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Cette semaine

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 14 Mai 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Seuil, En Vitrine

À Contrevie (Contravida, 1994), Augusto Roa Bastos, Le Seuil, trad. espagnol (Paraguay), François Maspéro, 254 pages . Ecrivain(s): Augusto Roa Bastos Edition: Seuil

 

Le support de ce roman est un train de mort. Lent, bringuebalant, inquiétant, il porte en ses flancs le narrateur – l’auteur assurément – unique survivant d’un massacre lors d’une évasion de prisonniers politiques d’une prison. Survivant, dans ce roman, n’a de sens qu’ontologique. La survie est la condition humaine et, par définition, elle n’est que sursis. En compagnie de personnages étranges et inquiétants, le narrateur va. Où ? Il ne sait pas, au moins au départ. Loin, dans tous les cas, loin des lieux où on le traque.

Entre les scènes de son compartiment et ses rêves pendant ses endormissements, il est assailli par un flot de souvenirs qui déferle comme un torrent, portant avec lui une enfance erratique et des images obsessionnelles des parents, des amis d’alors, des cinglés qui peuplaient Manorá – petit village perdu au milieu de nulle part. La noirceur et la brutalité traversent ces évocations du passé adossées à l’histoire du pays soumis à toutes les exactions.

Les demi-justes, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mardi, 06 Mai 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Gallimard, En Vitrine

Les demi-justes, Iris Murdoch, Gallimard, 1970, trad. anglais, Lola Tranec, 378 pages, 24,80 € . Ecrivain(s): Iris Murdoch Edition: Gallimard

 

Un ministère à Londres. Octavian Gray, naturellement nonchalant, s’abandonne à la paresse qui suit un copieux repas quand retentit une détonation dans un bureau voisin. Biranne, plus rapide à réagir, vient de découvrir Radeechy mort sur son fauteuil, une balle dans la tête. Mais le suicide est-il aussi évident qu’il y paraît ? On aurait cependant tort de s’attendre de la part d’Iris Murdoch à une intrigue réellement policière, cette ouverture n’étant que le prétexte pour présenter les hommes autour desquels va graviter une tribu.

En effet, la philosophe-romancière, au fil de ses livres, témoigne d’une prédilection pour ces familles élargies. Couple complice un tantinet libertin, veuve et divorcée soucieuses d’élever dignement leurs enfants, étranger rescapé d’une guerre, adolescents attendrissants dans leur furie pour échapper au mal-être de leur âge, vont traverser ensemble l’été dans une villa de bord de mer, épargnés ou au contraire touchés par l’enquête. Celle-ci est l’occasion d’une galerie de personnages un peu plus pittoresques sans être vraiment inquiétants (maître-chanteur, maîtresse jalouse, valet ténébreux).

En Pléiade, un Descartes généreux (par Pierre Windecker)

Ecrit par Pierre Windecker , le Mardi, 06 Mai 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Les Chroniques, Essais, La Une CED, En Vitrine

 

Œuvres, Tome I (1579 pages), Tome II (1561 pages), Descartes, Collectif, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2024, éditions préparées par Jean-Marie Beyssade, publiée sous la direction de Denis Kambouchner, choix de lettres par Jean-Robert Armogathe

 

En 2024, la Bibliothèque de la Pléiade a accueilli dans ses rayons de nouvelles Œuvres de Descartes. Elles prennent le relais de celles de l’édition André Bridoux qui datait de 1937.

Il faut saluer cet événement éditorial.

Ce qui fait la valeur originale de cette édition, c’est d’abord qu’elle s’adresse, autant qu’aux amateurs et connaisseurs de Descartes, à ceux qui – philosophes ou non – ne le sont pas (ou pas encore) particulièrement.

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 30 Avril 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman, Métailié, En Vitrine

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto, Métailié Suites, 2013, trad. portugais (Mozambique), Elisabeth Monteiro Rodrigues, 236 pages, 10 € . Ecrivain(s): Mia Couto Edition: Métailié

Ce livre est d’abord le roman d’un lieu. D’un non-lieu plutôt, un trou hors du monde, un anti-espace suspendu nulle part. Jérusalem. Le nom dans son étymologie première : la Fondation. Ici, Dieu n’est pas le Grand Architecte, c’est Silvestre Vitalicio, c’est-à-dire, à peu près, la même chose. C’est le Jérusalem, dit Silvestre, où Jésus devrait se décrucifier. Et point final. Il a quitté le monde pour des raisons obscures, pour rejoindre l’autre côté dit-il, accompagné de ses fils, de son frère, d’un soldat, d’une ânesse nommée Jezibela. Plus qu’un désert, un rien, un manque, un tore dont les bords sont introuvables.

En écho, ces vers en épigraphe du premier chapitre.

J’écoute mais ne sais

Si ce que j’entends est silence

Ou Dieu (Sophia de Mello Breyner Andresen).

Pas de larmes, Caroline Tiné (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mardi, 29 Avril 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Albin Michel, En Vitrine

Pas de larmes, Caroline Tiné, Albin Michel, mars 2025, 288 pages, 20,90 € Edition: Albin Michel

 

« Le dernier chant au Père, qui n’écoutait jamais de musique, serait cet hymne magnifique au martyre de Jésus. Victoire est songeuse, elle n’a jamais été initiée à l’art, la culture ou la musique par le Père. Comme si la guerre d’Algérie avait occulté tout autre centre d’intérêt. Mais elle avait pris l’habitude d’aller errer au Louvre pour s’imprégner d’une infinie beauté ».

Pas de larmes est le roman d’un père, le Père disparu et donc retrouvé, sa stature, son élégance, ses mots, son histoire tumultueuse, irriguent ce roman, qui est aussi celui d’une terre aimée, qu’il a fallu quitter : l’Algérie. Ce roman est aussi l’histoire de Victoire, la fille aînée et préférée du Père, qui sera chargée de ramener ses cendres sur cette terre, qu’il a tant aimée. Pas de larmes nous conduit ainsi sur les traces d’une famille, dont le destin s’est étiré, jusqu’à casser, une famille éloignée de la guerre, qui va submerger l’Algérie, et l’irriguer de nostalgie.