Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi (par Patryck Froissart)
Lundi, ils nous aimeront, Najat El Hachmi, Verdier (6 février 2025), Traduit du catalan par Dominique Blanc, 256 pages, 23 €
Edition: Verdier
Najat El Hachmi se livre, se dévoile, se met à nu, ne faisant qu’une, corps, cœur et âme avec la narratrice, laquelle s’exprime à la première personne. Ce long récit intimiste s’adresse, par un TU omniprésent, à une amie avec qui elle partage son adolescence compliquée et les débuts de sa vie d’adulte. Un troisième personnage s’inscrit dans leur parcours jumeau, une amie commune, prénommée Sam.
Née au Maroc, la narratrice est transplantée en son enfance à Barcelone, où son père a pu obtenir un permis de travail. La famille s’installe à la périphérie de la ville catalane, en un espace désigné tout au long du texte comme étant « le quartier », où se structure une communauté de coreligionnaires de même origine géographique relativement repliée sur elle-même en un microcosme oppressant, régi par des règles normatives auxquelles chacun et surtout chacune doivent se soumettre sous peine de mise à l’index.
Outre les regards des inquisiteurs, appréciateurs ou dépréciateurs barbus du quartier, circulent les rumeurs en tous genres, fondées ou non, sur les comportements des uns, des unes et des autres dans les espaces publics. La narratrice et ses amies, comme tous les habitants du quartier, sont ainsi ciblées régulièrement par les bruits colportés par la commère/mégère « officielle » surnommée La Parabole.
A mesure que la narratrice grandit, la surveillance se renforce, d’autant plus que le père, à l’instar de la plupart des membres de la communauté, se radicalise progressivement, devenant de plus en plus soucieux du qu’en dira-t-on et de la préservation de sa réputation de bon musulman fondée sur sa capacité à maintenir épouse et enfants dans « le droit chemin » en ayant recours aux coups et privations en cas de désobéissance ou de comportements estimés contrevenir aux préceptes religieux.
« C’est l’obscurantisme qui a pénétré sans résistance l’esprit des habitants. De nombreuses femmes voilées que tu verrais dans le quartier aujourd’hui – il y en a beaucoup plus qu’à l’arrivée de ta famille – disent qu’elles renoncent au soleil et à la brise, à l’eau de mer et aux piscines, à l’amour et au sexe par convenance… »
La tension narrative est talentueusement entretenue, faite de révoltes intimes dont la contrainte familiale et sociale ne permet pas l’expression verbale ouverte, d’interrogations sur la pertinence et le bien-fondé des règles imposées.
Contradictoirement la jeune fille traverse des phases douloureuses de désir de « bonne conduite », voire de soumission, et se promet de devenir, en tentant d’étouffer les élans de la chair, « une bonne musulmane » bien intégrée dans la communauté. Ce désir n’est finalement que vœu pieux.
« Pour ne plus me percevoir moi-même comme un amas confus et angoissant de chemins interdits qui s’entrecroisent dans mon corps, lundi je serais de nouveau la bonne fille que j’avais été, sans ce battement insistant qui s’insinuait au plus profond de ma chair, sans désir. Ainsi, et seulement ainsi, je serais acceptée, et aimée ».
D’où le titre du roman.
Néanmoins peu à peu l’émancipation se réalise, les trois amies s’encouragent mutuellement, par l’exemple, à s’affranchir, en multipliant les infractions à la norme, sous la forme d’activités clandestines de plus en plus osées, y compris dans le cadre de fréquentations, puis de liaisons amoureuses, où l’assouvissement des pulsions sexuelles va croissant.
C’est donc par cette progression, entrecoupée de transgressions de plus en plus audacieuses, de rébellions de plus en plus assumées, de cette lente métamorphose que l’autrice tient le lecteur, jusqu’à l’évasion définitive hors du « quartier », suivie hélas de déceptions, puis de désillusions dans une vie de couple où l’époux, musulman affichant initialement un libéralisme de bon augure débarrassé de tout dogmatisme quant aux droits de son épouse, réadopte les principes masculinistes d’un traditionalisme religieux qui le rattrape…
« Dans un quartier où les garçons devenaient trafiquants dès la sortie de l’école, lui, c’était une vraie perle ».
Hélas !
La libération définitive viendra par l’écriture.
Suspense garanti.
Patryck Froissart
Najat El Hachmi, née le 2 juin 1979 à Beni Sidel Jbel (Maroc) est une écrivaine maroco-espagnole basée en Catalogne. Elle est titulaire d'un diplôme en études arabes de l'Université de Barcelone.
Distinctions : Prix Nadal, prix de la ville de Barcelone pour la littérature en langue catalane
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