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Roman

Le Novice, Mikhaïl Lermontov (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau , le Lundi, 24 Juin 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie

Le Novice, Mikhaïl Lermontov, éditions Alidades, mai 2024, trad. russe, Guy Imart, 60 pages, 7 €

 

Les éditions Alidades se caractérisent par un engagement très fort en faveur de la traduction et de la publication de textes étrangers venus d’horizons littéraires variés. Ce recueil paru dans l’importante Collection bilingue, Petite bibliothèque russe, offre la traduction d’un long poème de Mikhaïl Lermontov par Guy Imart et d’une postface très éclairante d’Emmanuel Malherbet, l’éditeur. Ce grand poète romantique russe, né à Moscou en 1814 et mort en duel en 1841 dans le Caucase est peu connu en France, sauf de cercles slavophiles restreints. Dans sa jeunesse, Julien Gracq a traduit du russe le poème La Voile, qu’il mentionne dans Lettrines 2. Plus tard, dans En lisant en écrivant, il voit en Lermontov un des poètes et écrivains européens qui, avec sa vision du Caucase, suscitent « l’éveil paysagiste aux grands horizons ».

Le Novice, poème narratif en vingt-cinq strophes a été traduit une seule fois, en 1969 par Georges Arout. C’est dire si la publication des éditions Alidades est une initiative exemplaire.

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 20 Juin 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, En Vitrine, Cette semaine

Agonie d’Agapè (Agapè Agape), William Gaddis, 2002, Editions Motifs, trad. américain, Claro, 95 pages

 

Il s’agit aussi bien d’agoniser que d’agonir. Agonie d’un homme qui se sent – et veut – quitter ce monde qu’il abhorre tel qu’il le voir devenir et qu’il agonit d’imprécations aussi douloureuses qu’amères. Un flux de conscience poussé à son extrême constitue ce texte – roman nous ne dirons pas, même si le personnage est romanesque à souhait – comme il constitue un chapitre chez Thomas Bernhard dans ses diatribes de Perturbation. Il serait difficile de ne pas évoquer ce dernier et cependant Gaddis a l’amertume plus intime, plus humaine, plus collée à la noblesse de l’âme.

Et puis, page après page, on se laisse porter par quelque chose qui n’est plus le signifié, une prosodie, une mélopée, une aventure stylistique plus proche de l’Ulysse – presque de Finnegan’s Wake – de Joyce. C’est de ce côté que Gaddis regarde, le primat absolu du verbe, le dire plus que le dit. L’allusion à Joyce est même clairement énoncée. Parfois. Par des phrases scandées par des absences, des vides, des suspens.

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 18 Juin 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

Le Journal d’une femme de chambre, Octave Mirbeau, Folio, février 2024, édition de Noël Arnaud, révisée par Michel Delon, 592 pages, 8,30 € Edition: Folio (Gallimard)

 

« D’ailleurs, j’avertis charitablement les personnes qui me liront que mon intention, en écrivant ce journal, est de n’employer aucune réticence, pas plus vis-à-vis de moi-même que vis-à-vis des autres. J’entends y mettre au contraire toute la franchise qui est en moi et, quand il le faudra, toute la brutalité qui est dans la vie. Ce n’est pas de ma faute si les âmes, dont on arrache les voiles et qu’on montre à nu, exhalent une si forte odeur de pourriture ».

Célestine prévient d’emblée, dès la première entrée du Journal d’une femme de chambre, que ce qu’elle propose au lecteur sera peu reluisant, sera un portrait sans fards de la bourgeoisie au service de laquelle elle a été, et pourtant la critique fut scandalisée lors de la publication de ce roman d’Octave Mirbeau en 1900.

Démolition, Anna Enquist (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 17 Juin 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Actes Sud

Démolition, Anna Enquist, Actes Sud, janvier 2024, trad. néerlandais (Pays-Bas), Emmanuelle Tardif, 320 pages, 22,80 € . Ecrivain(s): Anna Enquist Edition: Actes Sud

 

Comme des variations musicales

La musique et la littérature entretiennent des liens souvent étroits, des formes de correspondances ou d’étonnants cheminements parallèles. Du côté littéraire, un auteur peut poursuivre une musique des mots ou construire son récit comme une symphonie ; et du côté musical, une partition peut être narrative ou chargée d’éléments littéraires. Les exemples ne manquent pas de ces échos que ces deux arts font résonner. Pour en rester aux grands classiques, Stendhal, Gide, Alejo Carpentier dans le somptueux Concert Baroque, et Wagner, Berlioz, Satie, ont regardé, chacun à leur façon, de l’autre côté de la barrière qui enclot leur domaine de création. On pense immanquablement à toute cette tradition en lisant Démolition d’Anna Enquist, dont la musique parcourt nombre de ses romans. L’éditeur nous présente la romancière comme l’une des plus grandes auteures d’aujourd’hui aux Pays-Bas, mais, avouons-le, la déception est aussi au rendez-vous dans ce récit. Mais, après tout, n’est-ce pas au lecteur d’imaginer ce qu’aurait pu être un roman ?

Papa, Fumiko Hayashi (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 11 Juin 2024. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Japon

Papa, Fumiko Hayashi, Editions du Canoë, juin 2024, trad. japonais, René de Ceccatty, 128 pages, 12 €

 

L’auteure de Vagabonde a l’art de raconter de petites choses sans y toucher, en conservant candeur, gentillesse et légèreté.

L’histoire se déroule à Tokyo. Le papa est rentré de guerre, après la défaite. Ken-chan, qui a deux frères et sœurs, relate la vie quotidienne, assez chiche, on manque de tout et le papa ne retrouve pas d’emblée du travail. Mais cette vie est pleine de rencontres, d’amitiés, de petites visites en famille.

Comme chez Ozu, l’existence est auréolée de beauté et de bonté. L’enfant narrateur a le don de « s’émerveiller de tout » et le lecteur participe de ce bonheur. En vingt chapitres, la romancière réussit à nous plonger dans l’atmosphère de ces années d’après-guerre, avec les restrictions, les bouffées d’espérance, les familles réunies enfin, après tant d’années de conflit. Dans une langue économe, poétique, qui relaie les pensées d’un enfant, l’écrivaine japonaise nous fait partager les soucis d’une famille ordinaire : la maladie de la mère, la quête du travail par le père, les tâches ménagères que les enfants aussi assument.