d’inventives apocalypses – mais qui serait avec cela impeccable et joyeuse caravane de recettes d’existence de justesse (le genre de joie qu’on éprouve à miraculeusement survivre à l’enfer qu’on ne cesse de déclencher !).

Choix de poèmes, James Sacré (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 11 Avril 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Choix de poèmes, James Sacré, Éditions Unes, mars 2025, 128 pages, 10,40 €

 

Avec cette anthologie personnelle, le grand écrivain (né en 1939) que l’on sait se rend utile. Par ce choix chronologique, en effet, sobrement établi (110 pages) dans son œuvre immense, James Sacré fait mieux que nous parler : il se parle publiquement (et nous l’écoutons ainsi directement, nous avons comme part aux « gestes intérieurs d’écriture qui poussent en avant la masse des mots de (ses) poèmes », p.69). Ce serait alors ici le bienvenu autoportrait continué de sa vocation, s’il était assuré d’elle, mais non : si un monde natif l’avait enveloppé autrement (l’étage d’une petite épicerie plutôt qu’une ferme vendéenne – changeant ainsi du tout au tout son « étonnement fondamental »), il aurait été (écrit-il, p.51) un tout autre inspiré, et, peut-être même, tout autre chose qu’inspiré. Et la contingence de sa postérité lui semble bien valoir celle de sa source (« Une ritournelle anodine/ Hé, poème ! qu’elle disait, ho !/ Vaine parole humaine/ Dans l’informe bruit du temps », p.100).

Naissances buissonnières, Martine Lucchesi (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 03 Avril 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Naissances buissonnières, Martine Lucchesi, Editions du Retour, février 2025, 138 pages, 18 €

 

L’auteur, de milieu modeste, a neuf ans, en 1962, quand elle quitte, avec sa mère – dans la débâcle que l’on sait – l’Algérie (son père, partant plus tard, les laissera sans nouvelles dix-huit mois). Elle connaît depuis plusieurs années la guerre urbaine ; a eu, seule entre ses parents dissociés, toutes les terreurs et angoisses que son âge peut y ajouter ; la voici sur un pont de navire (d’Oran à Marseille) ouvrant à un militaire menaçant, à la place de sa mère apeurée, interdite, la malle – qui leur servait de siège – qu’il voulait contrôler, en… se chargeant soudain elle-même de la remise des clés, leur récupération, le retour au calme. Son corps en un instant « désenfanté », elle devient (et restera) – improvisant initiative, sang-froid et responsabilité –, sa propre mère. Elle saura désormais lancer les gestes de ce qui l’attend, et trouver les mots de ce qu’elle voit : elle ne conservera rien de sa première vie (« Egorgé après notre départ d’Algérie, le déménageur chargé d’expédier nos affaires a souvent alimenté mes cauchemars », p.26), et, de sa vie suivante, seulement les livres (qui ont été son passé vierge, sauf, impersonnel, réfractaire à l’Histoire, inexilable).