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L’Or de Jérusalem, Nathalie Cohen (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 05.06.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Flammarion

Nathalie Cohen, L’Or de Jérusalem, Paris, Flammarion, paru le 26 février 2025, 314 pages, 22 €.

L’Or de Jérusalem, Nathalie Cohen (par Gilles Banderier)

Pour toute une part de l’humanité, présente sur à peu près tous les continents, il s’agit d’un événement immense et traumatique, dont l’écho se fait encore entendre à deux millénaires de distance. Lors de chaque mariage juif, l’atmosphère euphorique qui (dans des circonstances normales) préside à toute célébration nuptiale est un instant ternie par le bris d’un verre, qui rappelle à chacun cet antique événement : la destruction du Temple de Jérusalem, dont il ne reste qu’une partie du soubassement – connu sous le nom de Mur des Lamentations, l’inscription (conservée en deux exemplaires, l’un à Istanbul, l’autre à Jérusalem) qui avertissait les étrangers de ne pas pénétrer dans la cour intérieure du Temple, et, selon la légende, deux colonnes conservées (parfaitement visibles) à Saint-Pierre-de-Rome ; ainsi que, toujours à Rome, la représentation sur l’arc élevé pour célébrer le triomphe de Titus de la menorah rapportée en guise de butin par les conquérants romains, durant l’été 71, avec d’autres objets cultuels. Que devinrent ensuite ces reliques ? Furent-elles fondues ou entreposées, comme c’était la coutume, dans le Temple de la Paix ? Et la menorah finit-elle par retourner à Jérusalem, comme l’indique l’historien Procope de Césarée, selon qui l’empereur Justinien fit renvoyer d’où ils venaient ces objets qu’il jugeait maléfiques ? Et si elle existe encore quelque part, où se trouve-t-elle ? Dans quelque souterrain inexploré dont seule l’existence est connue ?

La rencontre entre Rome et Jérusalem ne pouvait être que difficile, pour ne pas dire déflagrante. Mais l’Empire romain a disparu sans retour et, sauf peut-être au fond d’hôpitaux psychiatriques, personne n’envisage de le restaurer, alors qu’un État juif a revu le jour. Plus personne ne rend un culte aux dieux de Rome, alors que même sans le Temple, le judaïsme existe toujours et que, par son prolongement chrétien, ses textes fondateurs ont été diffusés et traduits dans toutes les langues de la Terre.

Les « guerres juives » ont moins inspiré les écrivains et les cinéastes que l’Antiquité gréco-latine (le peplum fut un genre cinématographique à part entière). Il est naturellement question de l’ultime révolte juive, celle de Simon Bar Kokhba, dans les Mémoires d’Hadrien, mais Marguerite Yourcenar ne pouvait de toute manière pas éviter d’en parler. C’est une raison supplémentaire pour signaler la série américaine Masada, tournée sur les lieux mêmes et diffusée en 1981, dont les producteurs eurent l’idée brillante de faire incarner le « méchant » (le général romain Flavius Silva) par un immense acteur (Peter O’Toole) et le « gentil » (Eleazar ben Yair) par un acteur moins capé.

Le roman de Nathalie Cohen s’achève où la série Masada commence : à la prise de Jérusalem, après un siège effrayant. L’auteur réussit non seulement à nous faire pénétrer dans les arcanes de la politique impériale romaine (où l’on ne sait plus toujours qui assassine qui et pourquoi), mais encore parmi les luttes internes entre factions juives (dont les divisions facilitèrent grandement la tâche des Romains – une leçon qu’il serait peut-être bon de méditer), sans oublier le bouillonnement religieux d’où émergèrent, après le repli à Yavné, le judaïsme rabbinique et le christianisme, non sans que ces deux religions amenées à se séparer ne se croisassent par moments (avec par exemple Gamaliel, en qui une tradition voit le maître de Sh’aul, le futur apôtre Paul, et à qui les Actes des Apôtres [5, 34-39] prêtent un discours trop intelligent pour avoir été inventé).

Pour donner corps et cohérence à ces pages d’histoire si denses et si complexes, Nathalie Cohen a choisi de centrer son récit sur un officier romain et sa compagne, une vestale pourvue d’un enfant, ce qui constitue une double singularité, les vestales étant astreintes à une virginité perpétuelle. Mais cet enfant était le produit d’un viol, et point perpétré par le premier venu, ce qui confère au bambin une valeur particulière dans les jeux politiques de l’Empire. L’Or de Jérusalem est un roman agréable, bien écrit et maîtrisé, qui se double d’une interrogation – toujours valable – sur l’usage politique de la violence.

 

Gilles Banderier

 

Nathalie Cohen a déjà publié un autre roman, Un Fauve dans Rome.



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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).