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Les Livres

Comme les amours, Javier Marías (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Novembre 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Espagne, Folio (Gallimard)

Comme les amours, Javier Marías (Los enamoramientos, 2011), Traduit de l’espagnol par Anne-Marie Geninet, Folio 421 p. Edition: Folio (Gallimard)

Le temps est une affaire vertigineuse. Dans l’axe, seul le passé existe. Le futur est hasardeuse spéculation. Le présent une pure fiction. C’est la ligne continue qui traverse ce sombre roman, ce presque roman noir. La mort (violente en l’occurrence) fige une histoire dans le passé. L’histoire est alors saisissable, elle a un début et une fin, l’observateur sait ce qu’il en est de la narration du mort. C’est la position du lecteur de biographies : Baudelaire est né, il a vécu, il a souffert, il a aimé, il a écrit, il est mort. Baudelaire est lisible, il appartient au passé, du moins par sa vie, son œuvre, elle, continue par un miracle que seul le génie peut produire.

Luisa, l’épouse, et Maria la narratrice sont désormais en aval de Miguel, assassiné sauvagement, tailladé au couteau papillon par un inconnu. Et en aval, il n’y a évidemment plus Miguel. Le temps de Miguel est clos, tellement clos qu’un retour (impensable) de Miguel serait un cauchemar aussi terrible que sa mort. Non pas que son épouse, Luisa, ne le regrette pas - elle est au contraire écrasée par sa disparition, incapable de s’en relever malgré ses deux enfants – mais parce que le temps ne permet pas de manquement à ses règles : ce qui est clos est clos, provoque un ordre nouveau et une faille dans cette règle serait le pire des désordres.

Les Rois d’Israël. Saül, David, Salomon. Essai comparatif, Dominique Briquel (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 04 Novembre 2025. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Histoire, Les Belles Lettres

Les Rois d’Israël. Saül, David, Salomon. Essai comparatif, Dominique Briquel, Paris, Les Belles Lettres, juin 2025, 308 pages, 27 € Edition: Les Belles Lettres

En 1938, la Revue de l’histoire des religions fit paraître un article toutes proportions gardées aussi important que celui d’Albert Einstein publié trente-trois ans plus tôt dans les Annalen der Physik : « La préhistoire des flamines majeurs » de Georges Dumézil. Outre ses résultats immédiats, cet article eut le mérite de montrer qu’on pouvait atteindre dans le domaine des sciences dites « humaines » un degré d’exactitude aussi élevé que celui dont se prévalent les sciences dites « exactes » et, par conséquent, qu’il est faux d’affirmer comme le fera Louis Pauwels dans un mot plus spirituel qu’exact, que « les sciences humaines se disent sciences comme le loup se disait grand-mère ».

La correspondance onomastique entre le latin flamen et le sanscrit brahman avait été aperçue depuis fort longtemps, mais personne n’était parvenu à dépasser cette similitude phonétique. Dumézil montra qu’il existait bien un ensemble de correspondances précises, à condition qu’on s’intéressât non à une réalité isolée, particulière, mais à une structure d’ensemble (« cette proche parenté ne se réduit pas au vocabulaire, mais s’étend à la structure de la religion », écrivait-il en 1958 dans un premier livre-bilan, L’Idéologie tripartie des Indo-Européens).

Les innocents et La rue, Francis Carco (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mardi, 04 Novembre 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Les innocents et La rue, Francis Carco, Livre de poche

 

En quoi Maurice, dit Le Milord, est-il « innocent », qui ne retourne voir sa mère que pour dévaliser sa vieille voisine ? Et Mlle Savonnette qui se prostitue ? Et le frère de celle-ci, N’a-qu’un-œil, proxénète de sa sœur ? Est-ce leur âge, entre quatorze et dix-huit ans, qui en fait « Les innocents » au sens d’inconscients ? Marginaux, ils savent qu’ils le sont, ignorant pourtant que ce n’est pas nécessairement par nature et que dans un monde qui leur aurait donné leur chance, ils auraient pu avoir une autre vie. La faute véritable est du côté de ceux qui, ayant le choix, exploitent la faiblesse de ceux qui ne l’ont pas.

Or, dans Les innocents, ce sont deux femmes, qui se révèlent bien plus dangereuses pour les adolescents en perdition que toute la clique de Nénesse, M. Albert, Tatave et autre Mes fesses que fréquente le Milord. Plus dangereuses, même, que l’Édredon, son modèle parti au front. Car Béatrice la peintre et Winnie la romancière dissimulent, sous leur aisance financière, un goût de la manipulation bien plus destructeur que les coups échangés entre bandes.

Griffes 24 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux , le Lundi, 03 Novembre 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

 

Jouer le jeu, Fatima Daas. De l’Olivier. 192p. 20€

Le second roman de Fatima Daas a été très commenté, presse, radios, réseaux. Moins de deux cents pages, une couverture digne d’une IA. Il aura un prix. On partage les émois d’une jeune fille de banlieue sur un peu plus de trois années. Soixante-dix pages l’année c’est donné.  B Nous allons rencontrer la grande sœur sympa, le meilleur copain homo-en-Bac-Pro-Coiffure, la maman courage. Parler un peu du père absent (O.), de rap et de Justin Bieber, de règles et de fast-food. Kayden ayant échappé au CAP découvre en seconde qu’elle peut utiliser le Français pour espérer « plus ». Bons sentiments, pointe d’acidité, on a l’impression de voir un faux jogging Kiabi taillé sur mesure. Ce livre est-il une blague ? Il commence dans un registre niaiseux/bécasse, rédigé dans une langue d’une pauvreté remarquable, une sorte de caricature du livre recommandé par un CDI (la bibliothèque interne des lycées et collèges) sans imagination.

33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Richard Hoggart (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 16 Octobre 2025. , dans Les Livres, Recensions, Essais, La Une Livres, Iles britanniques

33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Richard Hoggart, trad. Claude et Christiane Grignon, préf. Bernard Lahire, 432 p., éd. Hors d’atteinte, 2025, 21 €

 

Transfuge de classe

Richard Hoggart, né en 1914 dans une famille ouvrière de Leeds est décédé en 2014. En 1976, il a dirigé le Goldsmiths College de Londres. Il est considéré comme l’un des fondateurs des cultural studies. Son ouvrage admirable, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, publié en 1988, est considéré aujourd’hui comme fondamental pour la sociologie, et figure toujours dans les programmes universitaires. Son influence a été majeure pour la sociologie française.

Le grand sociologue anglais, par ce récit autobiographique singulier, inaugure une archéo-anthropologie pionnière de la classe ouvrière, elle dont l’histoire s’enfouit avec la mort de ses membres : « À part ce qui est transmis oralement, les classes populaires n’ont presque aucun sens de leur propre histoire ; et cette histoire est en général décousue, confuse et vite perdue lorsqu’ils remontent à des années qu’ils n’ont pas enregistrées ».