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Mains positives, Guillaume Métayer (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Mai 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Mains positives, Guillaume Métayer, La Rumeur libre éditions, février 2024, 110 pages, 17 €

 

Les « mains positives », disent les préhistoriens, se posent là. Badigeonnée de colorant (au contraire de la « main négative »), la « positive » imprime directement sa forme sur la paroi ; c’est comme une prise d’appui massive, franche, caractéristique : une main y montre la chose qu’elle est (ou plutôt qu’elle fut !), au contraire de la main négative, dont l’empreinte est vide et vierge, qui ne fait, elle, qu’évoquer la forme que lui laisse, du dehors, le contexte coloré (craché ou vaporisé) répandu, après-coup, autour d’elle, et entre ses doigts écartés. Intituler « Mains positives » de courts poèmes en prose, c’est donc suggérer une sorte d’empreinte de pensée directement obtenue (comme un front en sueur ou en sang posé un instant sur une vitre ?), une miniature de monde comme plaquée, droitement transférée, apposée pour elle-même et non-cernée (sans halo ni fond suggestif, comme une claque sans décor). C’est un double choix de frontalité et de force, anti-symboliste (on verrait mal un Zarathoustra jouer du pochoir, et se parapher par main négative), où un « moi » s’inscrit en cri volontaire plutôt que se circonscrire en écho conscient !

Le Scribe et son Théâtre, Brève rétrospective, Marie Etienne (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 30 Avril 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Critiques, Editions Tarabuste

Le Scribe et son Théâtre, Brève rétrospective, Marie Etienne, éd. Tarabuste, décembre 2023, 120 pages, 13 €

 

« Dans le titre, le masculin du mot scribe est un neutre. La langue française n’ayant pas d’autre moyen de désigner le troisième genre, ou son absence, je me contente de celui-là, sans toutefois en être contrariée. À l’impossible nulle et nul n’est tenu » (Note, p.111).

Un(e) scribe a bonne allure, et mauvaise presse. Bonne allure comme vif secrétaire, qui consigne et atteste ; mauvaise presse, comme « commis » aux écritures, sorte de parasite de l’expressivité, bon qu’à gratter notre paperasse. Mais que compile ou fixe ordinairement un scribe ? Une réalité publique d’informations. Il ne devrait donc pas (sauf ironie, ou contre-emploi) exister de « scribe » en « son théâtre », car que viendrait faire le rédacteur d’actes institués, la petite main de textes officiels, dans le monde d’abord confidentiel, fantasmatique et ostentatoire d’un « théâtre » personnel ? Et d’ailleurs – sauf dans la stricte et limitée fonction de script (bénévole ou non) des improvisations scéniques d’autrui – qu’est-ce donc qu’un scribe de théâtre ?

Un été en montagne, Elizabeth von Arnim (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 24 Avril 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Océanie

Un été en montagne, Elizabeth von Arnim, Arfuyen, mars 2024, trad. anglais, Paul Decottignies, 238 pages, 17 €

 

On ne dira presque rien de l’intrigue, merveilleusement formée et suivie, souhaitant juste donner ici envie de découvrir le monde parfait (cohérent, malicieux, distingué) d’une auteure (1866-1941) anglaise, libre et juste (dont la délicatesse, la lucidité et l’humour ne pourront décevoir), ayant toujours vécu dans (mais non de) la haute société, et qui – mère comblée, veuve charmante, amante subtile – reste animée d’une sorte de fougue cosmopolite et d’une folle imagination condamnée à se reciviliser périodiquement en œuvres à succès. Disons seulement du contenu : une dame (la cinquantaine ?), fortunée et fine, vient, au sortir d’une première guerre mondiale qui a fait de sa vie socio-personnelle un champ de ruines, se réfugier un été dans une résidence de montagne (suisse), où elle n’aura – bien servie, indépendante et claire – qu’à retrouver rythme, goût de vie et son ordinaire joie de réfléchir et contempler. Jusqu’à ce que, selon le Journal de bord qu’elle tient ici-même pour nous, débarquent deux dames égarées et baroquement irrésistibles…

Devenir nuit, Marie Joqueviel (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 26 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Gallimard

Devenir nuit, Marie Joqueviel, Gallimard, Coll. Blanche, février 2024, 96 pages, 17 €

 

Toute poésie est comme une version de la fable du moi et du monde. Ici, « le monde ne demande pas à ce qu’on l’habite/ le monde ne demande rien/ sauf peut-être qu’on le regarde » (p.54), et le moi, qui veut savoir ce qui l’a permis, y est prêt, et attend le tarif. Le voici : pour regarder le monde, il lui faudra « devenir nuit ». C’est une mise exorbitante, mais donnant – peut-être – l’occasion unique, dans la foulée, de « devenir le monde/ une fois au moins/ avant de mourir » (p.58). Voilà un tel livre.

Avant d’aller vers ce qu’on ignore, la poète (dans la partie « Peuple du désastre », significativement à la fin) fait utilement le point sur ce qu’on sait. Nous savons, écrit-elle un peu sombrement, au moins trois choses (« nous savons » veut dire : nous nous mentirions illusoirement sur ces points). D’abord nous savons que « nous rêvons seuls » (nous n’avons de sommeil que celui donné par notre cerveau, et l’insomnie elle-même est sommeil manqué par notre cerveau, et lui seul).

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 20 Mars 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Roman, Grasset

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole, Grasset, janvier 2024, 216 pages, 20 €

 

« C’est maintenant, en revenant, que je prends conscience qu’il n’y a pas que les eaux qui stagnent sur ce parking : il y a aussi tous ces jeunes, ceux avec qui j’ai grandi. Ils croupissent mais l’ignorent. Ils ne sont pas responsables. Ils sont leurs parents. Ils sont leurs grands-parents. Bientôt ils seront morts sans avoir rien vu, rien compris, rien vécu. Après avoir gobé du vide, durant les décennies que leurs corps supporteront, on les foutra dans un trou. S’ils ne s’y sont pas jetés tout seuls. C’est pour ça que je suis revenue tirer Agnès de là, lui faire voir cet ailleurs que je connais, un monde qu’aucun regard ne contraint. Pas comme ici, en tout cas. Je suis là parce que je la désire, parce qu’en rêve je la serre nue dans mes bras… » (p.75).

Pierre de Cabissole, 43 ans, est scénariste, réalisateur de films d’animation, et natif (sincère, et lucide !) du Languedoc.