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Critiques

Délivrance, James Dickey

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Gallmeister

Délivrance, trad. de l’américain par Jacques Mailhos, 309 pages, 11,00 € . Ecrivain(s): James Dickey Edition: Gallmeister

 

Publié en 1970, Délivrance est un des romans américains qui a su le mieux mettre en perspective la sauvagerie enfouie au sein de chaque homme civilisé, la civilisation étant par essence frustrante, placé qu’il est sous le signe de Georges Bataille, dont une citation sert d’épigraphe : « Il existe, à la base de la vie humaine, un principe d’insuffisance ». A quasi un demi-siècle de distance, la plus connue des œuvres signées James Dickey (1923-1997) est toujours aussi percutante, à l’image du chef-d’œuvre qu’en a tiré John Boorman dès 1972 ; ce dernier, dans une interview récente au Guardian, disait en substance à propos de son film favori parmi son œuvre : « ce classique de 1972 parvient à être à la fois physique et mystérieux, brutal et nuancé » ; on pourrait en dire autant du roman de Dickey.

D’autant qu’en français, il se voit offrir une seconde jeunesse au format poche dans la traduction de Jacques Mailhos, plus souple que celle de Pierre Clinquart ; on peut donc s’y replonger et replonger dans les ressentis d’Ed Gentry, graphiste de son état et un des quatre citadins en mal d’aventure à se risquer sur la rivière Cahulawassee au milieu du mois de septembre.

Brumes industrielles, Yann Dupont

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 26 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Brumes industrielles, Hugues Facorat Edition, avril 2016, 62 pages, 10 € . Ecrivain(s): Yann Dupont

 

 

D’emblée on sent que ces Brumes industrielles sont investies par une écriture poétique. La photographie de la première de couverture, de Pierre Lenoir Vaquero, déjà interpelle, arrête le regard avant l’ouverture des ailes de la brume. Celle des espaces portuaires où l’humanité grouille de se rencontrer, entre âmes laborieuses, errantes nocturnes. Une ambiance, une atmosphère d’emblée se dégage.

Qui n’a jamais ressenti l’appel ambigu d’un port maritime, parcouru des affluents de la terre et de la mer, dans ces va-et-vient du large qui brassent le ciel peuplé des lumières de la ville, de ces autochtones laborieux et nostalgiques, de ces passagers voyageurs, touristes ou aventuriers. L’usine est l’un de ces personnages, mobile sur son assise fixe, qui embrume ces existences et dépose ses métastases industrielles sur le corps de la ville et de ses passants, depuis des années-portuaires.

La vie avec Lacan, Catherine Millot

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 23 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Récits, Gallimard

La vie avec Lacan, février 2016, 112 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Catherine Millot Edition: Gallimard

« On était au mois d’août, mais la chaleur était légère et la ville désertée des voitures était d’un calme divin. Lacan y semblait comme chez lui, il en connaissait tous les musées, toutes les églises, toutes les fontaines… La beauté des lieux m’enchantait, j’aimais le bruit des fontaines et celui des pas dans les rues désertes la nuit. J’étais tombée amoureuse de Rome et cet amour dura longtemps ».

Ce petit livre est une phantasia, une apparition, celle du psychanalyste dans la vie de celle qui à son tour va le devenir. Une fantaisie, la vie légère comme la chaleur de Rome en cet été 72, la liberté libre qui se livre en Italie, à Rome, à la Villa Médicis, sur la piazza Navona, dans la basilique Saint-Clément-du-Latran, à Venise devant les Carpaccio de l’église San Giorgio degli Schiavoni, à Paris, à Barcelone, pas à pas, la mémoire de l’écrivain dessine cette carte amoureuse et aventureuse d’un été qui n’allait jamais finir. Ce petit livre nous livre – livre à lire et à vivre – à chaque page la fantaisie d’une époque – on sourit en pensant que certains fâcheux y voient là les prémices de ce qu’ils nomment le désastre actuel –, qui allait si bien à celle du psychanalyste. Lacan sur scène, ses séminaires et conférences, qui parlait aux mursLa théâtralisation faisait partie de l’art oratoire de Lacan. La colère mimée, la rage ostentatoire en étaient les traits récurrents –, Lacan silencieux, à la concentration exceptionnelle, Lacan le bélier que rien n’arrête, et Lacan immobile. Lacan des villes et Lacan des chants.

La Baignoire, Lee Seung-U

Ecrit par Marc Ossorguine , le Vendredi, 22 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Asie, Roman, Serge Safran éditeur

La Baignoire (Yokjoga Noinbang, 2006), mars 2016, trad. coréen Choi Mikyung, Jean-Noël Juttet, 138 pages, 15,90 € . Ecrivain(s): Lee Seung-U Edition: Serge Safran éditeur

 

On pourrait se demander en se plongeant dans La Baignoire, ce qui fait que nous avons les représentations que nous avons concernant la Corée et la littérature coréenne. Pourquoi ? Parce que nous sommes à peu près sûrs que pour la plupart des lecteurs il y aura plus qu’une surprise : un étonnement. Un étonnement amusé mais un étonnement qui pourrait bien être radical et amener une sérieuse révision des idées toutes faites. Cela rappelle tant les explorations d’un auteur français que nous ne nommerons pas (sinon vous n’aurez plus la surprise) que l’on se sent bien loin de l’orient supposément attendu. Puis, passé les premières pages, la surprise va s’accentuant, le décalage entre la forme ludique et la gravité légère du récit fait basculer la nature du livre que vous tenez entre les mains, vous emportant dans un autre monde, une autre vision. Étonnante et déstabilisante cette baignoire qui se remplit sans que l’on réalise bien comment et dont la phrase finit par nous envelopper et nous emporter, à l’image des personnages.

Les Hors-Venus, Claire Julliard

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 22 Avril 2016. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Belfond

Les Hors-Venus, février 2016, 272 pages, 18 € . Ecrivain(s): Claire Julliard Edition: Belfond

 

Drôle de premier roman que donne ici Claire Julliard, dans lequel la narratrice (qui s’exprime en « je ») est une adolescente qui fuit, avec deux gardes du corps, la secte où elle est retenue prisonnière et cherche protection sur une île semi-déserte. On y retrouve des réminiscences de très bons romans dystopiques pour la jeunesse – Le Passeur de Lois Lowry (1994), lui-même inspiré du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley (1932) –, ainsi que de romans d’aventure ou robinsonnades comme L’Ile mystérieuse de Jules Verne ou L’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson. Le titre est lui-même inspiré du titre d’un poème de Jules Supervielle, Le hors-venu, qui illustre la figure du réfugié.

Les relations entre les personnages de ce huis-clos à trois, puis quatre personnages – Mikael, le détective infiltré et lâché par la police, Harlan le gorille dépressif et Bienvenu Bonfeuille, dit Le Gabelou – se font tour à tour amicales puis tendues. Le personnage de Mélanie fait preuve d’une résilience extraordinaire lorsqu’on apprend et comprend les tourments que la jeune fille a endurés auprès du gourou de l’Eglise de la Sainte-Lumière cosmique, Jordan Kimmel, stéréotype du dictateur paranoïaque, dont Mylène, la mère de Mélanie, est l’une des proches. Du désert du Nouveau Mexique à la Polynésie française, le voyage romanesque est dépaysant, très couleur locale :