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Terres, Marwan Hoss (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 06 Juin 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen

Marwan HOSS - Terres - Arfuyen, 96 pages, juin 2023, 13€

 

"Terres" ... Le plus beau mot du monde (en tout cas le plus hospitalier, le plus fondateur, le plus familier) est ici mis, par le titre, au pluriel. Pourquoi ? Pour multiplier les sites de vie de rechange possibles ? Pour suggérer que chacun voit la planète au bout de son nez, et du fond de sa rue ? Pour assurer sols de réception innombrables à notre inévitable chute ? Pas du tout. Marwan Hoss n'écrit pas pour nous alerter (c'est de toute façon trop tard), ni non plus pour nous consoler (chacun est toujours assez doué pour se mentir), mais parce que chaque court poème est ici une petite terre de mots, oui, exactement une terre (et non un ciel, une mer, une lune, car aucun de ces trois ne formerait socle, habitacle, ni mémoire) de mots. "Terres" sont donc pays de mots, car ces mots - toujours simples, communs, courants - sont là, à chaque page, pour former pays, c'est-à-dire contrées où notre action se sente chez elle, que cette action soit, respectivement s'élever, flotter, cueillir ou même fuir :

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 26 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin, Éditions Québec Amérique, janvier 2023, 144 pages, 16 €

« À ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.

Une semaine plus tard, tandis que nous nous amusions à sauter du petit quai aménagé sur la rive de l’Étang-aux-Oies, mon frère a éprouvé un bref malaise qui durant quatre ou cinq secondes lui a fait perdre conscience. J’ai vu ce corps déjà vigoureux s’enfoncer comme une pierre dans l’eau bleutée. Quelques mouvements de brasse ont suffi pour le rejoindre. Il ne m’a pas été tellement plus difficile de l’agripper et de le ramener, sain et sauf, sur la plage. Mais les paroles qu’il m’a soufflées à l’oreille dès son retour à la vie consciente demeureront elles aussi à jamais inscrites sur le petit tableau noir accroché au fond de ma mémoire : “Pourquoi m’as-tu sauvé ?” a-t-il dit. Et c’était comme si j’avais ramené à la vie un fantôme dont les chaînes allaient tinter, désormais, dans les moindres recoins de ma vie, de ma raison, et derrière chacun de mes pas » (p.14).

La souveraineté du bien (The Sovereignty of Good), Iris Murdoch (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 17 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La souveraineté du bien (The Sovereignty of Good), Iris Murdoch, Éditions de l’Éclat/Poche, janvier 2023, trad. anglais, Claude Pichevin, 192 pages, 8 €

 

Ce titre (abstrait, ronflant) ne doit ni rebuter, ni faire peur : il ne cherche pas du tout à nous intimider, mais à nous faire réfléchir sur ce que, dans nos vies, nous respectons ou non inconditionnellement. De plus, la division du recueil en trois articles séparés ne menace en rien son unité, car chaque article examine une des caractéristiques de cette souveraineté (problématique) du Bien. « Souveraineté » (le terme anglais sovereignty vient lui-même du français depuis le XVIème siècle, et a exactement même sens), c’est en effet trois choses : une autorité (une aptitude à se faire obéir, comme foyer de légitimation et de justification des libertés sous son commandement), une suprématie (l’instance souveraine n’a rien au-dessus d’elle dans son domaine propre, elle est indépendante des instances qu’elle supervise, qu’elle peut donc juger et réguler), et une excellence (toute souveraineté tient sa noblesse et son rang élevé de sa fonction même d’anoblir, élever ou perfectionner ceux sur lesquels elle s’exerce) : il ne peut donc y avoir  de souveraineté bafouée (ou négligeable), subordonnée (ou dépendante) et vile (ou médiocre).

Dans la solitude inachevée, Marc Dugardin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 11 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dans la solitude inachevée, Marc Dugardin, éditions Rougerie, avril 2023, 80 pages, 13 €

 

Tout poète est une sorte de Pythie lucide et prudente. Pythie parce qu’il constate une espèce de « dictée des mots » en lui, dont – dit Marc Dugardin – il se sent « tributaire », puisque sa propre expression prend en route ce quelque chose qui parlait déjà en lui. Mais lucide, parce qu’il sait bien que ce discours intérieur n’est peut-être qu’un bavardage inspiré, une révélation pour rire, au mieux un rêve un peu tenace. Et prudent parce que, même si une musique verbale s’amorce et s’avance en lui avec ferveur, il n’est pas bon de se laisser tout dire : si écrire ne servait pas la vie, ou même (par diversion, ou imposture) la trahissait, pourquoi lancer encore au large sa petite bouteille de mots, l’espérant un jour recueillie (comme dit Paul Celan) sur la « plage d’un cœur » lointain ?

Par le titre de son recueil, le poète belge Marc Dugardin (76 ans) répond ceci à son lecteur : parce que deux solitudes valent mieux qu’une, si et quand, du moins, aucune ne prétend achever (enclore, accomplir, faire cesser) l’autre.

La Dernière Amitié de Rainer Maria Rilke, suivi des lettres à Nimet Eloui Bey et Les derniers mois de Rilke, par Genia Tchernosvitow, Edmond Jaloux (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Avril 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La Dernière Amitié de Rainer Maria Rilke, suivi des lettres à Nimet Eloui Bey et Les derniers mois de Rilke, par Genia Tchernosvitow, Edmond Jaloux, Arfuyen, mars 2023, 132 pages, 15 €

La courte 4ème de couverture résume parfaitement les circonstances et l’objet de ce livre :

« Dans les premiers jours de septembre 1926, à l’hôtel Savoy de Lausanne, Rilke fait la connaissance de Nimet Eloui Bey. Son père, Achmed-Khaïri Pacha, a été premier chambellan du sultan d’Égypte Hussein Kamal. Sa haute stature et son élégance naturelle attirent sur elle tous les regards. Mais plus encore, ce qui la rend fascinante, c’est la terrible lucidité et l’inquiétude spirituelle qu’on sent en elle ».

La présence de Nimet Eloui Bey illuminera les derniers mois de Rilke. « Tout à la fin de septembre, raconte sa dernière secrétaire, une amie, dont il disait qu’elle était la femme la plus belle du monde, était montée de Lausanne le voir dans sa tour. Il avait tenu à cueillir lui-même des roses de son jardin pour en mettre partout dans “sa” maison ». Il s’égratigna sur une épine et sa santé se dégrada subitement. Rilke mourut de leucémie trois mois plus tard, le 29 décembre 1926.