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Journal d’un départ – Photographies de Bretagne, Jean-Michel Aubevert (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 19.08.25 dans La Une Livres, Les Livres, Arts, Recensions, Le Coudrier

Journal d’un départ – Photographies de Bretagne, Jean-Michel Aubevert, Photographies : Joëlle Aubevert, Éditions Le Coudrier – Mai 2024, 114 pages – 22 €

Edition: Le Coudrier

Journal d’un départ – Photographies de Bretagne, Jean-Michel Aubevert (par François Baillon)

 

Jean-Michel Aubevert nous guide dans cet ouvrage à l’aide d’un bref avant-propos où il nous dit entre autres : « Ainsi louvoyons-nous entre le réel et le vrai, entre ce que nous vivons et ce que nous en concevons. » (p. 3) De ce qu’il résume d’une expérience humaine, il tire son propre témoignage des faits et de ce qu’il observe. Et, visiblement, ce témoignage doit tendre pour lui vers une forme qui lui paraît une des plus valables, si ce n’est la seule valable : le poème.

Le fait est que nous sommes bien ici dans une langue hautement poétique, où les sonorités sont travaillées, voire malaxées, de telle façon que le résultat doit en être une sculpture précise, tout en étant généreuse pour les sens. Il se peut, d’ailleurs, que le poète se laisse parfois trop aller à cette volonté musicale, à ce jeu accentué avec les phonèmes.

Mais si telle est l’impression au cours de quelques instants, nous sommes vite rattrapés par les sujets qu’il aborde, par le regard incisif – signe d’une expérience véridique – qu’il porte sur certains d’entre eux, et par sa capacité à regarder avec émerveillement, au-delà de toute notion de temps, ce qui s’offre autour de l’existence humaine et au fond d’elle-même : « Il n’est que trop temps de revenir sur terre, avant que les enchantements du vivant ne se dissipent sous l’effet de notre industrie. Ceci est la vie et sa création. » (p. 33)

Ce n’est pas qu’une tentative : Jean-Michel Aubevert se réconcilie avec les charmes de la vie, ses joyaux visuels, ses éléments indomptables et toujours renouvelés, au contact de la Bretagne. Ce journal est divisé en deux parties : « Avant Bretagne » et « Bretagne ». Est-ce la découverte de cette région qui l’a rendu poète ? Ou plutôt, est-ce la Bretagne qui l’a enfin révélé à sa véritable mission ? Dans la première partie, le poète revient à plusieurs reprises sur sa jeunesse, sur le peu de liens qu’il entrevoit avec sa famille, sur sa soumission à suivre une voie prédestinée pour lui : la voie religieuse. Il a beaucoup à dire sur les préceptes de la foi, sur ses contraintes avilissantes, humiliantes, sur son rejet du corps, ce qui n’a pas manqué de lui laisser des blessures profondes. Est-ce ce parcours non choisi, l’ayant marqué au fer, qui lui fait dire : « J’observe combien les logiques qui prévalent en ce monde le mènent à sa perte, et combien l’ordre est son pire ennemi, en sorte qu’il convient d’abonder dans son sens pour le précipiter à sa perte. » (p. 30) ?

L’étonnement surgit à la lecture de ce journal sans date, où s’impriment des réflexions et des réminiscences suivies, des paragraphes formant apparemment un ensemble, brusquement coupés par une image, celle du poète (toujours) – c’est bien là le principe d’un journal, après tout. Et dans cette image, sont mêlés presque systématiquement la pensée métaphysique et l’éblouissement face au réel – les simples observation et écoute de la mer, de la nature, du détail qui s’y loge, conditionnent l’apparition d’une porte vers un pays merveilleux, qui est déjà sous nos yeux. On est caressé par une atmosphère de royaume des fées. On a beau avoir été écorché, on n’en recherche pas moins la beauté : « Leur duo [deux oiseaux blancs] planait au-dessus de ma tête comme l’imposition d’une aile, et j’étais d’entre les créatures qui évoluaient dans leur cercle comme dans la nature de ces lieux, en bordure de la ligne où je me frayais un chemin, sur le pas des lendemains, un signe de la main. » (p. 76)

La Bretagne est devenue le lieu de la quiétude pour le poète. Pourtant, même un tel lieu a ses travers, puisque même en ces lieux, l’homme veut des changements : « Il me sembla que s’étaient évaporés les chemins de poussière où venait bourdonner la lumière à l’improviste des bruyères, que tout était tracé, borné, fléché, qu’en ces lieux où je buissonnais à l’aventure dans l’arrière-pensée des légendes, comme à l’horizon du rêve, la sauvagerie même s’était évanouie, le naturel, chassé. » (p. 83) Même en ces lieux, le passé ne disparaît jamais totalement : « … je me souviens des coups sur la tête, de la trempe que signifie un père, de l’index sur la tempe que signifie la psychiatrie. » (p. 78) Néanmoins, rien ne semble surpasser cet environnement quant à une réconciliation avec les saveurs existentielles : « La maison me changeait de souvenirs de famille et d’ancienneté, me contait sa contre-histoire. » (p. 90)

Ce journal s’accompagne des photographies de Joëlle Aubevert, suffisamment évocatrices, dans leurs couleurs et dans ce qu’elles représentent, pour s’associer pleinement à l’art poétique, très singulier, de Jean-Michel Aubevert. Rappelons-le peut-être : les images qu’il fait naître, grâce au maniement filaire et obsessionnel des mots, frappent notre imagination, la déstabilisent, pourraient agacer les moins patients. Fort heureusement, le poète nous parle de son vécu et nous accorde la permission d’être liés à son histoire. Il semble alors que, pour échapper à ses tourments, le poète n’ait pas voulu concevoir autre chose que des pensées basées sur le réel, sur le renouvellement perpétuel de ses sortilèges – ce que la nature sait très bien faire. Et tout comme la nature tisse ses merveilles, chatoyantes ou déchaînées, sans discontinuer, le poète ici s’engage dans une trame, voudrait s’engager indéfiniment dans la trame de son verbe chanté.

Cet ouvrage, initialement publié en 2016, a été réédité en 2024.

 

François Baillon

 

Jean-Michel Aubevert (1952-2024) est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, essentiellement poétiques. On lui doit également un récit très personnel, Lettre à un jeune paroissien, où il revient ouvertement sur la maltraitance au sein du milieu clérical. Outre plusieurs collaborations à des ouvrages collectifs et anthologies, il est également le préfacier de plusieurs volumes publiés aux Éditions Le Coudrier, signe de l’attention portée à ses contemporains poètes.



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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.