Identification

Articles taggés avec: Saha Mustapha

L’Etuve existentialiste du Tabou - Juliette Greco, le dernier témoin… (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Mercredi, 14 Octobre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Soirée dans l’atmosphère feutrée du Café Laurent, ancien refuge du mythique club de jazz Le Tabou. La contrebasse et le piano soutiennent moderato cantabile des swings roucoulés d’une voix éteinte. De vieux couples américains, affalés sur bas fauteuils, gesticulent romantiquement la cadence des standards familiers. Réminiscence d’une parenthèse historique. L’existentialisme dans la cave enfumée fermente, de jazz se suralimente, de phénoménologie s’argumente, de pataphysique se pimente, de libertinage s’assermente. Boris Vian, ensorceleur de la sulfureuse bacchanale, de son impertinente trompinette attise la flamme. Dans le train-train de la vie quotidienne, Boris Vian tire le signal de vacarme, et le train-train stoppe en pleine campagne, en plein ailleurs, en plein Paris » (Jacques Prévert). Anne-Marie Cazalis et Juliette Greco de leur pétillante insolence assurent la réclame. Raymond Queneau dans le tintamarre se déclame. Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Maurice Merleau-Ponty, Albert Camus… dans les vapeurs s’apostrophent et s’acclament. Artistes, poètes, philosophes, potaches et mirliflores s’amalgament. Le cauchemar de la guerre dans le rêve éveillé se volatilise. La liberté retrouvée dans la fête sans entraves se réalise.

Eloge de Leïla Menchari (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 14 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

La décoratrice Leïla Menchari s’est éteinte le 4 avril 2020, victime de la monstrueuse hécatombe. Les vitrines flamboyantes d’Hermès, œuvres d’art incomparables, l’immortalisent. L’artiste est née le 27 septembre 1927 dans une famille tunisienne émancipée, d’un père avocat francophile et d’une mère féministe pionnière. Pendant son adolescence elle rencontre, à Hammamet, Violet et Jean Henson, amateurs d’art et mécènes, qui l’invitent dans leur villa plantée d’arbres fruitiers, de plantes aromatiques, de fleurs odorantes. Elle découvre les couleurs pulsatiles, les senteurs subtiles, les émotions tactiles. Elle côtoie les prestigieux invités, Luchino Visconti, Man Ray, Jean Cocteau…

« Mon premier voyage a commencé au pied de deux escaliers de pierre. C’était un endroit extraordinaire sentant le citron et le jasmin, un jardin à la fois anarchique et construit, une jungle folle avec des paons, des daturas énormes, une longue allée et un bassin sur lequel flottaient des nénuphars bleus. Je n’avais jamais vu de fleur poussant dans l’eau. Je suis entrée dans la rareté par ce chemin-là… C’est dans ce jardin, à l’écoute de ces esthètes, que j’ai compris ce qui déterminerait ma vie, la beauté et la liberté » (Leïla Menchari).

Le poète italien Mario Benedetti foudroyé par le Covid-19 (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Mardi, 05 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

J’apprends la mort, le vendredi 27 mars 2020, du poète italien Mario Benedetti à l’âge de soixante-quatre ans. Le Covid-19 l’a emporté comme un souffle de vent. La disparition de ce poète majeur passe sous silence dans la presse française, pour la plus terrible des raisons, par ignorance. Un éditeur, contaminé par le néolibéralisme, m’écrivait récemment : « La poésie n’entre pas dans les lois du marché ». Les éditeurs métropolitains ont refusé, jusqu’à présent, de publier des traductions. J’écris cet hommage, patchwork de résurgences, comme une urgence. Un écrivain d’une rare humilité, sur lequel les sollicitations médiatiques n’avaient aucune prise. Se distillent les réminiscences, les évanescences, les nitescences. La maladie, inséparable compagne depuis l’enfance. La douleur. La lenteur. La douleur ne se dit pas. Elle ruisselle. Naufrage de la mémoire avant qu’elle ne se constitue en barque. Isis se perpétue dans la figure de la mère. « La pierre s’enfonce sans la corde autour du cou / Affleurent en cercles les mots sur ses lèvres / Mais peu importe, peu importe / Quelques voyelles, le long du visage blanc / Et noire de cheveux sa lumière / Blottie sur elle-même, Effondrée sur le côté. / Derrière toi, et devant, et au-delà, il n’y a rien » (Mario Benedetti, Pitture nere su carta (Peintures noires sur papier), éditions Mondadori, Milan, 2009). Regarder la dernière cigale. Se réfugier dans les monosyllabes et se dissoudre dans les intervalles.

Psychopathologie sociale du confinement (2) (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 30 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

21. L’universitaire Niklas Luhmann était fonctionnaire au début de sa carrière. C’est ainsi qu’il a pris conscience des disfonctionnements endémiques du système. Il s’est, dès lors, donné comme mission de façonner des curations palliatives, neutralisatrices des initiatives citoyennes. La vie sociale ne réduit pas aux mécanismes performatifs du système légal, ne se contente pas de replâtrages réformistes. L’hermétisme luhmannien recèle, en vérité, une redoutable stratégie technocratique de robotisation sociétale. Sa métathéorie enchevêtre les problématiques conceptuelles pour dissoudre la complexité des résistances réelles.

22. Le filtrage des initiatives émanant de la base, libérées de leur gangue étouffante par l’émergence de la révolution numérique, se profile ainsi comme ultime recours d’un ordre hiérarchique en survie, qui ne retient de la submersion télématique que les récupérations mercantiles et les combinaisons logarithmiques de contrôle. La communication est envisagée, dans cette perspective, comme interface abrogative de la pensée libre. L’intelligence critique est considérée comme une contingence parasitaire. Le sens de l’existence n’est, dans cette logique, qu’un moment éphémère où une possibilité programmatique s’actualise, se concrétise, et planifie les virtualités successives.

Psychopathologie sociale du confinement (1) (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 23 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

Psychopathologie sociale du confinement

1. Le concert d’applaudissements de quelques voisins en hommage aux infirmières mobilisées en première ligne contre le coronavirus, m’arrache, comme chaque soir à vingt heures, à ma lecture. Rare opportunité de se faire un signe de la main, à travers les fenêtres, entre otages du confinement. Je revisite, pour un nombre de fois que je n’ai pas compté, L’Être et le néant (1943) de Jean-Paul Sartre : « L’histoire d’une vie, quelle qu’elle soit, est l’histoire d’un échec. Le coefficient d’adversité des choses est tel qu’il faut des années de patience pour obtenir le plus infime résultat… Il faudrait nous comparer à un condamné à mort qui se prépare bravement au dernier supplice, qui met tous ses soins à faire belle figure sur l’échafaud et qui, entre temps, est enlevé par une épidémie de grippe espagnole… ». Et pourtant, « On peut toujours faire quelque chose de ce qu’on a fait de nous ». Ecrire par exemple, raconter l’épreuve endurée, la transfigurer en création. Les bonnes références apportent, en période de désolation, des jouissances intellectuelles nouvelles, des interrogations vivifiantes, des réflexions tonifiantes. Et s’il ne fallait garder qu’un seul ouvrage pour traverser la crise sanitaire, à supposer qu’on en sorte indemne, ce serait La Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321), incomparable psyché de la condition malheureuse. Le virus est l’enfer, le confinement le purgatoire.