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Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 05 Octobre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Une révolution dans la pensée, Jean François Billeter, éditions Allia, août 2023, 64 pages, 7 €

 

Une révolution dans la pensée ?? Pas moins ??!… Et par un homme seul, pour un projet global et dans un opuscule d’une cinquantaine de pages ?! On peine à le croire, mais, à le lire, le contenu est riche, le pari est tenu, l’affaire est passionnante. Voici en quoi.

Il faut une révolution, en effet, c’est-à-dire il faut retourner la catastrophe en cours : sans un nouveau commencement (une sorte de mutation personnelle, partagée de proche en proche, y pourvoirait), l’aventure humaine est finie, l’affaire est pliée. Et révolution dans la pensée, car la pensée est le pouvoir le plus général, le plus accessible, le plus proche (il suffit que chacun fasse l’effort de se servir de lui-même) : la pensée est en effet le pouvoir de se représenter ce qui importe, elle est la liberté de comprendre dans l’exigence de vérité. La vérité n’est pas ici un contenu, mais une exigence (un Trump, par exemple, ou un Poutine, ne pense pas, car il n’exige pas la vérité de son propre discours ; il ne pense pas, il se parle – surtout de lui-même – à voix haute, et fait vivre ce qu’il veut réel, sans tenter d’éclairer ce qui rend réel ce qu’on vit).

Grand Saint Vincent, Éric Sautou (par Marc Wetzel)

, le Jeudi, 21 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Grand Saint Vincent, Éric Sautou, Editions Unes, juin 2023, 104 pages, 19 €

C’est un livre important et particulièrement périlleux. Des trois parties du recueil, la première (la plus longue, et redoutable), titrée Le Pont noir – et sous-titrée « Jeffrey Dahmer » au sommaire – s’avance comme l’expression lyrique d’un tueur en série bien réel et spécialement répugnant – charcutier virtuose et cannibale – des années 80-90. Le malaise du lecteur n’est donc pas feint, l’audace du poète est sans précautions. Voici ce qui se passe et ce qui s’énonce dans ces pages occupant les trois-quarts du tout. Quelqu’un de jeune – qui dit de plus en plus ouvertement « je » – torture d’abord de jeunes animaux (mulots, écureuils, divers oiseaux), en montrant lentement (mais méthodiquement) sa « force ».

Plus loin, il demande « l’autorisation » (sinon parentale, du moins éthico-sociale) de brûler sa propre maison (pouvant s’approcher, on l’entendrait dire « s’il vous plaît », en transportant ses bidons, et tenant sa torche). Il déclare « dormir de peur », et s’en explique : lui, l’homme poly-craintif, n’a jamais peur dans l’ombre, et se retrouver, dans l’inconscience, ainsi à l’ombre de lui-même, l’apaise. Il boit sans mesure (il jette de l’acide sur ses entrailles, comme, dit-il, au-dehors on soulèverait des pierres pour les jeter au ruisseau). Il est ému par la beauté, mais elle ne reste pas ; même quand il la laisse faire, quand il ne lui résiste plus, quand à l’évidence elle vit davantage que lui, elle ne reste pas. Sur ce qui est meilleur que lui – et c’est à peu près le monde entier ! – il ne sait pas, voilà tout, compter.

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Essais

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos, Editions du Cerf, mai 2023, 208 pages, 18 €

La philosophie est née au VI-Vemes siècles avant Jésus-Christ, sur la côte ouest (qui parlait alors grec) de l’Asie Mineure, pour des raisons historiques qu’elle n’aime pas trop (elle, pourtant, la spécialiste de la « raison ») détailler. On parle souvent de « miracle grec », et la philosophie s’en estime souvent – davantage que la géométrie, l’historiographie, la médecine, le théâtre, la politique etc., nés là en même temps qu’elle –, le prodige central, voire le maître d’œuvre. Elle se croit volontiers sortie de la cuisse d’un Logos jupitérien, et, pour parler franchement, la philosophie n’examine pas volontiers la raison de la Préhistoire parce qu’elle estime, au fond, que la raison même, avant elle, n’était que dans sa préhistoire ! L’auteur démonte cette prétention en faisant prendre, lucidement, à la philosophie le « risque » de saisir son propre enracinement préhistorique en général – et Néolithique en particulier. Un peu comme l’exégète honnête de la Bible remarquerait en passant que si la faute originelle relève encore de l’âge de la cueillette, le premier meurtre concerne sans transition, sans même y penser, ni a fortiori penser ce que la possibilité même de sa mise en récit même leur doit, les deux figures majeures du Néolithique (l’agriculteur Caïn et l’éleveur Abel) ; mais une théologie au risque de la préhistoire serait une tout autre affaire.

Lits, Demain je vais alors m’absenter, Jean de Breyne (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 08 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Lits, Demain je vais alors m’absenter, Jean de Breyne, Propos Deux éditions, avril 2023, 118 pages, 14 €

 

« c’est pour se lever oui,

il faut déplier le corps

couché horizontal rouler

sur soi jeter les jambes.

je porte ma main là

au point de la douleur,

je lève la tête, la lumière

le jour est levé, est autre,

c’est le jour des décisions,

c’est bien un jour du réel,

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 01 Septembre 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dictionnaire paradoxal de la philosophie, Penser la contradiction, Pierre Dulau, Guillaume Morano, Martin Steffens, Éditions du Cerf, octobre 2022, 760 pages, 34 €

 

La fameuse réplique de Churchill à une dame acariâtre (qui venait de lui lancer publiquement : « Si j’étais votre épouse, monsieur, j’empoisonnerais votre verre de whisky ») : « Et moi, madame, si j’étais votre époux, je le boirais » – dit merveilleusement la puissance révélatrice de la négation humaine, et l’usage décisif du paradoxe. Le paradoxe, c’est l’auto-contradiction féconde, l’alliance éclairante et lucide d’incompatibilités aveuglantes, le conflit victorieux d’une raison avec elle-même. Pas une simple astuce rhétorique (« saper le sens pour faire sens »), mais la soudaine révélation d’une contradiction qui nous hantait, et que notre pensée qui l’assume dépasse. C’est comme la simple visite d’une impossibilité logique qui saurait souligner la réalité de sa porte d’entrée cachée. C’est comme un lapsus expérimental (si mon inconscient fait des siennes, en quoi est-il mien ? mais si j’ai dû choisir ce que j’exclus de pouvoir penser, en quoi est-il inconscient ?), un non-être partant à l’aventure, un « tremblé » de la possible construction du vrai.