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L’impartagée, Joël Mansa (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 18.08.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

L’impartagée, Joël Mansa, préf. Thibault Biscarrat, éd. Le Nouvel Athanor, 2025, 102 p., 18€

L’impartagée, Joël Mansa (par Didier Ayres)

 

Se recueillir, voilà à quoi confine le dernier recueil de poésie de Joël Mansa. Car le sentiment esthétique se lie ici au sentiment moral. J’y ai vu pour ma part une accointance avec l’univers de Charles Juliet, c’est-à-dire un style fluide, sans enflure, juste cependant, plein et dissert, une appréhension de la vie simple dans son âpreté, et le sentiment d’avoir échappé au pire. Donc, une voix claire qui sait dire ce qu’elle a à dire (aspect tautologique du Gardeur de Troupeau de Pessoa ?). Ce qui nous mène malgré tout vers une métaphysique.

L’impartagé reste ce qui se partage néanmoins dans le poème, en marge, comme l’on partage le silence dans l’amitié complice, comme est la part commune de la parole. Ce hors champs devient, selon son rythme poétique, un lien avec l’impartagé existentiel. Lien susceptible de partage - y compris pour celui qui cherche le silence -, vérité presque inaudible du poème refusant le tout venant du langage, préférant chercher, quitte à expliquer en quoi il est définitivement impartageable dans sa puissance radicale, dans sa puissance.

Abandonner mon écorce, la gangue qui m’emprisonne,

est ma seule espérance.

Je prie tout ce qui est vivant et libre de me venir en aide,

je prie le ciel et la terre,

tous les nerfs à vifs dressés comme des mâts,

j’abrite une ruche qui attend un signe pour frémir et ouvrir le ciel

à tous les carillons, à toutes les fanfares de l’âme,

à l’amour qui ressemble au vent du large,

cinglant d’embruns et de becs affamés tout autant que je suis affamé.

Techniquement, ces poèmes sont précédés par des citations nombreuses, lesquelles indiquent un chemin plutôt qu’une justification, car la route du poème est meuble, elle n’est pas un trait net sur les choses mais une composition difficile sur ce qui est à la pointe du partage avec le lecteur. Nous sommes peut-être plus dans le monde des idées, corrélation avec l’impartagé, avec l’entièreté des images de la fameuse caverne de Platon. Chaque poème se nourrit de sa propre subjectivité, son idée principale, une totalité d’une communion qui inclut ce qui résiste au langage de l’échange.

Le poème reste une adresse, un adressage verbal, un adressage éthique, empreint d’une question morale : faire enchère avec autrui (au risque d’en venir à l’insondable). Lire implique un lecteur, lui donnant accès aux grands thèmes moraux de l’homme occidental : la mort, la vérité, le surcroît du langage. Donc, ici, peu d’images, peu de qualificatifs, beaucoup de mises en demeure philosophique, peut-être proche d’Henri Meschonnic et de sa traduction de la Bible.

Je sais bien que la vie se joue de nous,

et que rien ne me préserve d’entrer dans cette gueule immonde

de la peur de mourir,

et c’est pourquoi je cultive incessamment l’idée

qu’il faut parler aux morts tout autant qu’aux vivants

pour être des deux mondes toujours reconnaissant.

Conclure ici avec une formule en soulignant une inquiétude profonde de l’être ; personnellement quand on me pose la question du désespoir je réponds ainsi : Je suis un désespéré qui espère. Voilà peut-être le sentiment que je retire de ce livre, unir les grands sujets humains à une pensée à la limite du communicable, et cela pour le bien et le bien-fondé de la poésie.

 

Didier Ayres



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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.