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Suivre Jésus et faire du business, Une petite société tribale dans la mondialisation, Maurice Godelier

Ecrit par Martine L. Petauton 29.06.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Thierry Marchaisse

Suivre Jésus et faire du business, Une petite société tribale dans la mondialisation, avril 2017, 160 pages, 17,90 €

Ecrivain(s): Maurice Godelier Edition: Thierry Marchaisse

Suivre Jésus et faire du business, Une petite société tribale dans la mondialisation, Maurice Godelier

Maurice Godelier est un de nos plus éminents ethnologues-anthropologues, et Thierry Marchaisse, un éditeur toujours à l’affût de belles pépites. Là, cela accouche d’un bonheur de lecture, certes, mais tellement davantage…

Le titre – peut-être un peu trop accrocheur – aurait pu simplement s’abriter sous « La métamorphose » si cela n’était déjà préempté. Parce qu’il y va en si peu de pages, si denses, de quelque chose au croisement des itinéraires de l’homme, groupes et individus, de la mondialisation en marche – pas moins ! – du monde d’avant qui résiste et ne meurt pas complètement, ce qui nous rassure pour la fin de notre âge, de nous tous, spectateurs de ces changements-là, et nous regardant forcément en miroir – car que serait un livre sans son impact sur nous. Il y va surtout d’un formidable hommage à une discipline, de pensée et de vie, à moins que le contraire, pas assez connue, ou tellement en surface : l’ethnologie, l’anthropologie. Juste un livre en fait pour nous chambouler – quota d’émotionnel garanti – et nous faire ressortir de ce voyage de découvertes – avec ces Baruya, petit peuple minuscule, immense tribu, et leur ethnologue – riches, et mieux armés pour la suite de tous nos chemins, ce qui n’est pas si fréquent en lectures.

Les Baruya sont une petite tribu de Nouvelle Guinée, installée de tous temps en altitude dans deux hautes vallées que dominent de puissantes montagnes. Découverts en 1951, par une expédition militaire australienne puis ayant connu l’indépendance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975. La tribu est définie comme « un ensemble de parentés, qui revendiquent et défendent en commun un même territoire et pratiquent l’échange des femmes ». Il est donc question d’un ordre social sophistiqué – tiens donc chez ces sauvages ! – avec des lignages, des obligations, interdictions, moments de passages d’un âge à un autre – les rituels d’initiation aux plumes noires du casoar – des solidarités, des visions de l’égalité ou du contraire, ici, chez les Baruya, un ordre social fondé sur la domination des femmes par les hommes, orchestré autour du « secret des hommes » que ne doivent jamais connaître les femmes. Une métaphore, une légende porteuse que tout le genre humain, des mythologies antiques à celle des Dogons d’Afrique, a peu ou prou en sa besace : la vie donnée par la femme, le vagin-flûtes sacrées et les arcs capables par le gibier chassé d’ôter la vie ; l’autre récit, celui des mâles, et le soleil-père, le sperme et le vol par les hommes des objets magiques et de leurs pouvoirs chez les femmes… mythologie riche – tiens donc, chez ces supposés frustes. Car cet ensemble d’informations, précises et imagées, racontées superbement par Maurice Godelier, a un premier et fort effet : celui de redresser nos représentations sur les micro sociétés tribales, à coups de « tiens donc ! », mérite à l’évidence, sans jamais nous assommer du mépris ou de la suffisance des tenants de la haute science, d’éclairer le travail de l’ethnologue – Godelier et ses collègues, sur une longue période – quasi un demi-siècle fait de séjours (on dit « faire du terrain ») d’observations, de vie au milieu des Baruya.

L’évolution – même infime – les bouleversements considérables et, que nous, nous aurions vécu comme séismiques, sont relevés, surtout dans les dernières décennies, et s’organisent autour de la Christianisation – ce qui est le fait de chapelles protestantes dont le rapport aux affaires et à l’argent n’est pas sans signification, et dans l’entrée – plus que progressive et complexe – dans « notre monde », avec l’agriculture de marché (le café, notamment), la scolarisation (même celle de quelques filles). L’ethnologue lui aussi a suivi le mouvement du monde en adoptant l’ordinateur et surtout la caméra et l’appareil photo (quelques lignes font bien la différence entre leur utilisation et leur intérêt sur le terrain). Mais – tiens donc ! – la surprise est totale en voyant l’un des Baruya filmer lui-même et se perfectionner par un stage en Europe… L’homme serait-il universellement intelligent et adaptable ? nous fait sourire notre ethnologue.

C’est bien de cela dont il s’agit au bout de ce petit livre plus que passionnant : cibler l’humain dans son universel, et Maurice Godelier de dédier son ouvrage à « Koumeineu et Ouroumiannac, mes amis et collègues de travail ».

 

Martine L Petauton

 


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A propos de l'écrivain

Maurice Godelier

 

Maurice Godelier directeur d’études à l’EHESS, médaille d’or du CNRS, prix de l’académie française, est un des plus grands anthropologues vivants.

 

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)