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Critiques

Les obus jouaient à pigeon vole, Raphaël Jerusalmy

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman

Les obus jouaient à pigeon vole, éd. Bruno Doucey, février 2016, 177 pages, 15,50 € . Ecrivain(s): Raphaël Jérusalmy

 

C’est une magnifique mise en pages des dernières vingt-quatre heures d’Apollinaire au front, avant l’impact de l’éclat d’obus. Apollinaire qui s’engage pour voir l’autre côté, être sur le fil du rasoir, à la fois dans sa peau de poète et voir comment rejaillit sur la poésie la tension absurde de la guerre. Voir s’il est possible de la rendre utile, dans le sens où l’on dit : à quelque chose, malheur est bon.

Tout engranger, tout accepter, ne rien rejeter, ne pas s’exposer plus, mais non plus pas moins que ses hommes, qui l’ont surnommé « Cointreau-Whisky », plus facile à retenir, plus camarade. Apollinaire est celui qui les écoute, qui les entend en tant (en temps) qu’homme, pas en tant que supérieur. Même si lui reçoit lettres et revues d’art, il reste proche d’eux, ils l’enrichissent, enrichissent sa pensée, sa langue, entremêlant ses mots à lui, les leurs et la façon de les dire, de les accorder, d’en faire des acolytes.

Apollinaire n’est pas entre deux, mais de plain pied dans les deux mondes : à Paris et sur le front, à la guerre et en poésie. Il cueille en passant les éclats de vers et les éclats d’obus, sans rendre la guerre inoffensive mais en l’apprêtant, pour mieux la désarmer.

Rouge écarlate, Jacques Bablon

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Lundi, 11 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, Roman, Jigal

Rouge écarlate, février 2016, 192 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Jacques Bablon Edition: Jigal

 

« Joseph Salkov est moins vif qu’avant, mais il bande encore dru. Au réveil. Mais c’est surtout le soir qu’on baise. Pas comme son envie de tuer qui se pointe sans prévenir. Cette nuit, il a flingué Elvis. Du sang sur les mains. En rêve. Le King est mort. En vrai, il ferait bien la peau à qui ? »

Point de départ du roman. Ce phrasé haché, syncopé, elliptique, accompagnera le lecteur par séquences jusqu’au point final du roman. Un soupçon de parfum de James Ellroy, côté style, du Bablon pur jus, côté histoire.

Joseph tuerait bien le type d’en face, Marcus, qui a écrasé avec sa voiture son jeune chien, puis la femme de celui-ci, Rosy, qui a la malencontreuse idée d’être sa maîtresse et de ne plus le faire bander, à moins qu’il ne s’attaque à leur gamin, Angelo, qui perd toujours son ballon de football dans son jardin. Salma, fille de Joseph, court après quoi le long de routes où l’on fait pousser des fraises et que vient faire La Callas dans sa vie, surtout une nuit où l’on tente de la violer ? Et si tout ceci n’était qu’une grande histoire de famille de frappadingues, de sentiments étouffés par trop de déveines, de peurs de vivre et de peurs d’aimer ?

FrICTIONS, Pablo Martín Sánchez

Ecrit par Marc Ossorguine , le Lundi, 11 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Espagne, Nouvelles, La Contre Allée

FrICTIONS, février 2016, trad. espagnol Jean-Marie Saint-Lu (FrICCIONES, 2011), 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Pablo Martín Sánchez Edition: La Contre Allée

 

Les humains sont épris d’ordre. Les humains passent le plus souvent leur temps – quoi qu’ils en disent ou pensent par ailleurs – à mettre le monde et les choses en ordre, à les ranger, les classer, les catégoriser… à les nommer et les renommer sans cesse. Le langage lui-même n’est-il pas autre chose qu’une activité de classement, de mise en ordre des sons qui font des signes ou des mots, que l’on arrange pour faire des phrases ? Je ne sais plus quel linguiste ou sémiologue disait que c’est de la combinaison que naît le sens. Que se passe-t-il alors quand vient le désordre ? Quand les mots n’obéissent plus aux phrases ? Quand les événements brouillent les récits, quand les idées et les images vagabondent sans avoir cure du sujet ou du thème ? C’est une des choses que nous fait explorer et expérimenter Pablo Martín Sánchez, en bon OuLiPien et dans un certain désordre.

Ces FrICTIONS, le titre nous le suggère avec un ironique surlignage, semblent jaillir à l’endroit où la fiction et la réalité se frottent l’une à l’autre. Une vague rigueur philosophique nous pousserait même à dire que ces divers textes – qu’il ne faut pas forcément prendre pour des récits ou des nouvelles au sens habituel des termes (pour ceux qui se targuent de causer littérature) – ont été engendrés par les contacts frictionnels, les frotti-frotta entre le réel et la fiction.

Passion arabe, Gilles Kepel

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Samedi, 09 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Folio (Gallimard), Voyages

Passion arabe, janvier 2016, 656 pages, 9,70 € . Ecrivain(s): Gilles Kepel Edition: Folio (Gallimard)

Sur le mode d’un journal de voyage, Gilles Kepel raconte ce qu’il observe de la continuité des révolutions arabes de 2011 à 2013 : il nous fait voyager de Dubaï à la Libye, en passant par Israël et la Palestine, l’Egypte, la Tunisie, Oman et le Yemen, le Qatar, Bahreïn, l’Arabie Saoudite, le Liban, Istanbul et Antioche. Partout il est reçu, ayant noué dans tous ces pays ou ces villes des relations stables et souvent amicales, avec des universitaires, des hommes politiques, des hommes d’affaires, des familles et de simples citoyens. Son analyse et son témoignage prennent toute leur force dans ces temps troublés, où les identités nationales et les affirmations religieuses sont mêlées et font acte de résistance, parfois jusqu’à l’extrême violence, jusqu’à la déraison.

Depuis l’immolation par le feu le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, en Tunisie, de Tarek (dit Mohamed) Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et de légumes, les révolutions arabes ont certes abattu quelques dictatures (régimes de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte, de Kadhafi en Libye), mais mis au pouvoir les intégrismes religieux, portés par une population pauvre et désenchantée, et renouvelé le pouvoir des organisations islamistes Al-Qaida et Daesh, incarnant les deuxième et troisième générations du terrorisme, la première étant issue de la lutte du GIA algérien dans les années 1980-90. Ces révolutions ont été portées par la puissante chaîne Aljazeera, qui s’est fait « l’impresario des Frères musulmans ».

Par bonheur le lait, Neil Gaiman

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 09 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Arts, Au Diable Vauvert, Jeunesse

Par bonheur le lait, novembre 2015, trad. anglais Patrick Marcel, illust. de Boulet, 112 pages, 12,50 € . Ecrivain(s): Neil Gaiman Edition: Au Diable Vauvert

 

Neil Gaiman (1960) fait partie des plus grands conteurs contemporains, et compte parmi ses admirateurs pas moins que Stephen King. On peut rappeler qu’il collabora le temps d’un roman avec un autre gigantesque conteur anglais, feu Terry Pratchett : c’était De Bons Présages (1990) et tant nos zygomatiques que notre capacité à l’émerveillement ne s’en sont pas encore remis. Dans l’œuvre de Gaiman, on trouve de la fantasy, du fantastique, de l’héritage gothique, de sublimes nouvelles, des romans graphiques – de tout, tant que ça transporte ailleurs, que ça fait fonctionner les neurones « imaginant » à plein rendement. Et ceci à tout âge, puisque Gaiman écrit aussi pour la jeunesse, même si de façon parfois quelque peu dévoyée : Coraline, sublime de noirceur, ou encore L’Etrange vie de Nobody Owens, un roman d’apprentissage littéralement fantomatique.

Avec Par bonheur le lait illustré en français par Boulet (mais par Skottie Young dans la version originale), Neil Gaiman revient à la littérature de jeunesse, voire quasi à destination des enfants. Disons, de grands enfants, à l’image de ceux de ce bref roman : huit, dix ans maximum, une fille et un garçon. Leur maman étant « partie à une conférence », ils sont seuls avec leur papa, à qui a été laissée une longue liste de consignes qu’il est capable de réciter par cœur, de ne pas oublier « de conduire les enfants à la répétition de l’orchester, samedi » à donner « à manger aux poissons rouges ».