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Les Livres

Venise : trois ouvrages littéraires (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Octobre 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

 

Un rêve fait à Venise

Dans le chapitre V et dernier de La Mort à Venise, le personnage principal, Gustav von Aschenbach, tandis que le choléra s’étend dangereusement sur la ville, masqué par les autorités pour ne pas compromettre le tourisme, et que son amour interdit, destructeur et lumineux à la fois pour l’adolescent polonais Tadzio (qu’on ne peut imaginer aujourd’hui, hélas, après le film de Visconti, que sous les traits de Björn Andrésen…) le conduit par-delà les limites de la décence bourgeoise, par-delà le bien et le mal donc, fait « un rêve épouvantable ». Il entend « un tumulte, un fracas, des bruits de chaînes » qu’accentuent bientôt « des cris aigus de jubilation » et des « chants de flûte » dans lesquels il reconnaît la manifestation du « dieu étranger », c’est-à-dire de Dionysos, d’origine indienne comme j’y reviendrai.

Bricolage(s) – Camille Revol (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Octobre 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Editions Louise Bottu

Bricolage(s) – Camille Revol – Editions Louise Bottu – 260 p. – 19 euros – septembre 2025. Edition: Editions Louise Bottu

 

« J’ai toujours aimé ça, griffonner. Tout le temps. Partout et dans la chambre. Des notes sur elle, sur rien, le jour et la saison, un livre, un film… Des notes sur tout. Surtout sur elle.

Notes en pagaille. Penser à classer. Y mettre un peu d’ordre. En faire quelque chose, quoi. »

 

Ce quelque chose a pour nom Bricolage(s), un livre qui porte bien son nom, il zigzague, il biaise, ses phrases ricochent, rebondissement, se cachent sous d’autres phrases, sous d’autres éclairs d’inspirations, et de souvenirs, et pourtant l’auteur se défend de raconter des histoires, il s’en défend tellement bien, qu’il excelle dans l’art de les ajuster au millimètre, comme des planches brutes, qui n’attendent que d’être mises bout à bout. L’écrivain ajuste tout ce qui lui passe par la main et par la tête.

Le terrain vague (en mémoire d'Île), Michel Lamart (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 09 Octobre 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le terrain vague (en mémoire d'Île), Michel Lamart - préface de Daniel Leuwers - éditions Unicité, 3eme trimestre 2025, 134 pages, 14 €

L'histoire déroulée dans ce livre (le fil d'événements qu'on y suit) est si sobre et complète qu'on essaiera de n'en presque rien dire ici : elle mérite d'être découverte de bout en bout en ouvrant le volume. Une jeune Claire, qui n'a jamais connu son père, soutient maladroitement sa mère alcoolique, et ne fréquente volontiers que son propre chien Caillou, rencontre dans un "terrain vague" proche un errant, cultivé et amnésique, qui l'aidera (de loin, et avec pudeur) à mieux comprendre ses choix (de travail et de relations), comme à accepter autrement sa vie. L'intrigue vient bien, se déploie à plusieurs voix mais en une belle unité, révèle la (mystérieuse, à la fois espérée et tragique) clef des situations, pour logiquement finir : l'errant vivait déjà trop peu pour en mourir, mais Claire, à l'inverse, trop intensément pour vivre plus longtemps. L'œuvre, écrite au début des années 2000 (au temps de Loft Story, du 11 septembre, des crises encore normales et pacifiques du capitalisme, du tout-début de l'auto-claustration des banlieues etc.), ne trouve éditeur qu'à présent, plus de vingt ans après. Michel Lamart n'en retouche alors rien, sollicitant seulement l'ajout d'une (excellente) préface de Daniel Leuwers.

Vies arides, Graciliano Ramos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Octobre 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, En Vitrine, Cette semaine

Vies arides, Graciliano Ramos (Vidas Secas, 1938), traduit du portugais (Brésil) par Mathieu Dosse, Chandeigne & Lima, 2025. 163 p.

 

Ce livre est sec comme une trique, comme un buisson desséché du Sertão. Rarement écriture n’a atteint un tel degré d’économie, une épure aussi proche de l’étisie, à l’image du territoire et des personnages qu’elle raconte. L’adjectif est rare, la fioriture absente, seule s’élève une voix simple, rauque, ravagée par la chaleur et la sécheresse. Un joyau noirci par un soleil létal. Un chant omineux sans consolation.

Étrangement, ce roman âpre fait penser à Essénine et sa Ravine, ode au désert glacial où vivent des malheureux paysans russes de la Taïga. On retrouve, dans la chaleur étouffante du Nordeste brésilien, la même Nature impitoyable qui frappe les hommes, les fait ployer, les écrase. On pense aussi, bien sûr, au chef-d’œuvre d’Euclides da Cunha, Hautes Terres, au prodigieux roman de João Guimarães Rosa, Diadorim et au magnifique Le Llano en flammes de Juan Rulfo.

Le château des insensés, Paola Pigani (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Mardi, 07 Octobre 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions Liana Levi

Le château des insensés, Paola Pagani, éd Liana Levi 286 pp. 21 € Edition: Editions Liana Levi

Psychiatrie contre psychiatrie

 

Saint-Alban-sur-Limagnole. 1940/1944.

La Margeride.

Voit-on ce plateau cogné d’air et de nuées et les blocs de cailloux ronds qui ressemblent à des têtes qui auraient roulé d’en haut des monts pour se caler contre une souche ou contre rien ? Contre-poids aux vents secs et glacés qui roulent aussi, contre les joues des femmes et des hommes, s’il en reste.

Voit-on cela ?

Voit-d’où l’on parle ? De qui ?

Quel livre ? Le château des insensés de Paola Pigani, chez Liana Levi, publié en mars 2024.

C’est de ce livre dont on parle, de ces insensés en question, les malades, c’est-à-dire à demi nous, aux trois-quarts nous, bref, nous !