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Critiques

Pendant que les mulots s’envolent, Corinne Valton

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 15 Mars 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Paul & Mike

Pendant que les mulots s’envolent, janvier 2016, 190 pages, 13 € . Ecrivain(s): Corinne Valton Edition: Paul & Mike

 

Sutures et reprises

Corinne Valton est une styliste particulière. Elle concrétise ce qu’écrit Bernard Noël : « C’est en défaisant qu’on fait ». Ses nouvelles cependant offrent moins des déconstructions que des transformations du monde à travers ses nouvelles souvent drôles. Les personnages sont parfois reliés d’un texte à l’autre selon divers rapports par accrocs, jointures, coutures. En ce sens l’auteur lutte contre la ressemblance à « façon » (pour parler couture) et par voie de conséquence contre nos constructions mentales.

Les nouvelles sont faites de cambrures et de spasmes. Les personnages sortent des limbes du quotidien pour devenir chimères propres à d’extraordinaires voyages entre le dehors et le dedans. En dépit de la présence du monde contemporain les textes n’en représentent pas le simple miroir mais saisissent ce qui fait du réel un marécage afin d’en faire saillir des envols particuliers.

Schlott, Eléona Uhl

Ecrit par Zoe Tisset , le Mardi, 15 Mars 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Héloïse D'Ormesson

Schlott, janvier 2016, 159 pages, 14 € . Ecrivain(s): Eléona Uhl Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Etre dans la tête et le corps d’une femme éprise de deux vies. Deux mondes parallèles qui se croisent et s’entremêlent sans que jamais l’une abolisse vraiment l’autre. Deux personnalités d’un même bloc qui s’énoncent et se racontent au supposé médecin et psychiatre. « Moi, je subis vos pressions ainsi que vos ennuyeuses interrogations, celles qui, de toute manière, ne vous mèneront à rien. A rien de bien ». Comprendre, essayer d’atteindre et de sentir comme celle qui a perdu la surface plane et unifiée du monde réel.

Dans ce roman, nous sommes tourmentés par deux consciences et deux âmes qui s’approchent, se flairent et se reniflent, sans parvenir à s’apprivoiser et à se réconcilier. « Comment j’avais vu tout ça ? Depuis l’extérieur, et planquée derrière mon arbre en fleur (…). Je n’avais qu’elle en tête, la belle demoiselle. Vous avez raison, très cher, j’étais obsédée par cette femme qui, contrairement à moi, était dévergondée et lumineuse à la fois ». Peu à peu, de l’observation de l’autre on passe à une véritable obsession, puis à une possession traversée de scarifications, le corps ne s’appartient plus. Qui est qui ? Mélange d’humanité et d’animalité comme ce félin devenu Bernadette ou Mme Schlott. « Ces monstres me plaquèrent au sol sans aucune pitié, blessant mes poignets, ficelant mes chevilles (…) Un miaulement jaillit de je ne sais où et décolla, pareil à un féroce rugissement. Je venais de miauler ».

L’Amour, Marguerite Duras

Ecrit par France Burghelle Rey , le Lundi, 14 Mars 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

L’Amour, 144 pages, 6,50 € . Ecrivain(s): Marguerite Duras Edition: Folio (Gallimard)

 

Duras ou l’émotion poétique

Marguerite Duras, dès les premières lignes de L’Amour, par l’économie des moyens, suggère du regard le plus pénétrant, observe ses personnages, leurs mouvements, le paysage dans lequel ils évoluent. Cette simplicité induit une émotion nourrie du dépouillement des êtres devant l’absurde, la même émotion que l’on ressent en lisant de la poésie sauf qu’ici ce n’est pas de la poésie.

« Jour » : une soudaine lumière en un seul mot comme un choc pour le lecteur qui se laisse porter. On entre alors dans autre chose. Même si l’histoire semble banale – mais il est vrai qu’on avance sans vraiment comprendre dans un mystère et un monde nouveaux – Duras ménage presque à chaque page des surprises avec ses flashes inattendus. Mais elle en dit plus qu’elle n’en a l’air. De la femme « pâle » chaque lecteur dégage ce qu’il sent : la maladie, la solitude qui ne sont pas dites, comme s’il y avait absence de vie intérieure. Les yeux « s’ouvrent douloureusement », plus loin le geste de la femme est « d’une tendresse désespérée ». Mais que valent ces hypallages par rapport à une poétique qui est ici celle du corps ? Les mots « crient », « dévorent », « sang », continuent à faire choc comme le mot « enfant » qui contrastent inhabituellement avec « bonheur ».

La Vie rêvée, Antonia Pozzi

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Mars 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Italie, Arfuyen

La Vie rêvée, trad. Thierry Gillyboeuf, 2016, 20 € . Ecrivain(s): Antonia Pozzi Edition: Arfuyen

 

La mort, les fleurs, l’amour, la montagne

 

Ascolta :

come sono vicine le campane !

Vedi : i pioppi, nel viale, si protendono

per abbracciarne il suono. Ogni rintocco

è una carezza fonda, un vellutato

manto di pace, sceso dalla notte

ad avvolger la casa e la mia vita.

Ecoute :

comme les cloches sont proches !

Envoyée Spéciale, Jean Echenoz (2ème critique)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Lundi, 14 Mars 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Les éditions de Minuit

Envoyée spéciale, janvier 2016, 320 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Jean Echenoz Edition: Les éditions de Minuit

 

Le texte subtil de Jean Echenoz nous invite à suivre les péripéties de Constance, jeune et belle Parisienne désœuvrée qui est sélectionnée, sans son consentement, pour une mission en Corée du Nord, en passant par la Creuse. Autour de son personnage, plutôt passif tout au long du roman, viennent se greffer une multitude de destins qui entrent en convergence, par une voie ou par une autre, à la manière d’un écheveau dont le lecteur doit démêler les fils ou d’une enquête fantaisiste qu’il doit mener à bien.

Il s’agit là en effet d’une parodie de roman d’espionnage – où raison d’Etats et vies privées, dans toutes leurs petitesses, interfèrent, où les héros sont mus par un sens du devoir tout aléatoire et personnel. Pour parfaire l’ensemble, l’auteur accompagne son lecteur en parsemant son roman de métalepses discursives, irruptions en nous ou en on dans le récit, pour en donner les clés à un lecteur étourdi ou distrait, ou pour faire des apartés, des parenthèses argumentatives : « C’est maintenant sur le mari de Constance que nous allons nous pencher, si vous le voulez bien » ; « On se demande à ce propos ce qu’ils deviennent chez Pall Mall, à part Tausk il y a bien longtemps qu’on n’a plus vu quelqu’un fumer ça ».