Les Cavales, 2, Hervé Micolet (par Didier Ayres)
Les Cavales, 2, Hervé Micolet, éd. La rumeur libre, 236 p., 2025, 20 €

Je résumerais l’essentiel du dernier recueil d’Hervé Micolet, tentative profuse et audacieuse, par le terme de plain-chant. Car, ce n’est pas un rhapsode qui écrit, mais un musicien qui compte avec exactitude le rythme voulu du poème, d’un chant à une voix. Les poèmes sont donc résolument tournés vers des formes anciennes ou archaïques. On est davantage à la Renaissance ou l’Antiquité que dans une écriture post-moderne (à moins que cette tentative signifie justement une post-modernité). J’admire le travail dont ce livre fait l’objet, lequel conserve une cohérence et une continuité où l’on devine un labeur important, un travail où chaque strophe pourrait s’apparenter à un neume. Cette « partition » est tournée vers un ailleurs, un autre temps (et l’on sait que l’œuvre d’art met en danger le temps). En bref, c’est une langue voluptueuse et recherchée.
Je me suis aussi occupé durant ma lecture de relever des mots pour eux-mêmes, en notant ceux précédés d’une majuscule, noms propres ou communs. Ainsi, j’ai vu en quoi les poèmes sont ici des odes héroïques, ou parfois anacréontiques. Je cite : Notre-Dame, Bacchantes, Sorcières, Déesse, Reine d’Éthiopie, Vierges phytiques, Venus, Mère cybéléenne, Filles du feu, Aphrodite, Ménades, Sphinge, Naïades, Néréides, autant de figures capables de justifier l’adresse héroïque, des odes à la présence féminine, et ma liste n’est pas exhaustive. Tout cela bénéficie à l’écriture.
Vergine bella, vierge qui couche
avec des seins gonflés de lait
dans son grand manteau en croix ouvert,
vierge belle [qu’angoisse et peine
mènent à voir quand même
pour un peu de son aide d’autrefois],
s’allant voir ceux-là mêmes qui l’ont conçue,
des besogneux & des docteurs de la foi
dans la sainte église où même l’impie
se rend, ceux qui sont des mâles
et font les courtois, s’avisent
de cette dame-là.
Cette poésie, qui fréquente l’archaïsme, l’antique, le renaissant, le médiéval, liée parfois à notre modernité (train, automobile, avion), permet de plonger dans un univers très stylé, très personnel. Il y a un peu des Chants de Bilitis, mais sans l’hétéronymie. Dans le domaine de la peinture, nous sommes dans Titien peignant Amour profane et amour sacré, ou dans Venus et Mars de Botticelli, ou dans l’iconographie du Roi boit. Pour la musique, on penserait volontiers à Pelléas et Mélisande, ou au Sacre du printemps, ou encore au Prélude à l’après-midi d’un faune.
En général il s’agit souvent de topographies, de toponymies, de lieux et de personnes, de nominations, de nomenclatures, de désignations, d’utopie poétique, de croyance et d’existence livresque. Et cette écriture est celle d’une seule voix, d’un seul œil-caméra comme on le dit au cinéma.
Quoi qu’il en soit, cette poésie cherche, reste neuve à chaque instant, interpelle avec son étrangeté stylistique. Nous sommes dans une écriture qui a dépassé l’ère du soupçon. Une langue qui a confiance en elle-même. Une chanson de geste d’aujourd’hui. Une poésie de Troubadours. Quelque chose comme un lais médiéval.
Écume de la mer, gens sans mères ni pères,
engendrés de la mer et nourris d’écume
et qui ne se peuvent jamais arrêter
en aucun lieu, qui n’auront de cesse
de monter sur la terre et sur la mer
afin de régner, détruire, gens
venant du soleil, couverts de poils
et portant le titre de Chrétiens, avides
de souffrir, faire souffrir.
Didier Ayres
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