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La possession démoniaque : le corps-spectacle - Morzine et compagnie (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Mars 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Dès les premiers symptômes à Morzine, les médecins avouent qu’« on ne peut faire entrer [Perrone] dans aucun cadre nosologique ». Les hommes de l’administration sarde dépêchés sur les lieux parlent de « phénomènes extraordinaires et inexplicables ». En quoi consistent ces phénomènes ? Rien de bien nouveau pour qui s’est laissé conter d’autre diableries, celles de Loudun plus de deux siècles auparavant : convulsions accompagnées de performances physiques peu courantes, invectives insultantes souvent à caractère sexuel, surtout venant de petites filles réputées « douces et bien élevées », délires mêlant superstitions locales et thèmes religieux. En somme – et les hommes d’église vont vite le comprendre – le tout-venant de la clinique démonologique.

Et le rituel, comme deux siècles plus tôt à Loudun, va déployer son théâtre, mettre en place ses tréteaux, ses acteurs, ses régisseurs, ses spectateurs. Les essaims murmurant d’hommes de savoir, de pouvoir politique et spirituel, vont se répandre dans les rues du village, dans les maisons, dans les têtes.

Tallien, une brève histoire d’amour, Frederic Tuten (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Mars 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Stock

Tallien, une brève histoire d’amour (Tallien, A Brief Romance, 1988), trad. américain Pierre Girard, 162 pages . Ecrivain(s): Frederic Tuten Edition: Stock

 

Faire sourire avec une des tragédies de l’Histoire, Frederic Tuten l’avait déjà fait une quinzaine d’années avant ce roman, dans Les aventures de Mao pendant la Longue Marche. Cette fois, c’est la Révolution française qui sert de cadre principal à ce roman, certes souriant mais aussi, paradoxalement, terrible. Le déplacement de la réalité historique vers la fiction permet de rendre légers et drôles certains événements mais, comme un bruit de fond, la tragédie de l’Histoire résonne avec son lot d’effroi – de Terreur au sens du terme en 1792.

Le narrateur de cette fiction (Frederic Tuten prend bien soin de nous dire qu’il a pris ses aises avec la rigueur historique), homme du XXème siècle récent, a été nourri au biberon de la révolution par un père révolutionnaire convaincu, né dans le Sud profond, et dont l’hymne est L’Internationale. Et, il faut le dire, haut en couleurs ! Peut-être Tuten a-t-il pensé au personnage de grand-père Gant dans Look Homeward Angel de Thomas Wolfe ? Héros quasi mythique de son jeune fils, le papa est un personnage tonitruant, bouillant, et surtout… socialiste ! Mais attention, pas marxiste dit-il sur son lit de mort.

Un été de glycine, Michèle Desbordes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Lundi, 28 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Verdier

Un été de glycine, Michèle Desbordes, 108 pages, 13 € Edition: Verdier

Il serait impossible de classer ce livre dans un genre. Essai, un peu. Biographie, un peu plus. Roman, peut-être. L’auteure nous dit une passion. Une passion folle, dévorante, obsessionnelle, amoureuse. Sa passion pour un homme, qui hante sa vie. Il s’appelle William Cuthbert Falkner, dit William Faulkner. Il a écrit des livres. Elle a lu ses livres. Un amour fou qui, pour se dire vraiment, doit emprunter les mêmes voix que son objet, l’écriture.

Michèle Desbordes se livre à un exercice virtuose de tressage de trois fils : les œuvres de Faulkner – en particulier Lumière d’août – la vie de Faulkner et, plus légèrement, presque de façon allusive, comme le fil le plus ténu, elle-même dans son rapport aux œuvres de Faulkner.

L’univers romanesque de Faulkner est le fil majeur de la tresse. Ses personnages reviennent en antienne, obstinément : Sutpen, Comson, Coldfield, et cette jeune fille, comme un fantôme errant, qui marche, avec son bébé dans le ventre, en cet été de glycine, pour aller à la quête de l’homme qui en est le père, « celui dont le nom a les mêmes initiales que Notre Seigneur », J.C., Joe Christmas, le mulâtre. Scène inaugurale de Lumière d’août qui revient comme le refrain d’une chanson douloureuse.

Honorer la fureur, Rodolphe Barry (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Points

Honorer la fureur, 304 pages, 7,40 € . Ecrivain(s): Rodolphe Barry Edition: Points

 

Barry bâtit un roman à partir d’une recherche biographique rigoureuse sur une partie essentielle de la vie du grand – et pourtant bien négligé – James Agee. Et c’est bien d’un roman qu’il s’agit car les jours et les heures de ces années fiévreuses d’Agee sont tissés dans une trame narrative en grande partie fictionnelle mais néanmoins fondée sur les éléments de la réalité. Agee, personnage bouillant, souvent emporté par ses élans passionnés, apparaît ici, page après page, dans ses recoins, ses complexités, ses excès, ses folies.

Agee est journaliste, grand lecteur de Thomas Wolfe et William Faulkner dont il rêve d’atteindre l’art. Il va même jusqu’à se promener dans le quartier de NYC où on lui a dit qu’habite Wolfe dans l’espoir de le croiser.

« La ville est aussi insomniaque que lui. Il cherche le visage des promeneurs, l’un d’eux pourrait être celui de Thomas Wolfe dont il a découpé le portrait dans un journal. Il a appris que l’auteur de L’Ange exilé vivait dans un modeste meublé dans le quartier assyrien du sud de Brooklyn, dont il ne sort qu’à la nuit tombée, la main gauche tachée d’encre ».

Sergent Getúlio, João Ubaldo Ribeiro (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Gallimard

Sergent Getúlio (Sargento Getúlio, 1971), João Ubaldo Ribeiro, trad. portugais (Brésil) Alice Raillard, 181 pages, 7,50 € Edition: Gallimard

 

Dans les traces glorieuses de João Guimarães Rosa (Diadorim) et de Juan Rulfo (Le Llano en flammes), ce roman magistral nous emmène sur les pistes sèches et poussiéreuses du Sertão brésilien et les sentes verdoyantes du Sergipe et nous invite, comme ses illustres prédécesseurs, à partager la noirceur, la violence et le désespoir de la vie des damnés de cette terre. João Ubaldo Ribeiro élève un chant funèbre, une mélopée sombre entonnée par un narrateur unique, dont le flux de conscience constitue la totalité du roman. L’écriture de Ribeiro agit comme une mithridatisation sur le lecteur, comme un poison injecté par doses infimes et qui provoque une accoutumance totale. Plus le roman avance, plus le style et la musique particulière de Ribeiro prend son ampleur, sa puissance, sa force de pénétration.

Si l’on pense en premier lieu aux maîtres sud-américains cités, le flot ouvert par le sergent Getúlio, évoquant pêle-mêle souvenirs personnels, événements politiques et historiques brésiliens, considérations personnelles sur la vie, la mort, les hommes, Dieu et le Diable, nous rappelle aussi le chemin terrible de Méridien de sang de Cormac McCarthy.