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Les Chroniques

Poétique du silence, Stefan Hertmans (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 12 Septembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Gallimard

Poétique du silence, Stefan Hertmans, Gallimard, Coll. Arcades, mai 2022, trad. néerlandais, Isabelle Rosselin, 132 pages, 13,50 €

 

Bruissement

Qu’est-ce que le silence tout d’abord ? Fonctionne-t-il comme un impossible bruissement ? Quel rôle tient-il au sein du poème, celui de Paul Celan notamment ? Quelles en sont les conséquences ? Quelle forme la littérature prend-elle dans l’exercice de cette mutité fondamentale de tout travail d’écrivain, celle de la page blanche ? Le silence est-il borné par l’aphasie, par les voix sourdes du poète ? Toute littérature n’est-elle pas une relation, un échange entre le mot et l’absence de mot ? Et pour l’écrivain est-ce une dysphasie fondamentale qui hanterait la création littéraire, donc une sorte d’arrière-monde de langage invisible ; un langage qu’il faut trouver au sein de la vaste fureur de la langue ? La page écrite n’est-elle pas par définition un espace sourd, sans voix, pour le lecteur à voix basse également ? J’ai déduit l’ensemble de ces questions de ma lecture de cette poétique du silence de Stefan Hertmans.

Coupables, Ferdinand von Schirach (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun , le Vendredi, 09 Septembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Langue allemande, Folio (Gallimard)

Coupables, Ferdinand von Schirach, trad. allemand, Pierre Malherbet, 187 pages, 17,90 €


Dans son dernier recueil de nouvelles sobrement intitulé Coupables, Ferdinand von Schirach ne ménage guère son lecteur qu’il plonge dans l’opacité sans fond des motivations humaines, au cœur de la mécanique des affaires criminelles.

Avocat de la défense au barreau de Berlin depuis 1994, Ferdinand von Schirach sait de quoi il parle. Les événements qu’il relate, tous aussi sordides les uns que les autres, seraient restés de simples faits divers tout droit sortis des annales judiciaires sans le regard clinique et profondément humain à la fois de l’écrivain.

Au fil de ces quinze nouvelles, dont certaines donnent la nausée tant l’écriture, qui n’est pas sans rappeler celle d’Agota Kristof, du Michel Houellebecq d’Extension du domaine de la lutte, ou, au cinéma, de Bruno Dumont, est limée jusqu’à l’extrême concision, l’auteur traque, au-delà des seules questions de justice et de procédure, des vies sur le fil du rasoir, des vies qui se détraquent, des vies qui basculent jusqu’au point de non-retour, prises dans l’engrenage de sibyllines nécessités.

J.M.G. Le Clézio, militant de l’interculturel (Essai), Issa Asgarally (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 08 Septembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

J.M.G. Le Clézio, militant de l’interculturel (Essai), Issa Asgarally, Editions Le Printemps, 2020, 83 pages

 

Issa Asgarally, ami de JMG Le Clézio et exégète régulier de son œuvre, livre en cet essai une intéressante et pertinente analyse d’un des fondements spécifiques de l’écriture du lauréat du Prix Nobel, à savoir la récurrence de sa vision particulière, militante, de l’interculturel. L’origine de cette posture de l’interculturalité comme pilier de l’humanisme est d’abord familiale, ensuite conjugale. Le Clézio, né à Nice dans une famille d’origine mauricienne, cumule dès l’enfance la double culture créole et française. Tout jeune, JMG rejoint son père, médecin anglophone de nationalité britannique, au Nigéria, où il appréhende les cultures locales (L’Africain). Plus tard, il marchera, à Rodrigues, sur les traces de son grand-père mauricien, chercheur d’or, et se plongera dans l’environnement créole de cette île isolée (Le Chercheur d’or, et Voyage à Rodrigues).

Par ailleurs, par l’entremise de son épouse marocaine Jemia, et en sa compagnie, il part sur la piste des origines de sa compagne avec qui il partage un temps « le quotidien des Aroussiyine », dans l’extrême-sud du royaume, dans cette région aride et rude nommée Seguia El Hamra (Gens des nuages et Désert).

Relire Proust sur le tard (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 07 Septembre 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

On ne devrait jamais parler de « relire », car « lire » suffit à tout, quand bien même défilerait un bouquin, lu et relu, pour la énième fois. La découverte, l’histoire, le bruit des personnages et les tons du décor, le goût de l’écriture, sa musique, tout est nouveau, toujours, la première page ouverte, et la lecture démarrée, ce sport, cette nourriture, unique en son genre. Alors, relire, revisiter forcément autrement ? et qui plus est Proust !

Largement plus de cinquante ans, le fossé, entre une classe de seconde éblouie de littérature et aujourd’hui. « – Pour Proust, contentez vous d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs », avait dit le professeur à qui je dois tant, pas vraiment dans l’axe pourtant – nous étions si près de Mai 68 ! Du coup, « le » Proust de la liste – après avoir cédé le pas à Flaubert, Balzac, quelques Romantiques dont je me régalais alors, mélangés de Beauvoir, Sartre et déjà Camus – a-t-il été lu sans grand appétit, sans enthousiasme exagéré… – quelques crinolines sur les plages de Normandie, quelques états d’âme me semblant hors d’âge, voilà je crois la couleur proustienne qui m’était restée, guère plus, j’en ai bien peur.

Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 05 Septembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Une seule pierre dans la fronde, Jean Maison, éd. de Corlevour, mai 2022, 14 €

Force

J’ai lu d’un trait le nouvel ouvrage de Jean Maison. J’y ai vu une écriture serrée, dense, dominée, maîtrisée profondément et ouvrant sur un monde symbolique fort et capiteux. Car derrière cette expression qui semble flaubertienne, espèce d’écriture de gueuloir, l’on devine un univers spirituel lui aussi abouti, presque chantant de joie, une spiritualité simple et puissante. Le poète est occupé – à la fois comme un territoire occupé rendant prisonnier, habité par une prière et occupé à prier, à espérer – par ce que devient le poème. Jean Maison est occupé de l’esprit dans l’Esprit.

 

Un cheval de trait règne sur le monde

Tire un tombereau chargé d’éclats de silex

Et reflète sur le fer de la roue

L’enclos imaginaire de la voix