Identification

Articles taggés avec: Ayres Didier

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 10 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dans la forêt qui manque, Shiho Kasahara, éditions Quartett, Coll. Théâtre, octobre 2024, 95 pages, 14 €

 

Passage

Tout est passage dans cette pièce de Shiho Kasahara. L’on passe de Tokyo à Paris, l’on voyage d’un aéroport à un autre, d’un avion à l’autre. On va et vient. On ne reste pas immobile, et c’est peut-être là une question de dramaturgie. On se meut d’un univers culturel à l’autre. On suit les développements de l’histoire de la pièce comme témoignage d’une quête d’identité. On sent l’auteure vraiment partagée entre deux cultures. Un mélange instable et qui n’en finit pas de ne pas être une émulsion.

D’un côté le Japon, terres du père, et de l’autre, la France, forêt de la mère. Aucun des deux parents n’a le dessus, les deux sont énigme et interrogation, comme deux forêts qui ne se ressemblent pas, ici des châtaigniers, là des banzaï. C’est un univers biparti, double et cependant absolument mêlé en lui par des langues étrangères l’une à l’autre. L’héroïne cherche la suture, un brassage, des rapprochements dans l’univers familial composé de deux présences culturellement teintées.

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Mars 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon, éd. L’Atelier Contemporain, octobre 2024, 102 pages, 14 €

Cette étude de Franck Guyon sur La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine, tableau datant d’environ de 1475, est bel et bien un livre parlant. Je dis cela à deux titres : d’une part, l’ouvrage parle de lui-même et de l’intelligence de l’auteur, et encore parlant d’autre part, car toute peinture n’existe que sujette à la parole (ou à la pensée dans la contemplation muette), le tableau ne se concevant que comme devant susciter du langage, des signes de langage, des outils de la pensée. Le tableau n’existerait pas sans cette compréhension langagière.

CET ÉVÉNEMENT A LIEU.

Il se produit fort humblement sous la forme d’un panneau de bois peint, haut de quarante-cinq centimètres et large de trente-quatre.

Le créateur de l’événement se nomme Antonello de Messine.

L’événement a lieu aux alentours de l’année 1476 ou 1477, après l’Incarnation.

Cet événement se nomme : Vierge de l’Annonciation.

Bénie soit ma langue, Journal intime, Gabriela Mistral (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 18 Février 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Amérique Latine, Poésie

Bénie soit ma langue, Journal intime, Gabriela Mistral, éditons des femmes-Antoinette Fouque, octobre 2024, trad. espagnol (Chili), Anne Picard, 270 pages, 23 €

Rencontre

Avec ce livre que publient les éditions des femmes-Antoinette Fouque, je me suis trouvé dans la position amie d’une rencontre, lecture provoquant une amitié littéraire immédiate et forte à propos, et d’une grande densité. Je dis ami avec toute la force de l’épithète, au sens presque littéral, rencontre de l’Autrui évangélique, découlant d’une connivence tacite avec l’œuvre de ces cahiers qui balaient l’existence de l’autrice de 1905 à 1956. Une fois cette confession faite, il reste à m’expliquer comme à moi-même comment je suis rentré dans ce texte.

Ces 18 cahiers proposent une découverte kaléidoscopique du travail de la poétesse chilienne, Prix Nobel 1945. Avec eux, nous sommes à mi-chemin du journal et de l’autobiographie, ce qui rend saisissants tous les détails d’une vie passée à devenir une poète. La durée, en quelque sorte abolie, décrit le récit d’une vie, d’une vie d’écriture, écriture qui se développe avec et pour la vie, énonce sans fard les aléas d’une femme pauvre ballottée entre les pays, la pauvreté et l’acrimonie de l’intelligentsia chilienne – ce qui fut particulièrement dur pour la sensibilité de Gabriela, victime de rumeurs qui la blessaient.

Autres traces, Habib Tengour (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Février 2025. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Autres traces, Habib Tengour, éditions Non Lieu, juillet 2024, 110 pages, 12 €

 

Le passé ?

Avec les derniers poèmes qu’Habib Tengour publie chez l’éditeur parisien Non Lieu, nous sommes très vite au sein de la question du temps. Le temps est-il progressif ? Est-ce le souvenir qui agit le plus profondément en soi ? En tout cas, Habib Tengour se penche sur ses souvenirs et sur ce qu’est devenue l’Algérie après les « années noires ». Car il y a cendre, il y a destruction, il y a patrie se confondant à l’exil, il y a des morts et des vivants. J’ai pensé à cette belle phrase de Kerouac, que je cite de mémoire : comme deux pieds de neige sur le plancher, qui pourrait devenir ainsi : deux pieds de sable sur l’âme de l’Algérie. L’on voit nettement que tout cela est fragile (tout autant que des traces de neige ou des traces d’erg).

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 28 Janvier 2025. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Récits

Vibre, exquise nature ! selon Chardin, Alain Vircondelet, éditions Les Ateliers Henry Dougier, janvier 2025, 130 pages, 14,90 €

Durée

Oui, la durée est le maître mot de ce livre qui se propose, avec simplicité, de recourir à l’écriture pour en faire une escorte suffisante et le récit d’un tableau : Le Panier de fraises des bois, de Jean Siméon Chardin. Cette entreprise de lecture d’un chef d’œuvre est facile, vivante, argumentée comme en un sens l’est une biographie. Qui essaie de prendre à bras le corps le monde de la vanité du XVIIIème siècle.

Ce livre nous plonge dans un compotier de fraises sauvages afin de comprendre de l’intérieur – si je puis dire – ce qui est passage ou pérennité dans l’activité de toute vie humaine. Cette pyramide de fruits rouges nous permet de comprendre le but de la vie, à l’instar de la leçon que donnent ces fraises peintes, qui vraisemblablement seraient promises à une destruction naturelle, où ici elles se figent et tendent vers l’éternité. C’est en tout cas le flux logique de toute matière, sachant qu’ici c’est la peinture qui fait écran à la mort. Et si je dis la mort, il faut comprendre le temps. C’est à un archi-présent que nous avons à faire, au carrefour du fini et de l’infini, sorte de magie végétale métaphysique.