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Les Livres

Devenir nuit, Marie Joqueviel (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 26 Mars 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie, Gallimard

Devenir nuit, Marie Joqueviel, Gallimard, Coll. Blanche, février 2024, 96 pages, 17 €

 

Toute poésie est comme une version de la fable du moi et du monde. Ici, « le monde ne demande pas à ce qu’on l’habite/ le monde ne demande rien/ sauf peut-être qu’on le regarde » (p.54), et le moi, qui veut savoir ce qui l’a permis, y est prêt, et attend le tarif. Le voici : pour regarder le monde, il lui faudra « devenir nuit ». C’est une mise exorbitante, mais donnant – peut-être – l’occasion unique, dans la foulée, de « devenir le monde/ une fois au moins/ avant de mourir » (p.58). Voilà un tel livre.

Avant d’aller vers ce qu’on ignore, la poète (dans la partie « Peuple du désastre », significativement à la fin) fait utilement le point sur ce qu’on sait. Nous savons, écrit-elle un peu sombrement, au moins trois choses (« nous savons » veut dire : nous nous mentirions illusoirement sur ces points). D’abord nous savons que « nous rêvons seuls » (nous n’avons de sommeil que celui donné par notre cerveau, et l’insomnie elle-même est sommeil manqué par notre cerveau, et lui seul).

Parachever un génocide, Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés arméniens et grecs (1918-1922), Raymond Kévorkian (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Lundi, 25 Mars 2024. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Histoire, Odile Jacob

Parachever un génocide, Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés arméniens et grecs (1918-1922), Raymond Kévorkian, Ed. Odile Jacob, août 2023, 412 pages, 30 € Edition: Odile Jacob

Raymond Kévorkian, historien, propose ici de montrer, scientifiquement, que la Turquie « moderne », celle de Mustafa Kemal, s’inscrit dans le droit fil de la Turquie du CUP (Comité Union et Progrès), au sein duquel les Jeunes Turcs nationalistes mirent en œuvre le génocide des Arméniens en 1915. Mustafa Kemal est très souvent présenté comme « un héros progressiste et laïque et le père de la Turquie moderne ».

C’est en se fondant sur une documentation très détaillée que Raymond Kévorkian nous permet de répondre aux deux questions concernant la région :

– « La République turque s’est elle fondée sur le génocide perpétré durant et après la première guerre mondiale ?

– La Turquie contemporaine porte-t-elle encore et toujours les stigmates de ces violences extrêmes ? ».

Quitter la terre, Daniel Morvan (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 25 Mars 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Quitter la terre, Daniel Morvan, éditions Le Temps qu’il fait, janvier 2024, 140 pages, 18 €

 

Ambiguïté

Pourquoi ce titre : ambiguïté ? Parce que le poète est polarisé entre la campagne bretonne de son enfance et une formation universitaire à Paris, laquelle s’est avérée plus difficile, je suppose, que pour les Normaliens de cette époque ; ces élèves des Écoles Normales Supérieures eux restant non clivés par cette séparation (qui sait ?), ni suppliciés par cette double dague au-dessus de leur tête. Ce recueil, en tout cas, balance de la nostalgie à la révolte, de l’intelligence naturelle au savoir savant. Daniel Morvan, je crois, est aux prises avec une culpabilité inhérente à ce mouvement de balancier. Tout l’ouvrage tourne autour de cette question, celle du déclassement social et culturel, donc vers le haut depuis le bas, mais surtout sans surplomb, sans survol, seulement axé sur un approfondissement de ces deux natures. Pour tout dire, je crois que l’on peut parler de nœud gordien. Seul le lecteur probablement est à même de trancher cette corde.

Stupeur, Zeruya Shalev (2e partie) (par Mona)

Ecrit par Mona , le Jeudi, 21 Mars 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard, Israël

Stupeur, Zeruya Shalev, Gallimard, juin 2023, trad. hébreu, Laurence Sendrowicz, 364 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Zeruya Shalev Edition: Gallimard

 

II.

Une allégorie de la culpabilité

La malédiction qui hante le roman s’illustre par des allusions récurrentes au rite du bouc expiatoire, l’animal chargé des iniquités du peuple d’Israël poussé dans le vide du haut du mont Azazel le jour du Grand Pardon. Ce leitmotiv met l’accent sur le malheur des personnages, tous condamnés à battre leur coulpe : Rachel se revoit dans sa jeunesse avec Mano « tels les deux boucs propitiatoires », et compare sa chute dans un précipice à celle de l’animal sacrifié. Ses frères d’armes lui semblent avoir « servi de bouc émissaire, à l’instar du bouc chargé des péchés d’Israël qu’on envoyait du temple dans le désert le jour du Kippour ». Atara s’attribue la faute de l’enrôlement de son fils dans une brigade d’élite : « de tes propres mains, tu l’avais poussé du haut du précipice qui s’ouvrait au pied de l’antique ». La faute originelle, c’est celle de Mano qui s’est considéré l’assassin d’une jeune fille morte par hasard (« quel démon avait bien pu le saisir pour qu’il endosse une telle responsabilité ? »).

Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 21 Mars 2024. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie, Editions du Cygne

Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset, Editions du Cygne, janvier 2024, 100 pages, 10 € . Ecrivain(s): Parme Ceriset Edition: Editions du Cygne

 

Une femme qui marche, qui court, qui vole, solitaire, qui va droit devant, dans la nuit, dans le vent, dans les champs, dans la brume, dans l’eau des ruisseaux, dans les rues « où fourmillaient jadis le sens de la fête, la joie scintillante en pépites, la liberté des êtres », qui va, indomptée, sous des pluies de lave et de cendre, dans le flou du présent dans lequel elle est en mouvement et dans le trouble tumulte des souvenirs douloureux d’un passé tout récent, dans l’espace et dans le temps d’un décor torturé, chaotique, et dans l’atmosphère lourde, apocalyptique, de la fin d’un monde dévasté par les guerres.

Tel semble être le courant narratif de près des cent compositions poétiques constituant ce recueil.

Poésie fluide, libre, comme celle qui va, sans entrave, toutes chaînes rompues, qui traverse.

Qui fuit.