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Le poids du cœur, Rosa Montero

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 10 Février 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Roman, Métailié

Le poids du cœur, janvier 2016, trad. espagnol Myriam Chirousse (El peso del corazón, Seix Barral), 357 p. 22€ . Ecrivain(s): Rosa Montero Edition: Métailié

 

Rosa Montero sait avec adresse naviguer d’un genre littéraire à l’autre et a un certain goût pour les récits qui permettent d’interroger le présent et le destin de l’humain en nos temps incertains et passablement troublés. C’est ainsi qu’elle s’est glissée il y a quelques années dans la peau de Bruna Husky, la réplicante de combat, mi-humaine mi-machine, femme d’action soumise à la violence de ses propres questionnements sur la vie – sa vie de « rep », limitée à 10 années et construite sur une mémoire fabriquée par d’autres – mais aussi habitée d’une colère permanente contre les violences mises en œuvre, intentionnellement ou pas, par un gouvernement mondial élitiste et manipulateur qui contrôle étroitement l’information comme les personnes, humaines ou non-humaines.

Encombrée et soutenue par les faux souvenirs que son mémoriste a programmés en elle, Bruna est obsédée par le compte à rebours des jours qui lui restent à vivre (3 ans, 10 mois et 14 jours au début du récit), et fréquente plus d’humains que de « reps », malgré toutes les douloureuses ambiguïtés qu’il peut y avoir dans l’attachement entre humains et reps.

Les rimes de la confiance et de la violence (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 4

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 06 Février 2016. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Où Don Quichotte entend imposer justice et clémence et où il se fait rosser pour sa maladresse et son insolence…

Il y a dans le doux délire de Don Quichotte une violence potentielle assez radicale. Les exigences qu’il pose à ceux qu’il rencontre, de faire le bien, d’être juste, de louer celle qu’il estime louable, quelque chose qui relève à la fois du dérisoire mais aussi d’une certaine forme d’exaltation qui finit par ressembler à du fanatisme. Sinon à du fanatisme, du moins à une certaine intolérance. Les effets en sont limités par l’excès de confiance qu’il peut avoir en lui-même, en sa capacité à impressionner l’autre comme à l’excès de confiance qu’il peut avoir en la parole de l’autre.

Le jeune homme qu’il a voulu défendre contre son maître en fera les frais et verra tomber sur lui une violence redoublée une fois le chevalier parti. Quant à la compagnie à laquelle il entend faire chanter les louanges de sa belle, malgré les arguties et la lance, rien n’y fera… D’une maladresse de son cheval, voilà l’homme à terre qui, tel Grégoire Samsa métamorphosé en cloporte, est incapable de se relever, trop encombré par ce qui faisait sa puissance, cette armure dérisoire qui le cloue au sol. Il n’en faut pas plus pour en faire une victime que l’on battra à lui en rompre les os. Volonté de grandeur et de justice n’ont déclenché que violence et brutalité… dont le chevalier peut être la première victime. Dure leçon !

Bruxelles Piano-bar, Juan Carlos Mondragón

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mardi, 02 Février 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Seuil

Bruxelles Piano-bar, février 2015, trad. espagnol (Uruguay) Gabriel Iaculli, Isabelle Morvan, 407 pages, 24 € . Ecrivain(s): Juan Carlos Mondragón Edition: Seuil

 

Uruguay, début des années 90. La dictature n’est plus, mais la violence demeure, absurde et sauvage, comme à Laguna Guacha où des jeunes filles ont été enlevées, violentées et finalement assassinées. Nous découvrons un monde qui essaye de rejoindre ou de retrouver le monde « civilisé », à l’image d’un occident passablement « american way », avec stars et paillettes, avec culture et cynisme. Une autre forme de violence en quelque sorte, plus policée, plus « libérale », mais où les rapports de domination et les mises en scène ne sont pas forcément moins dérangeantes et inquiétantes.

Le remède pourrait être l’évasion. Une évasion sur place si nécessaire. Dans l’artifice d’une vie culturelle s’autocélébrant par exemple. C’est en partie ce que fait le journaliste culturel qui signe ses articles David Seurat. Mais cela ne suffit pas vraiment à Leopoldo Cea… Car par-dessus cela, sa compagne est soudainement partie pour l’Europe, pour Aix, précisément. A défaut de la poursuivre ou de chercher à la rejoindre, il échappera donc à Montevideo par Bruxelles. Mais une Bruxelles rêvée qui va planter ses racines « surréalistes » au cœur même de Montevideo. Le chat Thésée, bien bavard, n’approuve pas vraiment la manœuvre, la trouvant un peu trop facile et trop illusoire.

Un lecteur adoubé (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 3

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 28 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

 

L’on a retenu surtout du chevalier à la triste figure – ainsi qu’on le nomme quand on cherche à donner dans la référence cultivée et partagée – sa folie et son projet de chevalier galant et errant au service de toutes les causes désespérément imaginaires, déjà anachronique en ces temps reculés.Non-spécialiste de l’œuvre, je découvre que Don Quichotte se construit lui-même comme un personnage de fiction, né de ses propres lectures. Nous voilà entraînés dans une fiction à double niveau : histoire d’un personnage qui s’invente un personnage. Une lecture démultipliée : celle d’un récit qui parle de lectures. Récit dans lequel le narrateur ne manque pas non plus de s’adresser au lecteur, plus ou moins directement. Le « procédé » (les guillemets s’imposent à moi car le mot pourrait renvoyer à un vulgaire « truc » pour se mettre le lecteur dans la poche, à une astuce stylistique et rhétorique plus ou moins indigne) est toujours séduisant pour le lecteur qui se sent associé à l’œuvre en train de s’écrire, a-t-il l’illusion, alors qu’il n’est qu’en train de la découvrir. Il nous donne l’agréable sensation d’être peut-être le seul destinataire de l’œuvre, il converse avec nous par-delà les pages, par-delà les siècles. Il est vrai que le lecteur que je suis, facilement un peu exclusif dans ses attachements livresques et littéraires (mais je ne dois pas être le seul) aime cette complicité qu’il a pu rencontrer chez Diderot ou Dickens, même s’il la sait illusoire.

Dédicaces (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 2

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 23 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques, Ecrits suivis

Il est d’usage aujourd’hui qu’un auteur dédicace le livre qu’il publie, qu’il s’agisse d’un roman, d’un recueil de nouvelles, de poèmes ou d’articles, d’un ouvrage à vocation scientifique, etc. Chacun y va de sa petite dédicace à un parent, à des proches, à un maître… Et je parle bien ici de la dédicace qui est imprimée, pas celle griffonnée plus ou moins à la hâte sur un coin de table à l’occasion d’une présentation, d’une rencontre ou d’un salon du livre. On peut aussi trouver des remerciements, plutôt en fin d’ouvrage, à ceux qui ont rendu possible l’écriture et la publication de l’œuvre. Parfois il n’y a rien, ou presque rien, tant publier un livre semble devenu une chose somme toute ordinaire, banale. Combien de livres sont en effet publiés, exposés quelques semaines, pour finir par repartir au pilon ? Beaucoup. Trop. Notre temps a, il est vrai, érigé le gaspillage en art de vivre. Il n’en était pas de même au temps de Cervantès où publier un livre était réservé à bien peu, tout comme les lire sans doute. Etre édité relevait d’un privilège et nécessitait reconnaissance et protection, soutien. Imagine-t-on aujourd’hui une œuvre éditée devant rendre autant d’hommages et de remerciements, de dédicaces – pour nous, bien obséquieuses – que le fait Cervantès ? L’on rirait sans doute d’une telle flagornerie, espérant qu’au moins leur auteur le fait par dérision, par humour, craignant trop que la flagornerie ampoulée, hors d’âge et hors de propos, nous procure une honte étrange : celle du lecteur vis à vis du livre qu’il a entre les mains.