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Swifts, Camille Loivier (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Septembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Swifts, Camille Loivier, éditions isabelle sauvage, 2021, 76 pages, 16 €

 

(Je n’ai eu vraiment connaissance de l’œuvre de Camille Loivier – née en 1965 – que tout récemment, lors d’un festival de poésie où son éditeur m’a, utilement, mené à ce livre paru en 2021 – mais qui me paraît suffisamment authentique et fort pour en oser ici un mot tardif)

« Swifts » : les martinets, en anglais. On connaît la vitesse concertante de leurs sifflements (ils sont si évidemment grégaires qu’un martinet solitaire ne peut qu’être malade ou égaré), leurs pattes naines (qui s’agrippent aux parois mieux qu’aux fils ou aux branches), leur haine de l’architecture moderne (seuls les vieux immeubles – ou carrément les ruines – offrent leurs trous de première intention, où foncer nicher), leur régime strictement insectivore (leur bec insignifiant n’est qu’un ouvre-gosier, qui gobe tout ce qui volète au vent ou pend à son fil) : le martinet vit et vole comme ce qu’il mange, étant simplement un insecte un peu plus massif et malin que ceux qu’il happe. Comme les mots des poètes ressemblent, à force d’expression, aux vives sensations qu’ils chassent, condensent et relancent.

Avant cela, il y avait l’ombre, Maria João Cantinho (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 03 Septembre 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Avant cela, il y avait l’ombre, Maria João Cantinho, Jacques André éditeur, Coll. Poésie, juillet 2024, édition bilingue, trad. portugais, Cécília Basílio, Patrick Quillier, 136 pages, 15 €

 

« Il est un pays ancien qui s’est blotti en moi

un pays dont je n’ai aucun souvenir

sinon de moi enfant, une langue

de soleil et d’eau collée à ma peau,

qui veut obstinément être du temps en moi,

qui veut être bouche, qui cherche l’ouverture,

qui s’écoule entre les fentes de la mémoire,

tel un oiseau aux ailes brisées.

Tourne et tourne le vent, Anne Rothschild (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 28 Août 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Tourne et tourne le vent, Anne Rothschild, Le Taillis Pré, mai 2024, 78 pages, 15 €

 

Dans un précédent livre, Anne Rothschild (née en 1943, belgo-suisse aujourd’hui gardoise, qui allie l’écriture à son travail de graveuse et peintre) voyageait dans une Chine que, soixante-dix ans plus tôt, ses parents étaient partis habiter pour raisons professionnelles, en la confiant à ses grands-parents en Europe – précaution qu’elle prit à tort pour un abandon. L’auteure venait ainsi découvrir ce lointain pays qui l’avait en quelque sorte évincée, souhaitant comprendre sur place, en s’attachant à lui, la fascination d’alors (délétère pour elle) de ses parents. C’était (Au pays des Osmanthus) un journal d’empathique confrontation, et de nuances salutaires, aigu et tendre – avec la lucidité impérieuse et douce à la fois qui émeut chez cette écrivain.

Aujourd’hui, ici, autres abandons : le vent de la vie a encore « tourné », et cette errance du sort, une nouvelle fois, tourne mal. Anne Rothschild est laissée seule, trois fois, semble-t-il : d’abord par un compagnon qui soudain reprend sa vie avec lui, repart avec tout ce qu’il avait donné en choisissant activement l’absence ! :

Cadastre des misères, Vincent Dutois (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 23 Août 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Cadastre des misères, Vincent Dutois, Le Réalgar-Éditions, juin 2024, 48 pages, 6 €

 

« On a beau le savoir mort et enseveli depuis longtemps, il entête toujours. Un chasseur aguerri raconte qu’il a mis en joue, dans les bois, une créature qui lui ressemblait presque, à la peau maïs, les mains baguées de verrues, traînant le même manteau de misère, dépenaillé ; et les chiens suaient d’effroi. La consigne dans les familles est donc qu’au cas où, s’il est parfois de retour, sous sa forme d’antan ou sous une autre, mieux vaut le fuir. Le vent, une feuille, une respiration derrière un mur, et tous s’égaient, en des envols d’écolières et des courses de vitesse ; les garçons poussent des cris de mue, lorsqu’on les surprend à la baignade ou au jeu ; l’estomac d’un jardinier sursaute à la brune au coup de muscle dans l’air d’une grive. On a beau le savoir mort et enseveli depuis longtemps, la ligue qui s’est formée au café aimerait, disent-ils, si la loi permet d’exhumer, en avoir malgré tout le cœur net » (p.44).

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 03 Juillet 2024. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le « vrai » métier des philosophes, Nassim El Kabli, Fayard/France-Culture, mai 2024, Préface Francis Wolff, 284 pages, 16 €

 

Montaigne était maire, Spinoza polisseur de verres, Bergson diplomate, Epictète esclave, Marc-Aurèle empereur ; Rousseau fut copiste de musique, Simone Weil ouvrière, Cicéron avocat… tous ces si divers métiers ne les ont pas empêchés d’être philosophes. Mais trois questions viennent aussitôt : ces métiers leur ont-ils, positivement, permis d’être philosophes ? Puis : l’activité philosophique même (indépendamment des professions de professeur, vulgarisateur ou historien de la philosophie) peut-elle être considérée comme un métier ? Enfin, comment comprendre l’indiscutable présence dans la réalité (et dans ce livre) d’authentiques philosophes par ailleurs cycliste professionnel (Guillaume Martin), braqueur de banque (Bernard Stiegler), interprète pop (Agnès Gayraud, sur la scène musicale : La Féline), ou réparateur de motos (Matthew Crawford)… : le pur et simple « métier de vivre » (dont parlait Pavese) du compétiteur, du délinquant, de l’autrice-compositrice-interprète, du médecin des moteurs… ouvre-t-il donc sûrement à l’étrange occupation de faire « vivre la pensée » (comme dit Comte-Sponville) ?