Identification

Articles taggés avec: Ayres Didier

Music-hall, Jean-Luc Lagarce (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Février 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Music-hall, Les Solitaires intempestifs, 2017, 64 pages, 12 € . Ecrivain(s): Jean-Luc Lagarce

 

Théâtre de la présence

Si je devais qualifier d’une seule épithète Music-hall de Jean-Luc Lagarce, je dirais le plaisir, le plaisir de la langue. Car au centre de ce travail pour la scène, le langage fructifie. Ainsi, les réflexions qui m’occupaient durant cette lecture, relevaient plus du champ de l’expression écrite que du saisissement par une histoire, par une diégèse. De ce fait, la pièce est rédigée presque exclusivement à la troisième personne du singulier. Cela présage donc d’une distance, d’un endroit où le personnage se confronte à une chose étrangère. Cette distanciation joue un rôle dans l’intrigue et importe dans cette intrigue langagière.

Cette langue en tout cas est la seule capable de révéler cette inquiétude du présent, d’un auteur atteint d’une maladie incurable et mortelle. Inquiétude qui fait le ferment de l’instant, augmentant la surface des acteurs, inquiétude profonde du passage du temps. Cette angoisse latente est consubstantielle à l’identification par la parole du dramaturge. Le personnage désigne et est désigné. Il montre une douleur et porte cette douleur. Le SIDA a désigné Lagarce, et ce faisant celui-ci désigne la maladie.

Perdre les traces, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Février 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Perdre les traces, Jacques Ancet, éditions La Rumeur libre, novembre 2021, 163 pages, 17 €

 

Poèmes de l’extinction

Il est émouvant de parcourir le dernier recueil de Jacques Ancet tant la vérité nue de la vie et de la mort se côtoient. On y trouve une forme de mélancolie presque amère, où le poète se place dans un mouvement du temps, celui sans frein de l’heure ultime, inclination qui entraîne le langage et se fait entraîner vers la nudité et presque le néant. Ce je-ne-sais-quoi et ce-presque-rien, ce détail sobre de notre condition sonne très juste, et cantonne au domaine des larmes.

C’est le sentiment de la mort qui guide les pas du lecteur vers cette musique, ces fugues, cet ostinato de la forme. Perdre, tel est le mot essentiel. Laisser des traces sans savoir si elles resteront traces, traces voulant dire l’inquiétude du devenir du poème. Cette quête justifie pleinement l’écriture de ce livre.

Nos silences animaux, Serge Ritman (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 07 Février 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Nos silences animaux, Serge Ritman, éditions Collodion, novembre 2021, dessins Laurence Maurel, 72 pages, 12 €

Acuité

Ce qui frappe tout de suite à la lecture de Nos silences animaux, c’est la certitude du trait. Il ne fait pas preuve d’hésitation. Le texte est donc décidé dès les premières lignes et il manifeste clairement son lien avec la langue, lieu sûr et presque stable, assuré, qui nous permet clairement d’entrer de plain-pied dans l’univers du poète. Je dis donc poésie nette, car encline à la force paisible du contour littéraire. Du reste, ces poèmes s’accompagnent des fusains et lavis de Laurence Maurel. J’y vois la revendication d’une volonté définie de s’intéresser au mouvement de la plume, sorte de certitude pour la peintre (et ici pour le poète) d’une confiance dans le geste sans repentir, directement présent à la figure (ici au poème). Cette opération du pinceau ou du stylographe se teinte d’une vérité du discours pictural ou poétique.

avec dessiner ou écrire

à vite qu’il signe à même mon tissu

de serge

Un Cri, chose et signe, Jean-Paul Michel (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 31 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un Cri, chose et signe, Jean-Paul Michel, éditions William Blake, janvier 2022, 8 €

 

L’être

Il m’a été difficile de trouver une approche de ce texte court et dense. L’ensemble constitué d’un dactylogramme corseté par des italiques, l’utilisation de crochets, de parenthèses, de guillemets, de points de suspension, d’interrogation, de décalages linéaires et d’une mise en page savante, se prête à la conjecture. L’entrée du lecteur se trouve armée par le poème tel qu’il se présente, c’est-à-dire, comme un ouvrage complexe. Cette escorte accompagne le « dit » de l’auteur, celui-ci prenant la place d’un aède ou d’un fou.

Cette poésie est d’abord architecture (prise dans le plan d’un architexte si l’on veut). Le lecteur est visiteur. Et cette demeure poétique augmente le liseur. L’agrandit. Lui offre des perspectives, des lignes de fuite, des arêtes, des fenêtres et des huis. Le texte est maison vivante.

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 24 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Théâtre

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry, Les éditions Moires, novembre 2021, 88 pages, 13 €

Au tréfonds

Cette pièce de théâtre de Guillaume Viry m’a beaucoup touché dans le sens où je comprends dans ma chair cette relation du père au fils, qui relate quelque chose qui va aux tréfonds de la psyché, celle du fils tout autant que celle du père. Ma propre histoire familiale ressemble en un sens à celle que narre la pièce. De ce fait j’ai revécu, un peu « cathartiquement », mon rapport au père.

Les trois actes de ce texte filment, si je puis dire, les possibilités et les impossibilités de la conversation entre les deux protagonistes. Ainsi, puisque je viens de parler de catharsis, je me suis remémoré une conversation où nuitamment mon père adossait les destins de poète et d’industriel, avec évidemment un choix radical pour celui-ci. Donc, il s’agissait pour finir d’une fin de non-recevoir.

Ce commerce de la parole finit ici par confiner à la haine, et sans doute aussi à l’amour impossible venant du père, lui-même pris sans doute par une carence, un manque et peut-être, devine-t-on, un secret de famille. Donc : respect et colère, sentiment d’empathie et d’antipathie, d’approche et de rejet, de douceur et de violence, de connaissance et d’aveuglement.