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Les Chroniques

Brumes, Jésus-La-Caille, Rien qu’une femme, Francis Carco (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 27 Mars 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les « exploits », relatés par la presse à sensation, des marlous et autres pierreuses aux improbables surnoms faisaient rêver la toute jeune Mine imaginée par Colette dans L’Ingénue libertine. Ils ont fait, plus tard, la gloire d’un certain cinéma en noir et blanc. Ils peuplent aussi ces trois romans, publiés entre 1914 et 1935, par Francis Carco.

Les protagonistes ? Des Titine, Lulu-la-Parisienne, le Balafré et autres Fernande, comme dans l’hilarante scène sur la péniche des Tontons flingueurs. Mais ici, point de comédie. Des maquereaux, oui, hermétiques à la pitié et parfois beaux comme Gabin dans Pépé le Moko. Comme dans ce film, d’ailleurs, le drame l’emporte.

En effet, défaillances familiales, alcool, pauvreté, délinquance, prostitution, crime et taule forment un engrenage social broyant aveuglément les plus défavorisés. Les très jeunes protagonistes, aussi usés que leurs aînés suscitent, lorsque leur indigence affective par hasard se dévoile, l’étonnement de ceux qui les fréquentent sans vouloir ou pouvoir les sauver : « Quel être au monde n’a découvert, en cédant à son double, l’ivresse de se mêler à l’univers, de s’y confondre ? » (Brumes). Aucun d’eux, oubliés par la chance.

Devenir nuit, Marie Joqueviel (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 26 Mars 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Gallimard

Devenir nuit, Marie Joqueviel, Gallimard, Coll. Blanche, février 2024, 96 pages, 17 €

 

Toute poésie est comme une version de la fable du moi et du monde. Ici, « le monde ne demande pas à ce qu’on l’habite/ le monde ne demande rien/ sauf peut-être qu’on le regarde » (p.54), et le moi, qui veut savoir ce qui l’a permis, y est prêt, et attend le tarif. Le voici : pour regarder le monde, il lui faudra « devenir nuit ». C’est une mise exorbitante, mais donnant – peut-être – l’occasion unique, dans la foulée, de « devenir le monde/ une fois au moins/ avant de mourir » (p.58). Voilà un tel livre.

Avant d’aller vers ce qu’on ignore, la poète (dans la partie « Peuple du désastre », significativement à la fin) fait utilement le point sur ce qu’on sait. Nous savons, écrit-elle un peu sombrement, au moins trois choses (« nous savons » veut dire : nous nous mentirions illusoirement sur ces points). D’abord nous savons que « nous rêvons seuls » (nous n’avons de sommeil que celui donné par notre cerveau, et l’insomnie elle-même est sommeil manqué par notre cerveau, et lui seul).

Quitter la terre, Daniel Morvan (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 25 Mars 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Quitter la terre, Daniel Morvan, éditions Le Temps qu’il fait, janvier 2024, 140 pages, 18 €

 

Ambiguïté

Pourquoi ce titre : ambiguïté ? Parce que le poète est polarisé entre la campagne bretonne de son enfance et une formation universitaire à Paris, laquelle s’est avérée plus difficile, je suppose, que pour les Normaliens de cette époque ; ces élèves des Écoles Normales Supérieures eux restant non clivés par cette séparation (qui sait ?), ni suppliciés par cette double dague au-dessus de leur tête. Ce recueil, en tout cas, balance de la nostalgie à la révolte, de l’intelligence naturelle au savoir savant. Daniel Morvan, je crois, est aux prises avec une culpabilité inhérente à ce mouvement de balancier. Tout l’ouvrage tourne autour de cette question, celle du déclassement social et culturel, donc vers le haut depuis le bas, mais surtout sans surplomb, sans survol, seulement axé sur un approfondissement de ces deux natures. Pour tout dire, je crois que l’on peut parler de nœud gordien. Seul le lecteur probablement est à même de trancher cette corde.

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 20 Mars 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Roman, Grasset

Le Carnaval sauvage, Pierre de Cabissole, Grasset, janvier 2024, 216 pages, 20 €

 

« C’est maintenant, en revenant, que je prends conscience qu’il n’y a pas que les eaux qui stagnent sur ce parking : il y a aussi tous ces jeunes, ceux avec qui j’ai grandi. Ils croupissent mais l’ignorent. Ils ne sont pas responsables. Ils sont leurs parents. Ils sont leurs grands-parents. Bientôt ils seront morts sans avoir rien vu, rien compris, rien vécu. Après avoir gobé du vide, durant les décennies que leurs corps supporteront, on les foutra dans un trou. S’ils ne s’y sont pas jetés tout seuls. C’est pour ça que je suis revenue tirer Agnès de là, lui faire voir cet ailleurs que je connais, un monde qu’aucun regard ne contraint. Pas comme ici, en tout cas. Je suis là parce que je la désire, parce qu’en rêve je la serre nue dans mes bras… » (p.75).

Pierre de Cabissole, 43 ans, est scénariste, réalisateur de films d’animation, et natif (sincère, et lucide !) du Languedoc.

Mademoiselle Julie, August Strindberg (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mardi, 19 Mars 2024. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Pays nordiques, Théâtre

Mademoiselle Julie, August Strindberg, édition Ulf Hallberg, Coll. Folio/Théâtre, octobre 2023, trad. suédois, inédite, Alain Gnaedig, 240 pages, 8,90 €

 

« Dans ce drame, je n’ai pas essayé de faire quelque chose de nouveau – cela est impossible. J’ai seulement tenté de moderniser la forme selon les exigences que, à mon sens, les hommes de notre temps posent à l’art du théâtre ».

Ainsi s’exprime August Strindberg dans la Préface à Mademoiselle Julie, rédigée peu après la pièce et publiée dans le même volume en 1889. « Moderniser la forme », c’est être au diapason, dans cette ville de Copenhague où réside Strindberg et qui est alors surnommée la « Paris du Nord », avec ce que les auteurs français créent en ces années 1880, dans leurs romans ou sur scène, les exemples à suivre étant les Goncourt et Zola – avec lequel l’auteur suédois correspondra.