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Articles taggés avec: Wetzel Marc

Jérusalem, William Blake (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 05 Juillet 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen

Jérusalem, William Blake, Arfuyen, mai 2023, édition bilingue, trad. anglais, Romain Mollard, 192 pages, 17 €

 

« Quel est ce talent qu’il ne faut point cacher sous peine d’être maudit ? » (p.141)

(« What is that Talent which it is a curse to hide ? »)

Comme dit Spinoza, « l’homme pense ». Il est, parmi les vivants terrestres, celui qui cherche à se représenter comment s’y prend ce qui se passe, et à quoi joue le réel. C’est l’être qui se représente les causes possibles, et les fins permises. C’est à ce titre que l’homme, comme il est localement seul coupable de toute dysharmonie terrestre (comme le prouve notre crise écologique majeure), est aussi responsable globalement de l’harmonie universelle – étant seul, de l’univers connu, à pouvoir l’observer et la mesurer. Et, responsable, il l’est collectivement et rationnellement : il y a, pose Blake, une Humanité universelle (« Albion ») car l’espèce humaine pense par (et pour ?) tous ses membres. Les hommes (individus comme sociétés) ne pensent que les uns par les autres, et cette pensée (malgré erreurs, mensonges et illusions) est comme un dieu parmi les choses : elle est, parmi elles, comme Dieu, à la fois dans le temps et au-delà de lui, absolument simple et juge de toute complexité, le premier des êtres et par-delà l’être.

Mensch, Michaël Glück (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 20 Juin 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Mensch, Michaël Glück, Editions Faï fioc, 2022, 141 pages, 15 €

 

« On ne sait même pas les noms de tous ceux qui sont morts, mais on connaît celui de leur mort, dit Rosa en parlant de l’histoire. Une histoire de livres brûlés, de langues arrachées, de bouches brisées. Nous n’avons jamais dit que nous étions le peuple du livre, avait murmuré quelqu’un. L’aveugle avait expliqué : Nous n’avons jamais dit que nous étions le peuple de l’idolâtrie du livre. Iacob Schumacher aimait répéter cette sentence de l’aveugle malgré les propos malveillants de quelques femmes qui n’avaient cessé de lui reprocher sa liaison avec Danka Wasilewska, l’étrangère. Mais oui, le livre avait une odeur de femme ! Ytzaak Weiningen lui avait dit : Elles ne savent pas que tu gardes le livre contre l’idolâtrie du livre. Et l’aveugle avait ajouté : La chance du livre est dans la danse du livre » (p.102).

Un chef-d’œuvre a le droit de n’être pas précis, ni sobre ni conclusif – et ce livre, on vient de le voir, ne s’en prive pas ! Imprécis : l’exclusive petite communauté de Juifs d’Europe de l’Est (Rosa et Ytzaak Weiningen, Chlomo,

Terres, Marwan Hoss (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 06 Juin 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen

Marwan HOSS - Terres - Arfuyen, 96 pages, juin 2023, 13€

 

"Terres" ... Le plus beau mot du monde (en tout cas le plus hospitalier, le plus fondateur, le plus familier) est ici mis, par le titre, au pluriel. Pourquoi ? Pour multiplier les sites de vie de rechange possibles ? Pour suggérer que chacun voit la planète au bout de son nez, et du fond de sa rue ? Pour assurer sols de réception innombrables à notre inévitable chute ? Pas du tout. Marwan Hoss n'écrit pas pour nous alerter (c'est de toute façon trop tard), ni non plus pour nous consoler (chacun est toujours assez doué pour se mentir), mais parce que chaque court poème est ici une petite terre de mots, oui, exactement une terre (et non un ciel, une mer, une lune, car aucun de ces trois ne formerait socle, habitacle, ni mémoire) de mots. "Terres" sont donc pays de mots, car ces mots - toujours simples, communs, courants - sont là, à chaque page, pour former pays, c'est-à-dire contrées où notre action se sente chez elle, que cette action soit, respectivement s'élever, flotter, cueillir ou même fuir :

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 26 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin, Éditions Québec Amérique, janvier 2023, 144 pages, 16 €

« À ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.

Une semaine plus tard, tandis que nous nous amusions à sauter du petit quai aménagé sur la rive de l’Étang-aux-Oies, mon frère a éprouvé un bref malaise qui durant quatre ou cinq secondes lui a fait perdre conscience. J’ai vu ce corps déjà vigoureux s’enfoncer comme une pierre dans l’eau bleutée. Quelques mouvements de brasse ont suffi pour le rejoindre. Il ne m’a pas été tellement plus difficile de l’agripper et de le ramener, sain et sauf, sur la plage. Mais les paroles qu’il m’a soufflées à l’oreille dès son retour à la vie consciente demeureront elles aussi à jamais inscrites sur le petit tableau noir accroché au fond de ma mémoire : “Pourquoi m’as-tu sauvé ?” a-t-il dit. Et c’était comme si j’avais ramené à la vie un fantôme dont les chaînes allaient tinter, désormais, dans les moindres recoins de ma vie, de ma raison, et derrière chacun de mes pas » (p.14).

La souveraineté du bien (The Sovereignty of Good), Iris Murdoch (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 17 Mai 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La souveraineté du bien (The Sovereignty of Good), Iris Murdoch, Éditions de l’Éclat/Poche, janvier 2023, trad. anglais, Claude Pichevin, 192 pages, 8 €

 

Ce titre (abstrait, ronflant) ne doit ni rebuter, ni faire peur : il ne cherche pas du tout à nous intimider, mais à nous faire réfléchir sur ce que, dans nos vies, nous respectons ou non inconditionnellement. De plus, la division du recueil en trois articles séparés ne menace en rien son unité, car chaque article examine une des caractéristiques de cette souveraineté (problématique) du Bien. « Souveraineté » (le terme anglais sovereignty vient lui-même du français depuis le XVIème siècle, et a exactement même sens), c’est en effet trois choses : une autorité (une aptitude à se faire obéir, comme foyer de légitimation et de justification des libertés sous son commandement), une suprématie (l’instance souveraine n’a rien au-dessus d’elle dans son domaine propre, elle est indépendante des instances qu’elle supervise, qu’elle peut donc juger et réguler), et une excellence (toute souveraineté tient sa noblesse et son rang élevé de sa fonction même d’anoblir, élever ou perfectionner ceux sur lesquels elle s’exerce) : il ne peut donc y avoir  de souveraineté bafouée (ou négligeable), subordonnée (ou dépendante) et vile (ou médiocre).