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Essais

Le Titanic fera naufrage, Pierre Bayard

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Jeudi, 12 Janvier 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit

Le Titanic fera naufrage, octobre 2016, 176 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Pierre Bayard Edition: Les éditions de Minuit

 

Dans quelle mesure les écrivains et les artistes bénéficient-ils d’un talent particulier qui leur permettrait de prévoir l’avenir et de le retranscrire dans leurs écrits ou productions artistiques ?

La thèse de l’ouvrage de Pierre Bayard s’inscrit dans cette problématique que l’on peut caractériser d’intégrationniste (c’est-à-dire qui envisage des relations possibles entre le monde réel et le monde créé par la fiction), en se situant entre deux avis opposés, celui des coïncidences que défend Gérald Bronner, plutôt ségrégationniste en ce qu’il ne perçoit pas de relation de causalité entre les écrits fictionnels et les événements réels, et celui de la précognition, que soutient Bertrand Méheust, et duquel Bayard se rapproche.

Contrairement à Cassandre, à qui « les dieux avaient donné […] le don de prophétie, en la privant de la capacité d’être entendue », le pouvoir prédictif des écrivains a un impact politique fort, dans la mesure où il permet aux hommes sinon de modifier l’avenir, du moins de mieux s’y préparer.

Éloge de l’érection, suivi de Lycaon, apologie du désir, Barbara Polla, Dimitris Dimitriadis

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 09 Janvier 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Éloge de l’érection, suivi de Lycaon, apologie du désir, Dimitris Dimitriadis, Le Bord de l’Eau, Coll. La Muette, novembre 2016, trad. Michel Volkovitch, 160 pages, 20 € . Ecrivain(s): Barbara Polla

Barbara Polla propose à travers l’œuvre de Dimitris Dimitriadis une apologie d’un gai savoir. La figure du phallus y est moins totem que source de vie et initiatrice de toutes les créations et plus précisément autour d’une scène : la Grèce qui n’est plus seulement antique. L’érection est envisagée ici comme le contraire de la dépression. Elle est un état intérieur général de création. Les Grecs l’ont prouvé jadis et, écrit Dimitriadis, « ils y parviendront encore, j’en suis persuadé, dans la situation actuelle ».

Comme l’être, toute société abattue se relève et s’érige par l’engagement dans la pensée, la culture, la politique et l’art. Et Dimitriadis de préciser encore : « Tout acte créateur est par conséquent fondamentalement politique ». Mais pas seulement : pour preuve l’écologie architecturale. Le « construire haut » n’a rien d’une aberration écologique : elle est le seul espoir d’un développement durable. Manhattan est un modèle en termes de surface et d’énergie consommée. Et plus généralement, tout art est érection d’un point de vue non pas « créateur » mais « instaurateur » de ce qui érige, de ce qui s’érige.

Défense de Lady Chatterley, D.H. Lawrence

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 06 Janvier 2017. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions de la Différence

Défense de Lady Chatterley, juillet 2016, trad. anglais Jacques Benoist-Méchin, 144 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): D. H. Lawrence Edition: Editions de la Différence

 

Sur ce site même, le roman le plus célèbre de David Herbert Lawrence (1885-1930), Lady Chatterley, se voit accoler l’adjectif « sulfureux » ; or, s’il est bien un roman qui ne sent pas le soufre, c’est celui-là. Il sent la rosée, il sent la branchille écartée sur un chemin, il sent l’herbe pliant sous le corps, il sent le soleil sur la peau, il sent la sueur bénie des amoureux, il sent la pluie nettoyant le monde de sa médiocrité, il sent tout ce qui fait que l’on vit, que l’on bouge, que l’on ressent – que l’on est humain. Mais non, il ne sent pas le soufre. Par contre, on peut aisément imaginer que pour nombre de lecteurs mal à l’aise avec l’idée que l’amour est un doux écartèlement entre le plus haut spirituel et le plus bas terrien, pour ceux que rebute l’idée qu’aimer est plus qu’un verbe facile à utiliser, qu’on sort comme un mouchoir en cas de besoin puis qu’on range après usage, en veillant à bien le nettoyer et le repasser avant sa prochaine sortie pavlovienne, pour ces gens tristes, oui, ce roman doit sentir le soufre : celui, tout mouillé, des allumettes sentimentales qu’ils grattent péniblement en espérant allumer un feu qui les effraierait, voire les anéantirait par sa virulence si seulement il illuminait leur vie. Que ces gens retournent aux romans de Delly et Barbara Cartland, et foutent la paix aux vrais livres d’amour, que d’ailleurs ils ne lisent que du bout des yeux, pour se vernir la culture.

Bottins proustiens, Michel Erman

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 12 Décembre 2016. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon

Bottins proustiens, septembre 2016, 240 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Michel Erman Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Deux dictionnaires – celui des personnages, celui des lieux – composent cet essai, écrit par un spécialiste proustien, de l’Université de Bourgogne. Comme le rappelle avec sagacité Erman, la Recherche, selon Georges Poulet, « s’affirme comme une recherche, non seulement du temps, mais de l’espace perdu » (p.132).

Le catalogue des personnages proustiens tient, il est vrai, du bottin. Aux principaux s’ajoutent tous les seconds couteaux d’un univers aristocratique et bourgeois. Albertine, la mère, Charlus, la Verdurin, Swann, Saint-Loup, Morel, Gilberte, la duchesse de Guermantes, Françoise, occupent avec la tante Léonie et Odette de Crécy le premier plan d’une œuvre de trois mille pages, qui fourmille de personnages, parfois très secondaires. C’est la richesse de la Recherche que d’offrir un tel tableau d’époque. Proust réussit par le dialogue à individualiser chaque être et le langage révèle caste et appartenance. Les comtes, les marquis abondent, puisque le Côté de Guermantes – celui du Faubourg Saint-Germain – est le fief des anciennes aristocraties, qui logent encore dans des hôtels particuliers (aussi peut-on lire Rohan ou Noailles ou Grammont sous les patronymes proustiens inventés, quoique Guermantes soit une municipalité bien réelle d’Ile de France).

Kronos, Witold Gombrowicz

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 08 Décembre 2016. , dans Essais, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Pays de l'Est, Stock

Kronos, septembre 2016, trad. polonais Malgorzata Smorag-Goldberg (Notes Rita Gombrowicz et la traductrice, Introduction Rita Gombrowicz, Préface Yann Moix), 380 pages, 24 € . Ecrivain(s): Witold Gombrowicz Edition: Stock

 

Le moi-écrivant dans le temps

« Je n’écris rien », W. Gombrowicz

« C’est la vie à l’œuvre », Yann Moix

 

Dieu sait si nous avons aimé, rendu à ses mystères et lumières, à ses apparents paradoxes, à ses provocations légitimées dans une pensée loin portée, l’œuvre romanesque (Ferdydurke, Trans-Atlantique, La Pornographie, Le Mariage, Cosmos) et théâtrale (Yvonne, princesse de Bourgogne) de l’écrivain Witold Gombrowicz, et combien les pages de son Journal, marquées par l’esprit toujours en éveil, soupçonneux des trucages et faux-semblants littéraires, chargées d’observations aiguës, d’analyses inattendues, nous ont retenu. Pour ces raisons, les pages rétro-introspectives qui nous sont données avec ce Kronos, qui ne diminuent en rien notre admiration, nous surprennent cependant. Qu’en retenir ? Qu’y cerner ?