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Les Livres

Fille du chemin, Jean-Pierre Vidal (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 02 Février 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Récits

Fille du chemin, Jean-Pierre Vidal, éditions Le Silence qui roule, janvier 2024, 98 pages, 12 €

 

« Le premier matin, quand je me réveille un peu plus tard qu’elle, comme un éclat, je reçois en pleine face ses seins blancs à la toilette, son pubis, la violence de sa toison très noire sur le blanc de sa peau. Mon regard ne lui importe pas, elle n’a pas souci de me séduire, ni de cacher sa féminité. Je suis heureux de l’avoir vue nue, un instant. Ce n’est pas de sa part un don personnel, volontaire, encore moins un appel. Le simple signe, au contraire, que je n’existe pas pour elle. Mais pour moi, sa nudité pure est le présent tout autant que tout à l’heure le ruisseau, les cailloux blancs, les feuilles nues des arbres. Au vrai, alors qu’elle n’a pas voulu me donner sa nudité en vue d’un avenir d’étreinte, elle m’a donné le présent sans chercher à le donner. Ce présent m’a suffi, dans sa légèreté incandescente, et je ne veux pas en faire un souvenir » (p.22).

Le fruit le plus rare, ou La vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 01 Février 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman, Gallimard

Le fruit le plus rare, ou La vie d’Edmond Albius, Gaëlle Bélem, Gallimard, août 2023, 256 pages, 20 € Edition: Gallimard

Gaëlle Belem, écrivaine réunionnaise inspirée nous transporte dans le contexte quotidien de cette île intense de l’Océan Indien au XIXe siècle en reconstituant, de sa naissance en 1829 à sa mort en 1880, la vie mouvementée, bouleversée et bouleversante, d’un des plus célèbres esclaves noirs de l’histoire coloniale française, le génial inventeur de la pollinisation manuelle de la fleur du vanillier, Edmond Albius.

Orphelin dès sa naissance de parents esclaves qu’il ne connaîtra donc jamais, le négrillon est, chose en soi exceptionnelle, adopté par son maître, Ferréol Beaumont, veuf, âgé de trente-sept ans, propriétaire de la plantation et des dizaines d’esclaves y faisant partie des meubles.

Ferréol, piètre exploitant de sa plantation sise à Sainte-Suzanne, se passionne pour la botanique, passe le plus clair de son temps à entretenir un espace entièrement dévolu à la fascination qu’il éprouve pour les orchidées et, depuis qu’il a eu connaissance de la découverte de la vanille en Amérique, est obsédé par le mystère, que personne n’a encore pu percer, de la fécondation de cette merveille, dont la production de gousses parfumées, ce « fruit le plus rare », pourrait faire sa fortune, celle de son île, voire celle de son pays.

Les Insolents, Ann Scott (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 01 Février 2024. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Calmann-Lévy

Les Insolents, Ann Scott, Calmann-Lévy, août 2023, 198 pages, 18 € Edition: Calmann-Lévy

 

Le dernier Prix Renaudot est le roman d’une solitude, acceptée, sinon vaincue.

Alex, musicienne, en a marre de Paris, de ses ambiances, de ses contraintes et s’exile en Finistère profond.

Elle a pourtant là des attaches, sérieuses, Jean, Jacques, Margot.

Mais l’attrait pour le sauvage, les plages solitaires, le retrait du monde, tout est plus fort.

Il faudra vaincre le froid, une maison mal chauffée, on est loin de tout. La moindre course devient une aventure.

Alex réapprend l’essentiel : le minimum vital, la marche le long de l’océan, la solitude, les parcours quotidiens avec soi, loin de toutes les futilités, loin des rapports obligés.

Sentences, Ménandre (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 31 Janvier 2024. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Les Belles Lettres

Sentences, Ménandre, éditions Les Belles Lettres, 2022, trad. annotée, Janick Auberger, Michel Casewitz, XLIV + 254 pages, 35 € Edition: Les Belles Lettres

 

Ménandre (342/1-292/1 avant Jésus-Christ) fut longtemps un grand écrivain que plus personne ne pouvait lire. Au long d’une trentaine d’années de carrière dramatique, il composa une centaine de pièces de théâtre, suffisamment appréciées du public athénien pour qu’on lui érigeât, seul auteur comique aux côtés des trois grands tragiques, une statue dans le temple de Dionysos. Ménandre n’était cependant plus qu’un nom, puisque le texte de ses pièces avait disparu et n’était plus accessible que grâce à des citations de seconde main ou des adaptations latines. Au début du XXe siècle, la découverte de papyri dans le désert égyptien permit de retrouver plusieurs comédies complètes, ainsi que de larges fragments.

Dans un monde antique où les livres étaient rares et chers (ils le resteront pendant la plus grande partie de l’histoire humaine et même l’invention de l’imprimerie n’entraîna point une baisse rapide des coûts), la mémoire jouait un rôle cardinal, que nous avons du mal à apprécier aujourd’hui, alors que toutes les connaissances du monde sont accessibles instantanément par l’intermédiaire d’un téléphone portable.

Revue Contrelittérature, n°6, année 2023, Anarchie souveraine (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 31 Janvier 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Revues

Revue Contrelittérature, n°6, année 2023, Anarchie souveraine, Contrelittérature éditions, 2023, 197 pages, 15 €

 

L’anarchie, et l’anarchisme, n’ont pas bonne presse aujourd’hui. On pourrait même qualifier la pensée anarchiste de quasi absente dans le paysage idéologique contemporain – dans le paysage visible du moins. Ou, lorsqu’on l’évoque, c’est pour la révoquer : on l’associe au chaos, au tumulte, à la désagrégation. L’avenir, on le sait, est plus que jamais au spectacle, c’est-à-dire à la marchandisation, matérielle comme humaine, à la réduction des individus à leur capacité à consommer et à la numérisation (qu’on prenne ce terme en son sens le plus vaste). Astolphe de Custine, dans La Russie en 1839 (réédition Classiques Garnier, 2018), parle des villages de façades qui faisaient croire à Catherine II, lors de ses voyages dans les provinces reculées, à la prospérité de son Empire. Nos démocraties de façades, bien qu’elles ne dupent personne (excepté ceux qui ont intérêt à être dupés, ou à le laisser entendre), ont plus de solidité que les bourgades inexistantes destinées à leurrer la tsarine.