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Les Chroniques

Ma Poussière est l’or du temps, Lucien X. Polastron (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 07 Octobre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ma Poussière est l’or du temps, Lucien X. Polastron, Autobiographie de La Bibliothèque recueillie et mise en état par Lucien X. Polastron, usager, Paris, Les Belles Lettres, 2024, 192 pages, 23, 50 €.

À une époque où la rhétorique ne se réduisait pas seulement à une demi-douzaine de figures de style ânonnées laborieusement dans l’enseignement secondaire pour donner l’illusion de la technicité au milieu d’une immonde bouillie syntaxique, on appelait cela une prosopopée (« La prosopopée […] consiste à mettre en quelque sorte en scène, les absents, les morts, les êtres surnaturels, ou même les êtres inanimés ; à les faire agir, parler, répondre, ainsi qu'on l'entend », écrivait Fontanier). La prosopopée des lois dans le Criton de Platon et celle de Fabricius chez Rousseau en sont des exemples canoniques.

Dans une prosopopée vertigineuse, Lucien X. Polastron imagine de faire parler LA Bibliothèque ; pas UNE bibliothèque, si vénérable, prestigieuse et étendue soit-elle (la Mazarine, l’Inguimbertine, la Bibliothèque du Congrès, la British Library, …). Où naquit et grandit la première bibliothèque de l’Histoire ? Nul ne le sait. On peut supposer que ce fut dans ce que les historiens appellent le « croissant fertile ». Pierre, argile, papyrus, os, papier, … : de nombreux matériaux furent utilisés par les hommes pour transmettre des mots et des pensées qui, aujourd’hui encore, n’étaient pas toujours dignes de l’être.

La Joute, Richard Millet (par Claire Fourier)

Ecrit par Claire Fourier , le Lundi, 06 Octobre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La Joute, Richard Millet, Ed. Les Provinciales, 2025

 

La Joute est un livre de haute noblesse. Dans un monde de plus en plus plébéien, on se sent bien à lire un livre de patricien.

C’est un livre fouillé, dense. Non un roman porté par un scénario, mais un recueil de notes, cependant continu dans sa discontinuité. On peut en faire une lecture buissonnière, ou suivie.

C'est un livre sévère, difficile. Très abstrait pour explorer des choses très concrètes, parfois presque inhumain pour scruter des choses éminemment humaines, manquant un peu de chair pour sonder la relation charnelle. Un livre si resserré, si compact que par moments étouffant, et le lecteur alors se prend à soupirer : De l'air ! De l'air ! – Pour autant, mon attention ne s’est pas relâchée.

Qu’est-ce que la joute ? Beaucoup pensent spontanément à la joute qui opposait les chevaliers sous les yeux de la dame dont ils portaient les couleurs, et notamment à Henri II désarçonné par son adversaire dont la lance lui traversa l’œil, ce qui lui fut fatal, devant son épouse, Catherine de Médicis, et sa maîtresse, Diane de Poitiers.

Ainsi parlait Maître Eckhart (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 02 Octobre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Ainsi parlait Maître Eckhart - dits et maximes de vie choisis et traduits du moyen haut-allemand par Gérard Pfister, éditions bilingue, Arfuyen, 144 pages, décembre 2014, 13 €

 

Gérard Pfister, l'éditeur de cette collection, qui ici traduit et choisit les textes, l'écrit dans sa brève préface : Eckhart (1260-1328) n'a voulu toute sa vie (et son oeuvre) dire qu'une seule chose, simple et lancinante en nous tous - comme une unique phrase qui ne demande qu'à naître - d'autant qu'elle concerne exclusivement la naissance du coeur humain à lui-même (naissance mystérieuse bien qu'indéfiniment renouvelable) - mais qu'il y a normalement échoué : comme l'enfant qui nait échouerait à commenter ce qui lui arrive, comme la nudité échouerait tout autant à formuler le vêtement qu'elle est, ou comme, enfin et surtout, on échouerait à comprendre (à saisir même que quoi que ce soit y soit à comprendre) une phrase comme : l'homme est l'animal divin (et le Tout de la Présence est son maître). Car c'est bien ce que semble vouloir dire partout maître Eckhart : l'homme est l'être vivant dont l'ultime pointe de l'âme est divine, est Dieu lui-même (même si par ailleurs Dieu est par lui-même, alors que l'âme - hors de cet infinitésimal fond "incréé et incréable" d'elle-même - n'est que par Dieu). Mais justement : si le propre de Dieu est d'être par lui-même, et s'il y a une ultime région de l'âme humaine qui est Dieu, alors quelque chose de l'homme est par soi, et l'homme est bien, en cela, l'animal divin.

Griffes 23 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux , le Mardi, 30 Septembre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

 

Greta et Marguerite, Kalindi Ramphul. 2025, Lattes, 360 p. 20,90 €

Conseillé par Biba, je n’ai pas pu résister. Une autrice photogénique influenceuse. Une couverture qui sentait l’été. Et voilà (en Français dans le texte). « Toutes les histoires ne sont pas des histoires d’amour » affichait le bandeau. Dommage, comme d’habitude il a menti sur le contenu. Même si ############# (Pas de spoiler !). Un roman plein de vie et de surprises qu’ils disaient. Alors il y a trois narratrices à la première personne. Dont une qui s’exprime à 15 ans d’écart. Et ces narratrices sont, tu vois, super-opposées, comme dans noire (ou presque) et blanche. Et stricte et fofolle. Et pas du même âge. Mais tout bien construit, avec des personnalités bien définies, un peu comme dans World of Warcraft. L’histoire ? Un peu le genre saga familiale, mais avec beaucoup moins de personnages que dans les vieux livres un peu poussiéreux. On a donc une hôtesse de l’air, un mari ophtalmo, qui a une femme et une fille. Une rencontre bien sûr, et puis l’inconstant rencontre son destin un jour de tempête et les laisse seules.

Sagesse, Paul Verlaine, illustrations Maurice Denis (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 29 Septembre 2025. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Sagesse, Paul Verlaine, illustrations Maurice Denis, bois gravés, Beltrand, fac-similé, dossier par Jean-Nicolas Illouz, Clémence Gaboriau, éd. Gallimard, 176p., 2025, 35 €

 

Recherche de Dieu, recherche de formes

 

J’ai abordé le fac-similé de 1911, de Sagesse de Paul Verlaine illustré par le peintre Nabi Maurice Denis, avec simplicité. J’ai été un lecteur simple mais exigeant. J’y ai vu dès lors, une tentative de recherche de Dieu, cohabitant avec une recherche de formes. Que cela soit les xylographies de Maurice Denis, ou les sonnets de Verlaine, tout m’a confiné à une idée mystique, une idée de révélation spirituelle, à la fois sous la gouge de Denis qui nous porte vers une croyance articulée par l’église, et celle d’un choc de connaissance proche de Angèle de Foligno (plutôt d’ailleurs que de Maître Eckhart), confession poétique du poète messin. Peut-être l’iconographie du peintre Nabi est-elle en contradiction avec l’entreprise de révélation mystique du poète messin, car ce sont deux ordres de croyances distincts : la mystique et la pratique religieuses.