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Roman

Les Idylles de la complicité, Carl Watson (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA

Les Idylles de la complicité, Carl Watson, éditions Vagabonde, mars 2023, trad. anglais (USA), Brice Matthieussent, 244 pages, 19,90 €

 

« Tout émoustillé, je m’approchai. Cette femme avait un ego qui chassait comme une tentacule. Elle avait aussi un serpent à la place de la langue, un accent de South-Side à faire fondre l’asphalte, de délicieuses lèvres couleur prune ainsi qu’un chignon au-dessus de petite lunettes noires en forme d’amandes qui allaient très bien avec l’ovale de son visage ».

« Nous étions dans les années quatre-vingt et les conflits fantasmés flottaient dans l’air du temps ».

Les Idylles de la complicité est un étourdissant roman d’amour, de joies et de peines, où Frank le narrateur, et Sophie sa destinée amoureuse, vont mettre leur passion aux risques d’un voyage en Inde. C’est tout d’abord à Chicago qu’il rencontre son double volcanique, ce qui se noue entre eux va ressembler à un roman de colères et de disputes, à une comédie romanesque et virevoltante comme seul Hollywood savait en écrire.

Betty, Tiffany McDaniel (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, USA, Gallmeister

Betty, Tiffany McDaniel, éditions Gallmeister, 2020, trad. américain, François Happe, 480 pages

 

J’ai volontairement laissé le livre derrière moi. Pour ne pas être tentée de le citer, par passages. Pour le plaisir de la décantation. J’ai repensé aux toiles d’Anselm Kiefer qui vivent à l’extérieur, des jours, des mois, des années sans que le peintre ne les retouche. Afin que toute chose du monde s’y dépose. Pour l’empreinte et l’altération. Ou l’innocence corrodée.

Le livre est resté aux Samoa américaines. Sur l’île de Tutuila où je suis restée trente jours. Et je n’ai pris aucune note. J’ai voulu me souvenir. Page après page. Du visage de Betty. Comme celui de chaque femme et de chaque homme, aux Samoa, qui ont placé entre mes mains un fragment de leur île. J’ai songé à Betty, à son enfance relatée, ses pages d’écriture. À tout ce que l’on enfouit, ce que l’on apprend et qu’un voyage désapprend. Ou confirme. Le début. La fin. Trop précipité ou trop autoritaire.

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 14 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique

Les Femmes de Bidibidi, Charline Effah, Éd. Emmanuelle Collas, août 2023, 222 pages, 19 €

 

Le titre d’une nouvelle, du Nigérian Chinua Achebe, revient à l’esprit comme une expression qui résume ce troisième roman de Charline Effah : Femmes en guerre (Girls at War). La guerre en question chez Chinua Achebe est celle du Biafra (1967-1970), et le romancier traite de la particularité du sort de la femme dans une telle situation. Au sujet des Femmes de Bidibidi, pour être exact, le mot guerre doit être au pluriel. Guerres civile puis interethnique au Soudan et leurs corollaires terribles, et aussi guerres dans le couple, guerres pour respirer, pour exister aux côtés de l’autre, guerres de prédation contre les femmes – deux sortes de guerres donc comme l’énonce la narratrice du roman, « celles des armes et celles de la dignité ». Les guerres des armes sont fracassantes et collectives ; elles n’éteignent pas, n’interrompent ou ne suspendent même pas une seconde les guerres de la dignité individuelle, bien au contraire.

Conversations avec le maître, Cécile Wajsbrot (par Laurent Fassin)

Ecrit par Laurent Fassin , le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Denoël

Conversations avec le maître, Cécile Wajsbrot, Denoël, 2007, 176 pages Edition: Denoël

(premier roman du cycle intitulé Haute Mer*)

 

Cécile Wajsbrot interroge notre monde. Depuis son premier roman, un clair hommage à Virginia Woolf, ses préoccupations font écho aux bouleversements dont l’humanité, pour une large part, doit être tenue pour responsable. Afin d’en rendre compte, la nécessité qu’elle ressent de la littérature l’a conduite aussi bien à privilégier la forme romanesque qu’à ouvrir de nouveaux champs au profit de celle-ci. Ce faisant, son écriture intériorisée appréhende béances et tumultes face auxquels notre conscience – exposée aux émotions les moins maîtrisables, aux épreuves les plus menaçantes – cherche à se frayer un chemin.

L’imposant volume intitulé Haute Mer, conçu à la manière d’un cycle (la veine créatrice au risque de l’assèchement, de la disparition ou de l’oubli en constituant la trame) réunit cinq de ses opus, lesquels ont d’abord paru séparément : Conversations avec le maître (2007), L’Île aux musées (2008), Sentinelles (2013), Totale éclipse (2014), Destruction (2019). « Chacun de ces romans, écrit Cécile Wajsbrot dans son avant-propos, est comme l’île d’un archipel en haute mer… ».

Campagne, Raymonde Vincent (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 12 Septembre 2023. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Campagne, Raymonde Vincent, éditions Le Passeur, Coll. Les Pages Oubliées, mai 2023, 291 pages, 19 €

 

Le temps qui passe, le temps qui rythme l’activité et la vie, la rencontre, la concentration des forces et des vies humaines et de la vie de la nature.

Dans ce microcosme où les distances sont allongées par l’économie des moyens de transport, Marie vit jusqu’à son adolescence avec sa grand-mère jusqu’au jour où, la guerre s’annonçant, la vieille femme est emmenée avec petite-fille et bêtes, un peu contre son gré, tout à fait à contrecœur, chez des cousins lointains. Car ici, l’espace s’enclot, se referme sur êtres et bêtes. L’éternel retour des choses aboli par ce chemin qui s’ouvre peu à peu aux regards de Marie, sonne aussi comme un adieu à l’avant :

« Qu’y avait-il, là-bas au tournant du chemin, dont les hautes herbes semblaient défendre l’approche ? Tout était changé ; ces arbres, ces fougères, ce sentier frais, ces choses si familières, si quotidiennes, Marie croyait les voir pour la première fois. Brusquement elles avaient l’apparence de ces paysages dans les contes de fées que sa grand’mère lui disait parfois ; (…) La voix de Robert qui l’appelait fit rebrousser chemin à Marie » (p.38).