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La dernière porte avant la nuit, António Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 24 Janvier 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue portugaise, Roman, Christian Bourgois

La dernière porte avant la nuit (A Última Porta Antes da Noite), António Lobo Antunes, Ed. Christian Bourgois, avril 2022, trad. portugais Dominique Nédellec, 462 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Christian Bourgois

Si l’on veut chercher une scansion apparente dès les premières pages de ce roman, on en sera pour ses frais. Lobo Antunes compose une symphonie noire et baroque par couches successives, le rythme du récit, ses respirations, ses envolées, s’élaborent par l’acte de lecture lui-même, qui vient co-signer cette œuvre, en lui donnant une structure qui, de n’être pas apparente d’emblée, n’en est que plus puissante, plus époustouflante. Pas un point – pas un seul – ne viendra troubler le jeu de reconstruction du labyrinthe littéraire que nous offre Lobo Antunes, mais un échange permanent d’échos sonores qui rebondissent de chapitre en chapitre, de paragraphe en paragraphe, captant en phrases itératives la scène centrale du roman, le meurtre de « l’homme ». Ne faites pas de mal à ma fille / Ne faites pas de mal à ma fille / … comme le chant de mort de la victime, basse continue qui obsède les quatre assassins, occupe le fond de leur tête et entrecoupe le flux de leurs pensées. L’autre thrène obsessionnel, sans corps il n’y a pas de crime / sans corps il n’y a pas de crime / … est le pendant de la dualité culpabilité-crainte du châtiment, hommage à Dostoïevski dont l’ombre couvre les pages de ce livre, tout au long de l’arc narratif, du crime au châtiment.

Le Bois de la nuit, Djuna Barnes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Janvier 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Seuil

Le Bois de la nuit (Nightwood, 1936), Djuna Barnes, Editions du Seuil, 2014, trad. américain, Pierre Leyris, 203 pages, 18 € Edition: Seuil

 

Djuna Barnes est américaine. Il est important de le rappeler d’entrée, tant sa prose, d’une beauté suffocante et d’une profonde poésie, et son approche des portraits, évoquent le style des grands romanciers et poètes anglais de l’époque élisabéthaine. Djuna est imprégnée aussi de littérature et de culture françaises et elle s’installe à Paris en 1920 : la dimension autobiographique de ce roman apparaît d’autant plus que c’est dans cette ville qu’il se déroule principalement.

Dans sa préface de 1937, T. S. Eliot dit que « seules les sensibilités exercées à la poésie pourront l’apprécier tout à fait ». Et il est difficile de prétendre le contraire. Tout l’art subtil et malin de ce roman est dans la langue, le style, les syncopes, le rythme. Les images utilisées font parfois sursauter, visiblement empruntées à l’art baroque ou au style de Shakespeare : Robine Vote, l’héroïne qui emprunte beaucoup à Djuna Barnes, est décrite comme « la vision d’un élan s’en venant dans une allée d’arbres, enguirlandé de fleurs d’oranger et d’un voile nuptial, un sabot levé dans l’économie et la crainte ».

C’est ainsi que cela s’est passé, Natalia Ginzburg (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 10 Janvier 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Denoël

C’est ainsi que cela s’est passé (È stato cosi, 1945), Natalia Ginzburg, Denoël, 2017, trad. italien, Georges Piroué, 127 pages, 14 € Edition: Denoël

 

 

Qui parle ? Qui est la narratrice de ce roman ? Par profession, il semble que ce soit une femme cultivée et intelligente. Elle est professeur et étudie avec ses élèves les classiques de l’Antiquité, Ovide, Sophocle, Sénèque par exemple. Et pourtant, à suivre son flux de conscience sur ces quelque cent pages, dans la traversée de son histoire dramatique d’amour, on a clairement affaire à une femme simple – entendre simplette. Sa réflexion sur elle-même et les sentiments qui l’animent, sa vision du monde qui l’entoure, la misère morale qui sourd de son propos, tout indique un esprit faible, naïf, soumis, déficient. Le ton même de sa narration, le style du roman, empruntent un vocabulaire élémentaire dans une organisation syntaxique élémentaire. Parfois – rarement – un éclair semble rappeler que nous n’avons pas là une idiote. Et pourtant.

Spinoza, Œuvres complètes. La Pléiade Gallimard (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 13 Décembre 2022. , dans La Une Livres, En Vitrine, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Essais

Spinoza, Œuvres complètes. Dirigé par Bernard Pautrat. 1952 pages. La Pléiade. 76 € jusqu’au 31/12/2022 puis 82 €. Edition: La Pléiade Gallimard

 

L’œuvre de Spinoza était déjà disponible en Pléiade depuis 1955. Mais la traduction d’alors sentait bien trop l’académisme rigide des universitaires du temps, les canons d’une lecture rigoriste de l’original et surtout l’usage d’une langue très marquée par le jargon philosophique.  Avec cette édition, nous pouvons dire que Spinoza entre, si ce n’est dans La Pléiade, du moins dans le XXIème siècle, et de plain-pied ! La fluidité, la précision, souvent même la poésie de l’écrit spinozien sont ici servis avec un talent réjouissant. Oubliés les erreurs de traduction, les maladresses et contre-sens et surtout oublié l’appareil critique de 1955 qui accumulait les commentaires approximatifs et les erreurs d’interprétation. Spinoza, entier, vibrant de toute la puissance de sa pensée, de toute la séduction de son style. Bernard Pautrat et son équipe ont fait de la belle et bonne ouvrage, les spinoziens et les néophytes peuvent se réjouir. Ils trouveront ici un texte traduit avec grande rigueur et sobriété et dans une langue française clairement abordable pour tout lecteur ayant un peu de culture philosophique, loin de toute érudition inutile et pesante. Bernard Pautrat, le maître d’œuvre de cette traduction, dit :

Monnaie de singe (Soldiers’ Pay), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 06 Décembre 2022. , dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Garnier-Flammarion

Monnaie de singe (Soldiers’ Pay, 1926), trad. américain, Maxime Gaucher, 368 pages, 8,50 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Garnier-Flammarion

 

Le premier roman de Faulkner laisse voir quelques défauts de ceux que l’on peut trouver dans tout premier roman, mais il montre surtout, en gestation flagrante, la puissance de l’œuvre à venir. Tous les thèmes récurrents du maître du Mississippi apparaissent en éclats aveuglants (sans jeu de mots, la cécité est un des thèmes du livre) tout au long de ce roman.

Comme L’Adieu aux armes d’Hemingway, publié dans la même année 1926, il met en scène la « génération perdue », celle des Américains qui ont combattu pendant la Première Guerre mondiale. Mais à la différence d’Hemingway, Faulkner situe son roman dans l’après-guerre, le « retour à la maison » des soldats. L’art du portrait chez Faulkner fait le reste : ses personnages montrent une complexité, des déchirures intimes bien plus élaborées que les « super-héros » d’Hemingway, toujours assez caricaturaux dans l’héroïsme mâle. Certains personnages de ce roman se rapprochent de cet archétype – l’infâme Januarius Jones et le caricatural George Farr, par exemple – mais certains d’entre eux sont clairement plus complexes et intéressants.