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Les Chroniques

Flush, Virginia Woolf (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mardi, 13 Décembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Folio (Gallimard)

Flush, Virginia Woolf, Gallimard Folio, octobre 2022, trad. anglais, Catherine Bernard, 136 pages, 2 €


Tout petit livre – une grosse nouvelle – qui a tout d’un grand livre, puisqu’à l’instar de la formidable Virginia, rien n’est sacrifié, ni l’histoire, ni les personnages, ni le style et l’écriture, juste parfaits. On est comme devant ces – anciens – livres pour enfants qui rabattaient un volet dépliant illustré particulièrement soigné sur l’histoire écrite en gros caractères. Car ce Flush se regarde, s’entend, se sent bien autant qu’il se lit…

C’est l’histoire de la plus sensible et émouvante histoire d’amour qui soit, celle qui lie un animal et sa maîtresse (ceux qui sont imperméables au genre passeront leur chemin). Flush est un cocker anglais, roux, issu des plus anciennes et nobles lignées d’épagneuls.

« De ce brun foncé qui au soleil se couvre d’éclats dorés ; ses yeux de candides yeux noisette, ses oreilles se finissaient en un gland, ses pattes fines s’ornaient d’un dais de franges, sa queue était large ».

La Valise vide, Kaveh Ayreek (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 12 Décembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

La Valise vide, Kaveh Ayreek, éditions L’Espace D’un Instant, février 2022, trad. du dari (Afghanistan), Guilda Chahverdi, 54 pages, 11€

 

Topographie

Disons, tout d’abord, que cette pièce écrite en dari ne tombe pas dans les clichés. Elle se déroule dans des lieux, qui, pour un simple lecteur, s’agglomèrent, agissent par coalescence. Sommes-nous dans un espace rêvé depuis l’Afghanistan, ou depuis l’Iran, ou encore depuis l’Europe ? C’est là que réside l’intérêt pour l’existence de ces quelques personnes, de ces quelques exilés. Car, au-delà de l’exil se trouve la souffrance. Des êtres déracinés, déterritorialisés, transplantés involontairement. Est-ce la terre natale qui envahit par vagues le lieu d’accueil où se trouve l’auteur (et surtout avec lui le lecteur ou le spectateur) ? Est-ce le désir d’être accueilli ? Est-ce la condition primaire de toute émigration ? Qu’en est-il de cette expatriation ? N’est-elle pas essentiellement un rêve de la terre originelle ? Il faut signaler aussi que ce livre est renseigné par la traductrice et par l’éditeur, même si le texte vaut pour lui-même sans autre explication. On sait donc qu’il s’agit d’une séparation, d’une coupure avec l’ascendance, du tiraillement du sang natif dans les veines de ces êtres de papier.

Vagabonde, Fumiko Hayashi (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 09 Décembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Vagabonde, Fumiko Hayashi, éditions Vendémiaire, septembre 2022, trad. japonais, René de Ceccatty, 192 pages, 20 €

 

Sans adresse

Fumiko Hayashi (1903-1951) n’a que 25 ans quand elle écrit Vagabonde. Ballottée « de lieu en lieu à travers tout Kyûshû », elle se sent prédestinée à errer, à l’instar de ses parents commerçants ambulants. Être vagabonde a une signification péjorative et discriminante particulièrement au pays du soleil levant, souvent synonyme de clochardisation (à la suite d’un parcours chaotique, d’une vie de fugitive), ce que l’on nomme aujourd’hui les SDF (sans domicile fixe).

Ce précieux journal-roman offre un descriptif des villes nippones, par exemple la ville de Nôgata, brumeuse, pluvieuse, « dont les corniches des maisons toutes brûlées semblaient bâiller obscurément, et dont les rues étaient parsemées de charbon qui crissaient sous les pieds », et un aperçu pathétique de la population : « ce n’était ici qu’un défilé de femmes maladives qui lançaient des regards perçants. Celles qui sortaient sous le soleil brûlant de juillet étaient vêtues de jupes sales et de vestes de coton léger sans manches ».

Sur les Cahiers Lautréamont N°4 (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 08 Décembre 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED, Revues, Classiques Garnier

Cahiers Lautréamont, n°4, sous la direction de Kevin Saliou, Classiques Garnier, septembre 2022, 364 pages, 42 euros

 

La mousson est passée sur la côte occidentale de l’Inde mais, en ce mois de novembre, de fortes pluies, de hautes vagues battent encore les digues et les pontons de Fort Kochi et de Vypeen. Nous nous promenons malgré le vent et les embruns. Et nous songeons, face à la mer agitée, à des apostrophes célèbres, cérémonieuses, chargées de littérature : « O vieil Océan… » (etc. : chacun connaît la suite). Cela tombe bien car, justement, rentré dans notre chambre, nous découvrons la quatrième livraison des Cahiers Lautréamont, sous la direction de Kevin Saliou, que viennent de publier les Classiques Garnier ; et nous les trouvons, comme les précédents, malgré la grisaille uniforme de la langue propre à ce genre de travaux, passionnants – pour les ducassiens et, nous l’espérons, pour les non-ducassiens.

Nous en retenons dix précisions ou clarifications capitales – à nos yeux en tout cas capitales :

De la Bible à Kafka, George Steiner (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 07 Décembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Les Belles Lettres

De la Bible à Kafka, George Steiner, Les Belles Lettres, Coll. Le Goût des idées, juin 2022, trad. anglais, Pierre-Emmanuel Dauzat, 212 pages, 15 €

 

Certains mélomanes et instrumentistes possèdent un don nommé l’oreille absolue. George Steiner fut, lui, ce qu’on peut appeler un lecteur absolu, capable de saisir les nuances les plus fines des grands textes, de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils cèlent. Comme Marc Fumaroli (né trois ans après lui, mais disparu également en 2020) et si différents que fussent les deux hommes et le champ de leurs curiosités (ils passèrent tous deux beaucoup de temps aux États-Unis, alors qu’aucun pays occidental n’est peut-être aussi éloigné des valeurs qu’ils incarnaient et défendaient), Steiner fut également un maître-écrivain, un penseur altier du texte, faisant peu de concessions à l’ignorance (parfois excusable, le plus souvent non) de ses interlocuteurs. Personnage intempestif au sens profond de l’épithète (l’allemand unzeitgemäss rend mieux la nuance), il transporta dans ses contrées et langues d’élection l’érudition foisonnante et scrupuleuse d’un monde disparu, celui des intellectuels juifs de l’Europe centrale.