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Une forme sur la ville, William Goyen (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 14 Avril 2021. , dans La Une Livres, Rivages, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA

Une forme sur la ville, trad. américain Patrice Repusseau, 107 pages . Ecrivain(s): William Goyen Edition: Rivages

 

William Goyen est un écrivain fascinant, un maître de la suggestion et du murmure. Sa Maison d’haleine nous avait déjà hanté durablement. Ces trois nouvelles, regroupées intelligemment sous le titre Une forme sur la ville, sont de ces récits qui nous happent, nous broient, nous écrasent au sol. L’univers de Goyen est obsédé par le Mal, celui qui ronge les corps et les esprits des hommes. La première nouvelle, L’infirmier, en est pétrie jusqu’au cœur puisqu’elle se déroule dans un hôpital accueillant les soldats brisés de Dunkerque, les rescapés estropiés, mutilés, désespérés. La grande salle où retentissent sans cesse les gémissements, les plaintes, les hurlements de douleur, font irrésistiblement penser à une strophe des Phares de Baudelaire :

 

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,

Et d’un grand crucifix décoré seulement,

Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,

Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

L’odeur du foin, Giorgio Bassani (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 07 Avril 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Nouvelles, Gallimard

L’odeur du foin (L’Odore del Fieno, 1972) Giorgio Bassani, trad. italien, Michel Arnaud, 114 pages, 6,50 €


Dans ce recueil – et dans toute son œuvre – Giorgio Bassani met en scène deux héros récurrents : D’abord Ferrare, sa ville de naissance, une ville italienne de la province de Ferrare en Émilie-Romagne, située dans le delta du Pô sur le bras nommé Pô de Volano. Et puis lui-même, narrateur de ses récits, dans la trace de sa mémoire d’enfance, d’adolescence, à la recherche non du temps perdu mais bien du temps retrouvé – vivant, présent. Celui de Proust assurément, dont Bassani était un lecteur assidu, porté par les bruits, les odeurs, les goûts. Et, peu à peu, Bassani nous fait une topographie littéraire de Ferrare : les sensations dessinent des plans de rues, de places, de jardins publics. Les noms de la ville chantent comme un poème, les sons de la langue italienne en fond la musique. La via Mazzini, la via Vignatagliata, viennent s’ajouter aux noms des villages, Quartesana, Gambulaga, Ambrogio et aux noms des gens, Dottor Castelfranco, Egle Levi-Minzi, pour composer une cantate italienne digne des pages de Händel.

Lancelot, Walker Percy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 30 Mars 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, J'ai lu (Flammarion)

Lancelot, Walker Percy (J’ai Lu) . Ecrivain(s): Walker Percy Edition: J'ai lu (Flammarion)

 

Un O va bouleverser à jamais la vie de Lancelot. Illustration parfaite de la théorie des catastrophes développée par René Thom, ce roman part de l’infime grain de sable qui bloque la machine de vie d’un homme, d’un couple, et entraîne, inéluctablement, son démantèlement complet, jusqu’à l’anéantissement. Un O. La lettre. Puis une équation impossible et, peu à peu, l’arrivée de la tornade qui emportera tout.

Walker Percy est l’un des grands Sudistes. Ami très proche de Shelby Foote, comme lui, il nourrit son univers des paysages et des personnages du Delta. Comme lui, il est obsédé par le temps et ses mensonges. Lancelot va scruter le monde autour de lui, jusqu’à la folie. A cause d’un O. Et Walker Percy déploie un chef-d’œuvre.

« En admettant donc que l’on situe le 15 juillet au sommet d’une courbe de probabilités et que l’on ajoute, puis soustraie deux semaines de l’axe des abscisses, il en résulte, comme j’en fis par la suite la découverte, une courbe quasiment rectiligne si tangente à l’axe que l’interstice ainsi ménagé ne laisse que peu de chance pour respirer, et encore moins pour concevoir ».

Inglorious Basterds, Glorious movie ! (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 25 Mars 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Côté écrans

 

Je ne m’en lasse pas et, comme Tarantino, ma jubilation ne faiblit pas. Inglorious Basterds est sorti sur nos écrans en juillet 2009. Voici la note que j’écrivais pour Le Monde à la sortie du film. Depuis, cette bande s’est installée dans mon imaginaire comme une œuvre-culte à laquelle je rends régulièrement hommage. Alors encore une fois…

De toute évidence ce film a le ton d’une pochade estivale. Oui mais voilà, seulement le ton, nos mémoires de cinéphiles sont peuplées de « pochades estivales » devenues des films-culte. De Coups de Feu dans la Sierra ou Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, de Sam Peckinpah, au Duel de Steven Spielberg, en passant par le Gloria de John Cassavetes, que serait le cinéma sans les « rigolades » de juillet/août cachant des joyaux devenus légendaires ?

La « pochade » de Tarantino est évidemment destinée à s’inscrire d’emblée dans ces perles d’été. Tout y est déjà culte.

Tourbillon, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Mars 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallimard

Tourbillon (Follow Me Down, 1950), Gallimard, Coll. La Noire, trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau, Hervé Belkiri-Deluen, révisée par Marie-Caroline Aubert pour la réédition mars 2021, 400 pages, 21 € . Ecrivain(s): Shelby Foote Edition: Gallimard


Avant de tenir le moindre propos sur ce roman, il faut relever l’étrange pénombre dans laquelle il est encore tenu de nos jours, alors que sa traduction en français – magnifique comme toutes les traductions de Maurice-Edgar Coindreau (ici assisté de Hervé Belkiri-Deluen) – date de 1978. Et bravo à Gallimard La Noire qui a aujourd’hui l’intelligence de conserver la traduction de Coindreau avec seulement une révision de Marie-Caroline Aubert. Tourbillon (Follow Me Down) est un absolu chef-d’œuvre de la littérature américaine, à placer au rang des plus grands Faulkner. Dans une écriture éblouissante de vie, de richesse idiomatique, Shelby Foote se hisse dans ce que l’acte littéraire porte de plus magique : transposer le réel des hommes, composer l’incantation quasi biblique des pauvres blancs du Sud profond, le chant de cette terre mythique du Mississippi, la langue inimitable des paysans miséreux et oubliés de ce bout de monde.