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Cette semaine

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 30 Avril 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman, Métailié, En Vitrine

L’accordeur de silences (Jerusalém), Mia Couto, Métailié Suites, 2013, trad. portugais (Mozambique), Elisabeth Monteiro Rodrigues, 236 pages, 10 € . Ecrivain(s): Mia Couto Edition: Métailié

Ce livre est d’abord le roman d’un lieu. D’un non-lieu plutôt, un trou hors du monde, un anti-espace suspendu nulle part. Jérusalem. Le nom dans son étymologie première : la Fondation. Ici, Dieu n’est pas le Grand Architecte, c’est Silvestre Vitalicio, c’est-à-dire, à peu près, la même chose. C’est le Jérusalem, dit Silvestre, où Jésus devrait se décrucifier. Et point final. Il a quitté le monde pour des raisons obscures, pour rejoindre l’autre côté dit-il, accompagné de ses fils, de son frère, d’un soldat, d’une ânesse nommée Jezibela. Plus qu’un désert, un rien, un manque, un tore dont les bords sont introuvables.

En écho, ces vers en épigraphe du premier chapitre.

J’écoute mais ne sais

Si ce que j’entends est silence

Ou Dieu (Sophia de Mello Breyner Andresen).

Derborence, Charles-Ferdinand Ramuz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Avril 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset, En Vitrine

Derborence, Charles-Ferdinand Ramuz, Les Cahiers rouges Grasset, 180 pages, 7,95 € . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz Edition: Grasset

 

C’est la montagne qui est tombée.

Et c’est l’ordre du monde, extérieur et intérieur, qui est changé à jamais. Les géologues diront que cent cinquante millions de pieds cubes se sont détachés de la montagne pour s’effondrer sur Derborence. Mais ça, ce ne sont que des pierres qui tombent, une force prodigieuse qui écrase tout ce qui entrave sa course, un phénomène physique obéissant à la loi de la gravitation universelle. Ça tue, enferme, mutile mais ce n’est pas le pire. Le pire est malédiction, réveil des forces du Mal. Ramuz nous a déjà entretenu du Mal tapi dans la montagne avec sa Grande Peur. Il est encore là, Lui, le Diable sûrement. Celui qui tue et enferme les âmes pour les condamner à la souffrance éternelle.

La Ligne, Aharon Appelfeld (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 01 Avril 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, L'Olivier (Seuil), En Vitrine, Israël

La Ligne, Aharon Appelfeld, Editions de L’Olivier, mars 2025, trad. hébreu, Valérie Zenatti, 172 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Erwin Ervin, c’est le prénom du personnage principal du livre, et le vrai prénom de l’auteur.

A bord de trains improbables, Erwin emprunte année après année le même circuit.

Quel est son métier, son emploi, sa quête ? Qui sont ses « associés », ses « collaborateurs » qui sont avec lui de loin ? Qui sont ses « concurrents » ? Quelles affaires se trament tout au long de ce parcours, toujours le même, qu’il refait, partant toujours le même jour de l’année ?

Des gares où presque tout a commencé : « C’est dans cette gare reculée que les Allemands nous ont conduits et abandonnés. (…) Mon étrange vie a commencé ce matin-là, et il me semble parfois que tout est figé dans ce matin. La mort comme la résurrection y sont ternes. Personne n’avait exprimé de joie. Tout le monde était pétrifié » (p.16).

L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, D.H. Lawrence, Bibliothèque de la Pléiade (par Luc-André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Mardi, 25 Mars 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, En Vitrine, La Pléiade Gallimard

L’Amant de Lady Chatterley et autres romans, D.H. Lawrence, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 2024, 1281 pages, 76 € . Ecrivain(s): D. H. Lawrence Edition: La Pléiade Gallimard

 

David Herbert Lawrence (1885-1930) fait partie de ces écrivains dont un seul titre masque l’ensemble de l’œuvre. En l’occurrence, L’Amant de Lady Chatterley, sa célébrité de scandale, sa condamnation, les polémiques et les malentendus émis à son sujet ont entravé non seulement la bonne lecture du roman, qui ne sera disponible intégralement que trente ans après sa première publication en 1928, mais aussi la connaissance du reste des écrits de Lawrence, qui est considérable. Poèmes, romans, récits, essais, articles, correspondance, c’est en vérité au « continent Lawrence » que l’on a affaire et que la « Cambridge Edition » lancée en 1980 a peu à peu révélé au prix d’un travail titanesque (40 volumes en 2018).

L’entrée aujourd’hui de Lawrence dans la Bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, avec tout l’appareil critique qui lui est propre, après celle de James Joyce et de Virginia Woolf, ses contemporains, donne ainsi l’occasion pour le public français de le lire vraiment et peut-être, finalement, de le découvrir ou redécouvrir.

La Lettre Écarlate (The Scarlet Letter, 1850), Nathaniel Hawthorne (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Mars 2025. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

La Lettre Écarlate (The Scarlet Letter, 1850), Nathaniel Hawthorne, Folio, 1977, trad. américain, Marie Canavaggia, 368 pages Edition: Folio (Gallimard)

Écarlate est ce roman, comme la braise qui scintille dans les yeux de la mère sous l’opprobre, et ceux de la fille dont on ne sait si elle est fille de Dieu ou du Diable. Cet ouvrage brûle les doigts et ouvre la route qui mène au torrent de lave incandescente qui irrigue la littérature gothique américaine. Ce roman est un moment-clé de la littérature d’Outre-Atlantique qu’il place à tout jamais sous le thème du combat du Bien et du Mal, du péché et du remords, du châtiment et de la rédemption.

Le génie de Hawthorne est de brouiller sans cesse les lignes, d’éviter radicalement le pathos de la lutte entre le Bien et le Mal pour nous emmener dans des territoires effrayants où la morale ne trouve plus ses repères. La tentation est forte de prêter aux Puritains inquisiteurs les pires penchants mais jamais dans le roman ils ne seront les seuls acteurs du Mal, de même que la femme qui subit l’infamie de la lettre écarlate ne sera – ni elle ni sa petite fille – l’incarnation pure du Bien. Les traits se mêlent, s’entortillent, en un combat douteux dirait Steinbeck, allant jusqu’à superposer les images symboles. Ainsi la madone qui prend forme dans la femme honnie et exposée à la vue d’un public hostile :