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Les Chroniques

Le Chemin de Jérusalem, Une théologie politique, Shmuel Trigano (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 04 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le Chemin de Jérusalem, Shmuel Trigano, Les Provinciales, avril 2024, 126 p. 15 €

Dans une conférence récemment traduite en français (Textes retrouvés, Gallimard, 2024), Jorge Luis Borges notait que la civilisation occidentale repose sur deux piliers : la Grèce et la Bible. Cela ressemble de prime abord à un de ces lieux communs dont les conférenciers assaisonnent à l’occasion leur propos, mais toutes les conséquences de cette situation n’ont pas été tirées. L’une fut déduite par Borges lui-même : malgré des rencontres occasionnelles avec la Grèce (notamment dans les livres sapientiaux), la Bible appartient à l’Orient. La rhétorique amoureuse du Cantique des Cantiques ne put ainsi être acceptée et « reçue » en Occident qu’aux prix de distorsions considérables.

La centralité et la primauté de Jérusalem sont une autre conséquence. Seule Rome (en tout cas ni Londres ni Paris) put rivaliser. Mais l’effondrement de l’Église catholique en Europe, alors même que renaissait l’État d’Israël (la concomitance des deux événements possède-t-elle un lien secret ?) a remis en cause le statut de Rome, qui n’est plus qu’une destination de week-end comme une autre, au même titre qu’Amsterdam ou Berlin. Lors des audiences hebdomadaires du pape François, l’immense place Saint-Pierre est aux trois-quarts vide.

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Mars 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Antonello de Messine, Une clairière à s’ouvrir, Franck Guyon, éd. L’Atelier Contemporain, octobre 2024, 102 pages, 14 €

Cette étude de Franck Guyon sur La Vierge de l’Annonciation d’Antonello de Messine, tableau datant d’environ de 1475, est bel et bien un livre parlant. Je dis cela à deux titres : d’une part, l’ouvrage parle de lui-même et de l’intelligence de l’auteur, et encore parlant d’autre part, car toute peinture n’existe que sujette à la parole (ou à la pensée dans la contemplation muette), le tableau ne se concevant que comme devant susciter du langage, des signes de langage, des outils de la pensée. Le tableau n’existerait pas sans cette compréhension langagière.

CET ÉVÉNEMENT A LIEU.

Il se produit fort humblement sous la forme d’un panneau de bois peint, haut de quarante-cinq centimètres et large de trente-quatre.

Le créateur de l’événement se nomme Antonello de Messine.

L’événement a lieu aux alentours de l’année 1476 ou 1477, après l’Incarnation.

Cet événement se nomme : Vierge de l’Annonciation.

Au plus près du jour, Jacquy Gil (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Février 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Au plus près du jour, Jacquy Gil, Éditions Encres Vives, Coll. Encres Blanches, janvier 2025, 32 pages, 6,60 €

 

« J’allais sous le soleil la tête enflée de lumière. Le vent écartait les herbes ; je m’étonnais d’être presque aussi vif que lui.

Trop belle était l’échappée pour n’appartenir qu’à la réalité ; je rêvais en courant, je courais en rêvant. Cela en ignorant tout de mon bonheur d’être.

Où que je me tourne, des prés venaient emplir mes yeux. C’était là comme un ciel dont on ne sait ni où il finit ni où il commence, pareil à celui que l’on voit à l’oculaire d’un télescope et qui multiplie les étoiles (p.15).

Au plus près du jour, c’est, ni plus ni moins, le programme de vie et d’action de notre poète.

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Jean-Paul Dubois (par Jeanne Ferron-Veillard)

, le Mercredi, 19 Février 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

Vivre ?

Lis Son odeur après la pluie, de Cédric Sapin-Defour, paru aux éditions Stock en 2023. Ajoute-le à ta quête et assieds-toi pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Il faut savoir s’assoir pour vivre. Il faut du lien pour tenir. Pour Dubois, ça passe aussi par la présence d’un chien. Sa figure sur la tienne. Et la mélancolie comme collier. Il faut et il ne faut pas. Entre terre et Canada, une ville aussi, Toulouse, Dubois joue avec ton nerf optique. Tes nerfs. Et toujours cette urgence entre les mots, pas pour les faire avancer plus vite, ou que l’histoire s’emballe ou tout autre effet pour te maintenir sous pression, non, rien de tout cela chez Dubois.

Dubois est là, il est honnête, sincère et élégant. Il ne s’écoute pas écrire. Le lien. Le cordon. L’espace entre les êtres. C’est cela qu’il fixe pour toi. Le reste, c’est du maquillage et ça coule toujours sous la pluie. Ce n’est qu’une question de temps.

Bénie soit ma langue, Journal intime, Gabriela Mistral (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 18 Février 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Amérique Latine, Poésie

Bénie soit ma langue, Journal intime, Gabriela Mistral, éditons des femmes-Antoinette Fouque, octobre 2024, trad. espagnol (Chili), Anne Picard, 270 pages, 23 €

Rencontre

Avec ce livre que publient les éditions des femmes-Antoinette Fouque, je me suis trouvé dans la position amie d’une rencontre, lecture provoquant une amitié littéraire immédiate et forte à propos, et d’une grande densité. Je dis ami avec toute la force de l’épithète, au sens presque littéral, rencontre de l’Autrui évangélique, découlant d’une connivence tacite avec l’œuvre de ces cahiers qui balaient l’existence de l’autrice de 1905 à 1956. Une fois cette confession faite, il reste à m’expliquer comme à moi-même comment je suis rentré dans ce texte.

Ces 18 cahiers proposent une découverte kaléidoscopique du travail de la poétesse chilienne, Prix Nobel 1945. Avec eux, nous sommes à mi-chemin du journal et de l’autobiographie, ce qui rend saisissants tous les détails d’une vie passée à devenir une poète. La durée, en quelque sorte abolie, décrit le récit d’une vie, d’une vie d’écriture, écriture qui se développe avec et pour la vie, énonce sans fard les aléas d’une femme pauvre ballottée entre les pays, la pauvreté et l’acrimonie de l’intelligentsia chilienne – ce qui fut particulièrement dur pour la sensibilité de Gabriela, victime de rumeurs qui la blessaient.