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Jeunesse sans Dieu, Ödön von Horváth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 05 Juillet 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Editions Sillage

Jeunesse sans Dieu (Jugend ohne Gott, 1938), Ödön von Horváth, trad. allemand, Marion Roman, 155 pages, 11,50 € Edition: Editions Sillage

 

Le désespoir qui suinte de chaque ligne de ce beau roman de von Horváth est d’autant plus poignant qu’il n’est pas ostentatoire, qu’il ne s’exprime pas du tout en plaintes ou invectives. Le drame historique qui se joue en fond de tableau – on devine la montée du nazisme – gronde, menace, agit sur les consciences et les actes des personnages mais en presque silence, comme un poison lent qui peu à peu détruit l’organisme, inexorable.

Le poison est dans les têtes et les discours de ces jeunes élèves du « professeur », nous n’aurons jamais leurs noms, juste des lettres de l’alphabet N. Z. T. G. W., une litanie de personnages sans nom qui donne à la présence de ces jeunes gens un aspect fantomatique, comme des ombres vides et menaçantes. Les rédactions des élèves résonnent des discours de la radio d’état, s’en font la réplique sinistre. « Tous les nègres sont perfides, lâches et paresseux ». L’effarement s’amplifie encore quand le professeur fait une remarque, pourtant retenue : « généralisation absurde » et qu’il est dès le lendemain objet de réprimandes de sa hiérarchie et du père de l’élève.

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914, Tome IV 1914-1924, Franz Kafka (La Pléiade)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 28 Juin 2022. , dans La Une Livres, En Vitrine, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Correspondance, Biographie, Langue allemande

Journaux et Lettres, Tome III 1897-1914 (66 € jusqu’au 31/12/22), Tome IV 1914-1924 (75 € jusqu’au 31/12/22), Franz Kafka, Bibliothèque de la Pléiade, mai 2022 . Ecrivain(s): Franz Kafka Edition: La Pléiade Gallimard

 

Cette précieuse édition des Journaux et Lettres de Kafka propose une re-traduction complète de textes essentiels dans l’œuvre du maître praguois. Exercice très délicat, s’agissant de restituer en français des écrits en allemand, mais venant d’un homme qui n’est pas un germanophone natif, dimension souvent oubliée mais qui pose néanmoins de vraies questions aux traducteurs car Kafka n’était pas toujours sûr de son allemand. Son génie intuitif lui permettait de toucher juste, de trouver la formule forte, la nuance délicate, mais parfois au prix de quelques torsions linguistiques. Alexandre Vialatte, le traducteur historique de Kafka pour Gallimard, se laissait souvent piéger et s’affranchissait régulièrement du texte original, avec certes talent, mais un peu de désinvolture. Le germaniste Jean-Pierre Lefebvre dirige ici une équipe de sept traducteurs et le résultat de ce travail titanesque est formidable, à la fois précis et d’une grande élégance.

D’os et de lumière, Mike McCormack (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Juin 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Points

D’os et de lumière (Solar Bones, 2016), trad. anglais (Irlande) Nicolas Richard, 275 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Mike McCormack Edition: Points

 

Nul point, de bout en bout, une phrase unique qui serpente, s’enroule, revient sur elle-même, se déploie de nouveau, se rompt, reprend, va crescendo puis descend, métaphore d’une vie d’homme, volonté d’un auteur d’embrasser tout ce qui la compose, jusqu’au moindre détail, projet panoptique qui se refuse à laisser au hasard la moindre nuance. Tel est ce roman d’un homme – le narrateur – qui se souvient dans un flux de mémoire intense qui le ramène aux sensations même éprouvées alors. Capturer le temps passé dans les mailles de la phrase, lui donner son épaisseur réelle, le restaurer dans le présent, c’est la folle aventure de ce roman puissant et captivant.

La phrase de McCormack se déploie aussi comme une tentative de capter l’histoire particulière dans son articulation à l’univers. Marcus Conway, le narrateur, n’est pas seulement ingénieur du bâtiment par profession, il l’est aussi par invasion de son être : rien, ni objet, ni fait, ni affect, n’échappe à sa passion de la construction, à sa conception du monde qui veut que tout élément soit forcément un morceau d’un tout, jusqu’au grand tout.

La Femme de Villon, Dazai Osamu (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Juin 2022. , dans La Une Livres, Japon, Les Livres, Critiques, Nouvelles

La Femme de Villon, éditions Sillage, 2017, trad. japonais, Paul Anouilh, 61 pages, 6,50 € . Ecrivain(s): Osamu Dazai

 

Ce tout petit volume contient une magnifique nouvelle, un condensé époustouflant de fiction littéraire. La narratrice n’est jamais là où nous l’attendons et la puissance de ce court récit émane de ce décalage de l’histoire, des personnages, des énonciations. C’est ravissant, tonique, et c’est par-dessus tout un vibrant hommage à la poésie et à la littérature. Et encore Huzza ! pour les éditions Sillage qui ne cessent de nous dénicher des joyaux, de Thomas Wolfe à Cassola ou à Zamiatine.

Notre héroïne et narratrice a épousé un brillant poète, universitaire, conférencier. Toutes raisons pour être heureuse de son sort sauf que le bonhomme Otani est un joyeux luron, ivrogne, voleur, coureur, adepte du couteau à cran d’arrêt. Le lecteur français voit déjà une ombre se découper, celle d’un voyou bien aimé, poète et bandit. Nous apprenons d’ailleurs que Otani donne des conférences sur l’œuvre de François Villon.

De pauvres taverniers – spoliés par ce diable – viennent se plaindre à l’épouse et surprennent le mari chez lui.

Le semeur de peste, Gesualdo Bufalino (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 31 Mai 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Cambourakis

Le semeur de peste, Gesualdo Bufalino (Diceria Dell’Untore, 1992), trad. italien Ludmilla Thévenaz, 205 pages, 10 € Edition: Cambourakis

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,

Et d’un grand crucifix décoré seulement,

Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,

Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

 

(Baudelaire. Les phares)

 

Clairement, ce roman plonge ses sources dans un moment essentiel de la vie de son auteur. En 1943, Bufalino fut capturé par les Allemands, réussit à s’évader, et contracta quelque temps plus tard, en 1946, une grave tuberculose qui le conduisit dans un sanatorium près de Palerme. C’est cet épisode terrible, l’enfermement médical qui constitue le cadre de roman, sa source, son inspiration.