Les petits farceurs, Louis-Henri de La Rochefoucauld (par Philippe Chauché)
Les petits farceurs, Louis-Henri de La Rochefoucauld, éd. Robert Laffont, août 2023, 226 pages, 20 €
Edition: Robert Laffont
« Les maudits, pourtant, ne mènent pas la grande vie. On ne peut pas avoir le spleen et l’argent du spleen. J’ai compris à son contact que je ne serais jamais quelqu’un. Je n’étais pas animé par la même énergie, ni par cette envie d’en découdre. Avoir eu des ancêtres bien placées à la Cour m’avait appris qu’il faut fuir une lumière trop éclatante, la disgrâce n’est jamais loin ».
Les petits farceurs est le roman d’un moraliste qui s’immerge armé de l’art du roman dans une nouvelle Cour, celle des maisons d’édition. Les petits farceurs trouve sa source au cœur de l’amitié entre deux jeunes étudiants, Henri qui devient le narrateur de ce roman, et Paul qui rêve de célébrité romanesque et qui y perdra son talent, ses rêves et sa vie. Henri va un rien gâcher sa carrière universitaire, préférant écrire dans Avant-Garde, un magazine qui « ne parlait que d’artistes louches dont je ne savais rien et de phénomènes générationnels encore plus improbables », il ne va pas y faire fortune mais bien s’y amuser, comme dans une comédie des Marx Brothers.
Paul, son ami d’études, va écrire son grand livre, Le Roman national, qui ne va pas bouleverser l’édition, comme si l’art du pastiche passait inaperçu. Mais il va triompher dans celui de nègre pour des auteurs à succès en panne d’idées, un mot qui déplaît à l’éditeur, préférant partenaire de jeu. Et ce partenaire intrépide ne manquera ni d’idées, ni de savoir-faire, et les livres qu’il écrit sans les signer seront des succès, de beaux succès, et au bout du compte une bien belle farce, que suivra à la lettre son ami Henri. On croisera dans ce réjouissant roman un éditeur adepte de la grande comédie, des auteurs célèbres en perte d’inspiration, quelques tricheurs et pique-assiettes littéraires, tout un beau monde de précieux ridicules qui ne déplairait pas à Saint-Simon, s’il avait la bonne idée de réapparaître par exemple lors des obsèques du truculent et obséquieux patron des éditions Marcillac.
« Tout Paris s’était déplacé : éditeurs et écrivains, pique-assiettes et traîne-savates, amis et adversaires, pestes et choléras, mines décomposées et visages refaits, éditorialistes bien en cour et pigistes très à découvert, ministres, anciens ministres et personnalités oubliées du monde politique dont on se demandait de quoi elles vivaient – venaient-elles dans l’espoir de croiser quelqu’un qui saurait leur trouver quelque planque dorée ? ».
Écrire à la place des autres, sans que presque personne ne le sache, n’est pas pour Paul une planque dorée, mais, et on le découvre dans le roman, un chemin de croix, et il finira sacrifié, après avoir perdu la joie et la folie qui habitait ses jours et ses soirées d’étudiant. Louis-Henri de La Rochefoucauld, dont on connaît la vive passion pour les stylistes, réussit une fois de plus un roman brillant, hilarant, et touchant. Touchant par la fidélité qui lie Henri à Paul, et que Henri va reconstituer. Un styliste de caractère, comme on le dirait d’un vin, ou d’un alcool rare, qui manie une langue brillante, brûlante et ourlée d’humour, une langue piquante comme un piment des îles, lumineuse, éblouissante. Face à cette mêlée d’écrivains souffreteux et souffrants, sans style, à l’effrayante inspiration, se tiennent quelques auteurs uniques et inclassables, le style est leur savoir-faire, la composition, si chère à Philippe Sollers, leur signature, et Louis-Henri de La Rochefoucauld est de ceux-là.
« En vérité, qu’était-il ? Un ventriloque ? Un illusionniste ? Dans ce western que devenait l’édition, Paul se définissait en riant comme « un chasseur de primes », « un despérado littéraire », « un pistolero du traitement de texte ».
Philippe Chauché
On doit notamment à Louis-Henri de La Rochefoucauld : Les Vies Lewis (Léo Scheer), La Révolution française (L’Infini-Gallimard), Le Club des vieux garçons (Stock), et Châteaux de sable (Robert Laffont) :
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