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Les Chroniques

La Chanson de la beauté du temps, Zhai Yongming (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 27 Mars 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La Chanson de la beauté du temps, Zhai Yongming, éditions des femmes Antoinette Fouque, janvier 2023, trad. chinois, He Yuhong, 128 pages, 15 €

 

Modernité

Ce que je retiens de la poésie de la poétesse chinoise Zhai Yongming, c’est le mot de modernité. Car si l’on écoute la voix de Confucius ou celle de Lao Tseu, la prosodie classique, par exemple la poésie Kin, Yuan, Wei ou Han, l’on devine combien cette Chanson de la beauté du temps a de caractéristique, de singulier et de captivant. En ce sens, l’édition bilingue peut faire voir combien cette langue est soutenue, littéraire et riche d’idéogrammes recherchés sans pédanterie ; là l’opinion d’un simple lecteur du français.

Cette face moderne d’une Chine qui change – on le voit très bien depuis l’Europe –, cette espèce de voix unique rappelle celle de Sylvia Plath ou d’Anne Sexton, une tentative d’expression teintée de confessionalisme. La poète n’hésite pas à décrire des beuveries ou le goût légèrement âcre de rencontres de passage. Est-ce issu de la jeunesse de Zhai, qui devait aborder la trentaine lors des événements tragiques de Tian’anmen ?

Les Aurores boréales, George William Russell, dit Æ (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 24 Mars 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les Aurores boréales, George William Russell, dit Æ, précédé de Monk Gibbon, Rencontres avec Æ, et W. B. Yeats, Un visionnaire, Arfuyen, 2023, trad. anglais, Marie-France de Palacio, 216 pages, 17 €

 

Le grand poète W. B. Yeats a raconté (l’extrait se trouve dans ce livre, p.73) sa rencontre avec son futur ami Russell. Tout de l’homme y est dit en quelques lignes :

« Un jeune homme me rendit visite, l’autre soir, et commença à me parler de la création de la terre, des cieux et de bien d’autres choses (…) Je m’enquis de ce qu’il faisait et découvris qu’il était employé dans un grand magasin. Son plaisir, cependant, était de vaguer sur les collines en conversant avec des paysans à moitié fous et visionnaires, ou de persuader des personnes étranges à la conscience tourmentée de se décharger de leurs problèmes en lui en confiant la garde (…) La poésie qu’il me récita était pleine de sa nature et de ses visions. Parfois, elle parlait d’autres vies qu’il croyait avoir lui-même vécues en d’autres siècles, parfois des personnes à qui il avait parlé, les révélant à leurs propres esprits. Je lui dis que je désirais faire un article sur lui et son œuvre ; il me répondit que je le pouvais, à condition de ne pas le nommer, car il souhaitait être toujours “inconnu, obscur, impersonnel” »…

Le Chevalier vert, Iris Murdoch (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 22 Mars 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Folio (Gallimard)

Le Chevalier vert, Iris Murdoch, Folio, 1999, trad. anglais, Paule Guivarch, 736 pages, 12,60 €

 

Iris Murdoch, peintre-romancière de natures vivantes.

Les premières pages de ce roman qui emprunte son titre, Le Chevalier vert, au tableau accroché au-dessus du lit de l’une des protagonistes, Moy, font penser à une comédie romantique de cinéma, l’histoire d’une bande d’amis formée durant leurs études, et de leurs enfants. Les aînés ont autour de la cinquantaine ; les plus jeunes sortent de l’adolescence, Harvey, le fils unique de Joan Blacket, Aleph, Sefton et Moy, les filles de Louise Anderson. Le premier abandonné par son père lorsqu’il avait cinq ans, les secondes orphelines du leur, Teddy, à peu près au même âge, Clement Graffe, Bellamy James et Emil (malgré la réticence de son compagnon Clive) pallient cette double absence paternelle. Tessa Millen, jeune-femme engagée dans le social, les Adwarden, Cora Brock et Anax, le chien, complètent ce groupe soudé autant par la connaissance que chacun a des autres que par les secrets unissant plus intimement certains d’entre eux.

L’Offre des possibles, Alexandre Blaineau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 20 Mars 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

L’Offre des possibles, Alexandre Blaineau, éditions Milagro, décembre 2022, 96 pages, 12 €

 

Coalescence

Je trouve souvent en poésie, et ici c’est encore le cas, que le poème ressemble à l’eau d’un ruisseau, qui laisse entrevoir le visage du poète, ses attentes, ses questions et ses angoisses. Le portrait de l’intimité que dresse ce texte-là, s’apparente à ce qu’on appelle la coalescence, c’est-à-dire une superposition de miroirs renvoyant chacun à une réalité qui vient se fondre, se défaire et se refaire dans cette opalescence. On pourrait presque parler en ce lieu de miroir d’angle dont l’image scintille très rapidement, vient affleurer le livre comme sont capables de beaucoup de simplicité les haïkus japonais. Donc, une fulgurance, comme une truite dans l’eau vive d’un lac qui viendrait heurter les strophes aquatiques du livre. Oui, une rêverie de l’eau, que l’on connaît bien depuis Bachelard.

Traduire Hitler, Olivier Mannoni (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 14 Mars 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED

Traduire Hitler, Olivier Mannoni, Éd. Héloïse d’Ormesson, octobre 2022, 124 pages, 15 €

Peu satisfait de la mise en scène d’une de ses pièces en Allemagne, Éric-Emmanuel Schmitt fit remarquer que le Rhin ne marquait pas seulement une limite entre deux pays, mais entre deux civilisations. Dans la lignée d’Albert Kohn, Maurice Betz, Henri Plard ou Philippe Jaccottet (qui pouvait encore revendiquer d’autres titres de gloire), Olivier Mannoni est un des grands traducteurs depuis l’allemand, avec Bernard Lortholary ou Jean-Pierre Lefebvre. Il a notamment traduit (sous le titre Historiciser le mal. Une édition critique de “Mein Kampf”, un volume énorme et hors de prix) – parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fît – Mein Kampf, ce puits noir d’énergie négative dans lequel la langue allemande a disparu, selon la thèse polémique soutenue en 1959 par George Steiner (Le miracle creux, Langage et silence, Les Belles-Lettres, 2010, p.91-111). On sait ce qu’il advint. Stefan George, l’immense écrivain à qui Hitler avait proposé la direction de sa nouvelle Académie allemande de poésie (Deutsche Akademie für Dichtung), refusa avec mépris, s’exila et mourut fin 1933. D’autres grands écrivains quittèrent l’Allemagne : Thomas Mann, Stefan Zweig, Hermann Broch, Berthold Brecht, etc. D’autres encore (Ernst Wiechert, Ernst Jünger, Ernst Robert Curtius, etc.) se réfugièrent dans une « émigration intérieure » qu’on peut estimer parfois ambiguë, mais il est facile de les juger depuis son fauteuil et en vivant au milieu de conditions politiques (heureusement) différentes.