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Les Livres

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 20 Mars 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Roman, Grasset

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole, Grasset, janvier 2024, 216 pages, 20 €

 

« C’est maintenant, en revenant, que je prends conscience qu’il n’y a pas que les eaux qui stagnent sur ce parking : il y a aussi tous ces jeunes, ceux avec qui j’ai grandi. Ils croupissent mais l’ignorent. Ils ne sont pas responsables. Ils sont leurs parents. Ils sont leurs grands-parents. Bientôt ils seront morts sans avoir rien vu, rien compris, rien vécu. Après avoir gobé du vide, durant les décennies que leurs corps supporteront, on les foutra dans un trou. S’ils ne s’y sont pas jetés tout seuls. C’est pour ça que je suis revenue tirer Agnès de là, lui faire voir cet ailleurs que je connais, un monde qu’aucun regard ne contraint. Pas comme ici, en tout cas. Je suis là parce que je la désire, parce qu’en rêve je la serre nue dans mes bras… » (p.75).

Pierre de Cabissole, 43 ans, est scénariste, réalisateur de films d’animation, et natif (sincère, et lucide !) du Languedoc.

Pnine, Vladimir Nabokov (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 19 Mars 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Pnine, Vladimir Nabokov, Folio, traduit de l’américain par Michel Chrestien, 267 p. . Ecrivain(s): Vladimir Nabokov Edition: Folio (Gallimard)

 

Le professeur Pnine – professeur de russe expatrié en Amérique – est dans un train pour aller tenir conférence à un Club féminin dans une petite ville américaine. Il est guilleret, savoure sa nouvelle vie. Seulement « Ici il faut divulguer un secret. Le professeur Pnine s’était trompé de train ». Les deux premières pages de ce court roman campent le trait dominant – et hilarant – du personnage central : Pnine est un lunaire et, s’il est drôle, c’est bien sans le vouloir.

Quand Nabokov entreprend l’écriture de ce roman, on est en 1953. Il prépare la sortie, qu’il prévoit scandaleuse, de Lolita (qui ne paraîtra qu’en 1955). Nabokov veut de toute évidence créer un ouvrage léger, un personnage amusant, avant la noirceur torturée et obsessionnelle de Lolita et de Humbert Humbert, comme une sorte d’assurance contre la tempête annoncée. Un antidote préalable au brûlot à venir sans doute.

Mademoiselle Julie, August Strindberg (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 19 Mars 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Pays nordiques, Théâtre

Mademoiselle Julie, August Strindberg, édition Ulf Hallberg, Coll. Folio/Théâtre, octobre 2023, trad. suédois, inédite, Alain Gnaedig, 240 pages, 8,90 €

 

« Dans ce drame, je n’ai pas essayé de faire quelque chose de nouveau – cela est impossible. J’ai seulement tenté de moderniser la forme selon les exigences que, à mon sens, les hommes de notre temps posent à l’art du théâtre ».

Ainsi s’exprime August Strindberg dans la Préface à Mademoiselle Julie, rédigée peu après la pièce et publiée dans le même volume en 1889. « Moderniser la forme », c’est être au diapason, dans cette ville de Copenhague où réside Strindberg et qui est alors surnommée la « Paris du Nord », avec ce que les auteurs français créent en ces années 1880, dans leurs romans ou sur scène, les exemples à suivre étant les Goncourt et Zola – avec lequel l’auteur suédois correspondra.

Au clair de…, Pierre-François Lacroix (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 18 Mars 2024. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman

Au clair de…, Pierre-François Lacroix, ErosOnyx Éditions, Coll. Poche Éoliens, 2021, 685 pages, 15 €

 

Au clair de…, qui ne se présente ni comme un roman ni comme un récit, ne semble pas davantage être une autobiographie ou une autofiction, même si par certains côtés il peut s’en rapprocher. D’abord présenté à la troisième personne du singulier, donc avec la distanciation que cela implique, Pierrot, figure centrale du texte, prend progressivement la parole à la première personne, comme si le narrateur s’effaçait et venait à se confondre avec lui. Mais au-delà de la question de son statut et du genre auquel le rattacher, le livre est avant tout, de façon plus profonde, plus intense, un immense chant d’amour. Et un manifeste.

Un chant d’amour, en référence bien sûr au film de Jean Genet, qui porte ici sur deux amours consécutifs dont le premier, primordial, originel, court tout au long des pages, de la première à la dernière : l’amour de la mère, trop tôt disparue. Pour Pierrot c’est une coupure fondamentale, sa vie tranchée en deux par ce manque soudain, cette absence cruelle et définitive d’un amour maternel si fort, et si fortement ressenti par lui, qui vient ainsi s’interrompre brutalement.

Car le jour touche à son terme, Frédéric Dieu (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 18 Mars 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Car le jour touche à son terme, Frédéric Dieu, éditions de Corlevour, Revue la forge, janvier 2024, 80 pages, 15 €

Écobuage

Le recueil de poèmes que publie Frédéric Dieu, aux éditions de Corlevour, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord pour son écriture stylisée mais pas emphatique, sobre, et cependant n’hésitant pas à conduire le poème sur les rives de moments lyriques ; en somme, une langue claire et raffinée. Et pour l’essentiel l’on peut se référer à la théorie d’Empédocle sur les quatre éléments, théorie des éléments comme combustible, matière, pour avancer au sein des profondeurs de cette poésie. Car cette poésie est hantée par le feu et la terre essentiellement, jusqu’à la combustion des tourbes ; mais aussi par l’eau et l’air, ce dernier étant figuré par le vent. Donc simplicité du fond qui engage une certaine métaphysique, un lieu immatériel où se jouent les sens et les significations. Pour cela, il ne faut pas négliger des emprunts à la Bible et ses forces parlantes. C’est à cette traversée que nous sommes invités. Un monde calciné, éprouvé par les cicatrices laissées par le chemin des flammes, une sylve obscure où émergent des images, sorte d’apocalypse lente et appuyée.