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Roman

Envoyée Spéciale, Jean Echenoz (par Galien Sarde)

Ecrit par Galien Sarde , le Jeudi, 02 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les éditions de Minuit

Envoyée Spéciale, Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit, 2016, 320 pages, 18 € . Ecrivain(s): Jean Echenoz Edition: Les éditions de Minuit

 

Court-circuitage et supplément d’âme esthétiques

Entre autres choses, les dialogues d’Envoyée spéciale, de Jean Echenoz, sont spécialement sophistiqués. Une part de leur virtuosité tient dans l’ordonnance des répliques qui les constituent : sans tirets, sans guillemets, pour les fondre dans le récit et le faire pétiller, mais par contre avec des verbes de paroles audacieux ou encore d’étranges substituts d’eux. Un exemple de ce dernier phénomène survient dès l’incipit, quand ce qu’avance le général Bourgeaud : « Épargnez-moi ces réflexions, Objat » n’est pas suivi d’une incise évidente telle que : « a dit le général en se raidissant », mais d’une autre qui fait l’économie du verbe de paroles, éludé, ou plutôt intégré dans un verbe d’action : « s’est raidi le général ».

Brest, de brume et de feu, Philippe Le Guillou (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Mercredi, 01 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Brest, de brume et de feu, Philippe Le Guillou, Gallimard, février 2024, 397 pages, 22 € Edition: Gallimard

 

Brest intime

Le dernier roman de Philippe Le Guillou est à lire comme on rêve.

Comme on rêve en entendant sur l’ardoise ou les tuiles du toit, sur les rampants des greniers, la pluie qui tape, et par moments la foudre. C’est-à-dire l’amour.

Donc le feu.

Tout de Le Guillou se répète ici. Tout s’y renouvelle sans qu’aucune surprise ne surprenne ! C’est la raison pour laquelle on invoque le rêve en premier et la grêle, les pluies et toutes les formes de bruines. Le roman de Le Guillou n’est pas que météorologique, il est une géographie de l’âme.

Donc de l’amour.

Balle perdue, Nane Beauregard (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mercredi, 01 Mai 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Maurice Nadeau

Balle perdue, Nane Beauregard, Éditions Maurice Nadeau, Coll. À vif, mars 2024, 159 pages, 19 € Edition: Editions Maurice Nadeau

Las Vegas, 7 septembre 2002, une fillette de neuf ans, Genesis Gonzales, est tuée d’une balle perdue lors d’un règlement de comptes entre gangs rivaux. Lors d’un procès en 2003, Pascual Lorenzo est reconnu coupable du meurtre et condamné à la peine capitale. Ayant fait appel de la décision, un second procès aura lieu en 2007, procès largement couvert par la presse locale mais aussi par les réalisateurs français de documentaires, Jean-Xavier de Lestrade et Rémy Burkel, qui le diffuseront sous le titre Justice à Vegas, Une balle Des Vies perdues (1).

Nane Beauregard s’est immergée dans ce fait divers et a sans doute passé des heures, des journées, des nuits entières à visionner, revoir et revoir encore ce documentaire de 52 minutes pour « parvenir à mettre des mots et comprendre qui était ce jeune homme énigmatique qui cachait un terrible drame derrière ce visage de sphynx qui m’intriguait et semblait m’appeler ». La curiosité et l’interrogation se transforment peu à peu en compassion face à ce jeune homme latino-américain, mutique, qui a refusé la perche tendue par le procureur qui lui proposait de plaider coupable dans l’espoir de voir sa peine réduite dans le meilleur des cas à une quarantaine d’années d’emprisonnement.

Un Shtetl, suivi de Père et fils, Yitskhok Meyer Weissenberg (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 30 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Classiques Garnier

Un Shtetl, suivi de Père et fils, Yitskhok Meyer Weissenberg, Classiques Garnier, 2023, trad. yiddish, Jean Spector, 132 pages, 22 € Edition: Classiques Garnier

Les œuvres d’Yitskhok Meyer Weissenberg (1881-1938) appartiennent à une Atlantide doublement engloutie : celle de la littérature d’expression yiddish, d’une part, cette langue jadis parlée de l’Alsace à la Russie et qui, sans en avoir le prestige politique, religieux et intellectuel, connut seule une extension géographique comparable à celle du latin. Certes, il demeure en Israël et aux États-Unis des locuteurs de yiddish et même des écrivains qui publient dans cette langue. Mais – et c’est le second point – le yiddish israélien ou américain est fondamentalement une langue déracinée, car le terreau de cet idiome furent les shtetleh, ces bourgades juives d’Europe orientale, qui n’étaient pas à proprement parler des ghettos, mais des villages où la population était majoritairement juive, bien qu’il ne fût pas expressément interdit à un catholique de s’y établir – et cette cohabitation, qui donna lieu parfois à des scènes touchantes, fut incarnée par le personnage du shabbes goy, ce chrétien (qui finissait par connaître, sinon la théologie sous-jacente, du moins les usages du judaïsme, la praxis, aussi bien que les Juifs eux-mêmes) rémunéré par la communauté juive pour accomplir les besognes prohibées durant les fêtes religieuses, à commencer par le shabbat

La Grande Maison, Mohammed Dib (par Léon-Marc Levy)

, le Jeudi, 25 Avril 2024. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Points, En Vitrine, Cette semaine

Edition: Points

En Algérie, Omar, le petit héros de ce roman-culte, est un peu le Gavroche tlemcénien. Bouillant de vie, grand cœur, hardi, insolent quand il veut, il est le titi de la Rue Basse, de la Rue Lamoricière et du Bélik. Figure hugolienne à plus d’un titre, Omar s’inscrit dans un cadre où sourd, lente mais inéluctable, une révolution, celle qui mènera l’Algérie à sa naissance. Nous sommes en 1952 et Mohammed Dib distille dans les interlignes des cavalcades d’Omar dans les rues et ruelles, les signes du réveil des consciences, des embryons d’organisation, de la montée de l’espoir d’un peuple tenu alors sous la férule colonialiste depuis 120 ans.

Tlemcen la belle, Tlemcen la rebelle, offre un décor parfait à l’histoire du garçon pêchant çà et là les bruits de la maison, les bruits de la rue, de la ville, du pays qui se lève. La puissance de Mohammed Dib est dans sa retenue. Jamais le roman ne tend vers le manifeste, il suggère, pointe, sécrète. Omar est son oreille, parfois sa voix mais toujours dans le murmure d’un pays qui gronde. L’infâmie coloniale s’insinue dans les lignes, entre les lignes comme elle tentait de s’insinuer dans les têtes à travers le discours des écoles « républicaines » et de leurs maîtres.