N’est pas là, Jean Marc Sourdillon (par Didier Ayres)
N’est pas là, Jean Marc Sourdillon, éd. Gallimard, 95 p., 2025, 16 €

La déploration
Ce qui est constitutif dans ce recueil de poèmes de Jean Marc Sourdillon, c’est la relation entre une entité vivante et une entité morte, absente. Donc entre le poète et ceux dont il déplore la mort. Entre écrire et disparaître. Car en définitive, les absents forment des sortes de trouées, sortes d’espaces troués, de clignotements pour le poète. De syncopes. De moments alternatifs. Vide et plein, temps passé, temps présent et temps à venir. Tout cela parce que notre destin humain en passe par la déploration, consubstantielle au goût de vivre. L’absent est indispensable à cette écriture.
Par ta manière de t’adresser à lui, tu ouvres une brèche dans ton présent,
où tu ne vois rien, une béance où seule habite la voix.
N’est pas là a besoin de cette voix pour être là.
N’est pas là a besoin de toi pour t’apparaître
même si tu ne veux pas ou que tu n’as pas le temps pour ça.
La mort se substitue à la vie, lui fait place. Et inversement. Nous sommes à l’intersection de fragments de présences et de souvenirs des disparus. Il n’y a pas de séparation entre les mondes de l’ici-bas et de l’au-delà. Les morts vivent dans le vivant, et les vivants dans l’ailleurs invisible de la mort. Donc, les morts sont présents.
Tellement proche que face à elle je pensais que c’était moi, dans son prolongement, toi et moi sans solution de continuité. Non pas à côté mais dedans, d’une même poussée, d’une même tension, sans doute venue d’avant toi qui étais avant moi, d’avant nous.
Et il s’agit bien à la fois d’une force logique ou physiologique, qui anime un temps linéaire, un vecteur entre l’ici et l’ailleurs, une ligne droite depuis hier jusqu’à demain. Et cela dans une perspective de transmission. Qu’est-ce que la mort, qu’est-ce que les morts nous transmettent ?
Il ne s’agit de défaire mais de le renouer ailleurs, autrement puisque tu es désormais totalement libre, puisque tu t’es entièrement déployée.
Communication endogène. Intériorité. Particulièrement au sujet de la mort de la mère. Outre la culpabilité de n’avoir peut-être pas été un bon fils pour elle, cette conscience oblige à la lucidité, à la vérité d’un propos. Le temps archive mais il ouvre aussi, met en lumière, éclaire le monde présent.
Quand j’ai appris au téléphone que ma mère venait de mourir, je n’y croyais pas, ça ne pénétrait pas, ça a été un mouvement descendant comme quelque chose qui tombe d’un coup et lentement, des yeux qui se ferment à l’intérieur, une trappe au sol qu’on referme. L’entrée dans le révolu et la tristesse qui va avec.
Pour conclure, je dirai deux mots au sujet de la flèche (comprise comme ordonnance linéaire du temps). Elle n’existe que par le vide qu’elle traverse et la pression qui la fait naître. Elle n’existe qu’à la condition d’un laps de temps qui à lui seul la justifie comme flèche, prise entre la tension de l’arc et la cible. Le présent est de cette espèce. Il n’existe que fermé par le passé et l’avenir, l’arc et la cible. Et il a besoin de créer un vide où passé et avenir peuvent cohabiter. C’est donc du temps pur, un temps qui n’existe pas sinon à être cerné par la prosodie du poète. Et l’écriture est cette flèche, témoignant d’un temps linéaire, d’un temps augustinien.
Didier Ayres
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