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Les Chroniques

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos (par Marc Wetzel)

, le Mercredi, 13 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED

La philosophie au risque de la préhistoire, Philippe Grosos, Editions du Cerf, mai 2023, 208 pages, 18 €

La philosophie est née au VI-Vemes siècles avant Jésus-Christ, sur la côte ouest (qui parlait alors grec) de l’Asie Mineure, pour des raisons historiques qu’elle n’aime pas trop (elle, pourtant, la spécialiste de la « raison ») détailler. On parle souvent de « miracle grec », et la philosophie s’en estime souvent – davantage que la géométrie, l’historiographie, la médecine, le théâtre, la politique etc., nés là en même temps qu’elle –, le prodige central, voire le maître d’œuvre. Elle se croit volontiers sortie de la cuisse d’un Logos jupitérien, et, pour parler franchement, la philosophie n’examine pas volontiers la raison de la Préhistoire parce qu’elle estime, au fond, que la raison même, avant elle, n’était que dans sa préhistoire ! L’auteur démonte cette prétention en faisant prendre, lucidement, à la philosophie le « risque » de saisir son propre enracinement préhistorique en général – et Néolithique en particulier. Un peu comme l’exégète honnête de la Bible remarquerait en passant que si la faute originelle relève encore de l’âge de la cueillette, le premier meurtre concerne sans transition, sans même y penser, ni a fortiori penser ce que la possibilité même de sa mise en récit même leur doit, les deux figures majeures du Néolithique (l’agriculteur Caïn et l’éleveur Abel) ; mais une théologie au risque de la préhistoire serait une tout autre affaire.

Les Murmures du ciel, ou quand revient Jeanne, Erik L’Homme (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 12 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Héloïse D'Ormesson

Les Murmures du ciel, ou quand revient Jeanne, Erik L’Homme, Éd. Héloïse d’Ormesson, mars 2023, 224 pages, 19 €

 

Chaque écrivain, même le moins doué des épigones, se considère à tort ou à raison comme unique (c’est fondamentalement vrai, comme pour tout être humain) et n’apprécie pas toujours qu’on le compare à un autre. Au risque assumé de le vexer (alors qu’il s’agit d’une comparaison flatteuse), Erik L’Homme évoque en sa dernière œuvre le Jean Raspail de L’Anneau du pécheur, ce roman magnifique sur une lignée spectrale et parallèle de Souverains Pontifes qui se serait déroulée depuis les papes d’Avignon et aurait survécu jusqu’à Jean Paul II. Mais, comme le demandait Raspail, qui peut dire si ces « antipapes », rejetés dans les limbes par l’historiographie pontificale, n’auraient pas été en des époques troubles les dépositaires authentiques de la succession apostolique (on sait que Jean XXIII Roncalli se divertissait à envoyer des cartes postales représentant la tombe de Jean XXIII Cossa, déposé par le Concile de Constance) ?

Supplique pour la fin des nuits sans lune, Laurence Fritsch (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 12 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Supplique pour la fin des nuits sans lune, Laurence Fritsch, Pierre Turcotte Éditeur, Coll. Magma Poésie, mai 2023, 78 pages, 9,99 €

Par « une sorte de loi de la gravité paradoxale » ainsi que la définit le poète argentin Roberto Juarroz qui en fait le parangon de son œuvre, l’existence des hommes incline inévitablement vers la chute et, symétriquement, ressent un élan qui la tire vers le haut. C’est ainsi que l’homme peut abîmer le précieux qui l’entoure, sans mesurer les conséquences de sa négligence ou ignorance ; et se ressaisir. La lune n’y échappe pas, ici victime d’effets néfastes, satellite de la Terre éloigné de nos attentions pour cause d’intempéries, de pollution lumineuse, par convoitise économique aussi ; là – en l’occurrence par la grâce de ce recueil – objet de nos soins.

Ce premier recueil de Laurence Fritsch, intitulé Supplique pour la fin des nuits sans lune, vise en effet à nous alerter par ses poèmes instantanés du danger encouru à laisser s’établir l’éloignement de la lune. Ces poèmes, certains chargés de mystère d’autres plus intimistes et porteurs souvent de plusieurs clés de lecture, tentent par leur trait fulgurant ou leur charge suggestive d’exaucer ce que l’auteur de Poésie Verticale, cité en exergue du recueil, évoque dans sa Treizième poésie verticale : « (…) interrompre tout ce qui s’écroule : / la lumière, l’eau, l’amour / la pensée, la nuit ».

Cristina, Paloma Hermine Hidalgo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 11 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Cristina, Paloma Hermine Hidalgo, Le Réalgar-Éditions, juin 2023, 80 pages, 12 €

 

Effloraison

Étrange livre de poésie qui souligne à la fois la présence de la nature, des fleurs, des plantes, des paysages et aussi d’une douleur venue de l’enfance, et peut-être d’une espèce de secret violent qui hante le sous-texte du recueil. C’est à un jardin d’Éden que nous sommes conviés, paradis d’avant et d’après la Faute. Car il y a du sang sur les bras du frère ou du père (?), des scènes qui suggèrent un état de sexualité infantile. Nous sommes décidément dans un monde proustien. La remémoration. Le souvenir habité comme état de l’être. Violence de la vie peut-être tout simplement. Je dis là l’explosion de la graine qui germe, cette « violence » amoureuse des périls.

Il baise mes oreilles, plonge la bouche pâteuse. Corps-à-corps avec l’anchois, le tabac fané. La carrière est béate de chaleur. La herse s’enfonce. Il m’enlise dans le foin, l’avoine, la nielle. La fauche me creuse, me prend. Aine, aisselles moites. La mort entre mes jambes est une brassée d’azur.

Ma passion Troyat (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Lundi, 11 Septembre 2023. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

C’était dans le début des années soixante ; un été méditerranéen ; je devais être autour de la quatrième. Une cousine fort cultivée, professeur,  de ces gens à qui on doit beaucoup tout au long de sa vie, m’avait donné trois chemins de lecture à l’ombre des arènes des Saintes Maries de la mer. Le premier Astérix ! Un San Antonio, mon premier du genre ! et… un Troyat (Les semailles et les moissons, annonçant 5 volumes, ce qui – déjà – n’était pas de nature à me rebuter.) Le tout fit date, et pas seulement dans mon été. Les Astérix – tous lus sans aucun manquement jusqu’à aujourd’hui, San A et son Berurier au camembert, peut-être moins longtemps – j’ai fini par me lasser du ton sentencieux et « monsieur je sais tout » de certains opus. Alors surnagea Troyat, une sorte de fidélité sans la moindre ombre ; un genre de couple littéraire qui marche. Une passion, à n’en pas douter.