Identification

Articles taggés avec: Talcott Mélanie

Nuruddin Farah… le miroir brisé de la Somalie

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 05 Mars 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Nous n’avons souvent de la Somalie que la vision effarée et indifférente de sécheresses et de famines inévitables, de corps efflanqués vêtus de regards désemparés ou suppliants et de la mort qui en recueille les derniers râles silencieux tandis que la communauté internationale, une fois de plus, s’en émeut et se mobilise. Nous n’en connaissons que la rumeur violente, celle de Mogadiscio où les enfants jouent à la guerre et broutent du qat, tout comme ces adultes qui la font ailleurs encore et toujours, tirent sur un joint avant de tirer un coup assassin avec leur fusil d’assaut et leur sexe. Nous n’en avons souvent qu’une approximation géographique, quelque part là-bas en Afrique, terre d’ethnies, de clans et de tribus vindicatives et vengeresses, terre de razzias et de kidnappings islamisés, terre aussi de camps de réfugiés, devenus à force de longue patience blasée villes artificielles de baraques, de tôles, de carton, de corruption, de débrouille et de tous les maux, où agonisent lentement et durablement des milliers d’êtres humains sans identité. La Corne de l’Afrique est corne d’abondance de malheur et surtout d’oubli. Comment pourrait-il alors nous venir à l’idée qu’un Somalien puisse être écrivain ?

Sanguinaires, Denis Parent

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 13 Février 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Robert Laffont

Sanguinaires, janvier 2016, 372 pages, 21 € . Ecrivain(s): Denis Parent Edition: Robert Laffont

 

Sanguinaires de Denis Parent est un bon livre, bien écrit de surcroît. Ce n’est pas anodin de le souligner à une époque où la soupe littéraire nous réserve de piteux bouillons. Mais dire qu’un écrivain écrit bien, c’est une lapalissade, d’autant plus comme dans le cas présent, on parle de la plume d’un journaliste spécialisé dans le cinéma, scénariste et auteur de plusieurs ouvrages. Mais si c’est un bon livre, ce n’est pas néanmoins un grand livre. On est tous capables de conduire une voiture, mais il y a peu d’Ayrton Senna.

C’est un bon livre à plusieurs titres.

Denis Parent a du talent et un style tranché et bien trempé. Cela change des bouquins en mode clonage littéraire. Pas du surfait qui copierait du déjà fait. Non. Le sien porte à la fois l’effort du besogneux et le ciselage du talentueux. On sent qu’il gagne ses mots à la sueur de ses solitudes d’écrivain, noircies de mélancolie, de colères qui couvent sous les cendres de sa lucidité désenchantée qui ne demanderait cependant pas mieux que de s’émerveiller encore. De la bouteille et de l’étoffe. Une affirmation de soi qui s’impose par l’écriture. Chose rare à notre époque d’uniformisation de la pensée (entre autres).

Les petites filles, Julie Ewa

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 28 Janvier 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Albin Michel, Roman

Les petites filles, janvier 2016, 416 pages, 21,50 € . Ecrivain(s): Julie Ewa Edition: Albin Michel

 

 

Les Petites filles de Julie Ewa. De quoi s’agit-il ? D’une aventure de Bisounours en Chine. L’ingérence civilisatrice a droit de territoire et de certificat de bonne conduite partout, d’autant plus si ses prescripteurs, depuis le fameux French Doctor, sont des humanitaires. Prosélytes d’un manichéisme moraliste de Blanc, avec des idées de Blanc qui n’ont jamais souffert de la pauvreté, de la faim, de la guerre ou d’une quelconque violence étatique, les Occidentaux sont intimement convaincus « d’être les bienfaiteurs de l’humanité ! Vous débarquez avec vos ONG, ironise non sans acuité l’inspecteur Rong Zhou, l’un des personnages du livre, et vous vous immiscez dans la vie des gens, sans leur demander leur avis ». Une arrogance qui parfois prend les couleurs du politique ou des institutions qui les financent.

Aharon Appelfeld, une mémoire en miettes

Ecrit par Mélanie Talcott , le Jeudi, 21 Janvier 2016. , dans La Une CED, Les Chroniques

« La littérature ne doit pas essayer de retranscrire l’histoire mais de révéler la vérité au sein de la vérité. C’est la tension continue entre le particulier et le général qui donne l’œuvre. Le particulier seul ne donne que la mémoire ou l’histoire. Le général seul ne donne que la philosophie ou la sociologie. Seule la confrontation entre les deux permet d’écrire. Mon particulier aura été la catastrophe, le ghetto, la forêt, la mort aux trousses. Le général pour moi est l’homme qui souffre et qui cherche l’amour. Pour moi les mots ne sont pas des pierres, mais des êtres vivants », Appelfeld, juin 2011 à Toulouse.

 

L’inimaginable – et non pas l’indicible – ne se partage pas. L’horreur ne se dit pas, l’horreur se réfugie dans une omerta codifiée. Récente, elle est inaudible pour celui qui n’en a entendu que l’écho ou n’en a vécu que les frimas. La plupart se détourne des fantômes hébétés qu’elle a laissés derrière elle. Leur regard brûlé à jamais leur est aveugle. Il faut reconstruire, il faut se reconstruire et reconstruire signifie souvent oublier, passer à autre chose, s’étourdir, vivre enfin et faire comme si rien ne s’était passé. Certains vont jusqu’à affirmer qu’elle n’a jamais existé. L’abject ne peut être humain. D’autres qui ont la lâcheté plus objective, pensent sans oser le dire que si elle s’est abattue – en grande partie – sur le peuple juif, marquant de ses violents stigmates son particularisme et son individualité, c’est qu’il y a certainement des raisons, des raisons qui leur échappent, mais sûrement de bonnes raisons.

Le Moine de Képhas, Angelo Boschetti, Stepano Brasi

Ecrit par Mélanie Talcott , le Samedi, 09 Janvier 2016. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Toucan

Le Moine de Képhas, traduit de l’italien par Olivero Garlasseri 283 pages . Ecrivain(s): Angelo Boschetti, Stepano Brasi Edition: Toucan

 

Loin de Michel Houellebecq, Le moine de Képhas nous plonge dans une fiction vs prémonitoire. Assassinat d’un imam de la mosquée de Villeurbanne, rebellions musclées dans les banlieues, chars antiémeutes, arrestations, comparutions immédiates, explosions, attentats, victimes innombrables, gouvernement ahuri et débordé, président mutique au charisme mou, couvre-feu, plan Vigipirate écarlate. L’état de guerre est déclaré. Les politiques et hauts fonctionnaires de l’Etat – vieille école de l’ombre « le seul endroit où l’on peut encore penser avant d’agir contre la génération Sciences-Po, ENA, où l’on forme depuis quatre décennies des bans entiers de squales débridés, sans maître, sans foi, sans loi, qui iront diriger le pays comme on gère une banque, sous les feux de la rampe ; pas de réflexion, juste de l’instinct – pensent fissa et en coulisses d’abord à leur carrière qui file en quenouille, la menace terroriste créant l’opportunisme de leur montée ou de leur rétrocession en grade, avec pertes et profits de leurs passe-droits matériels et sexuels. Les décisions politiques se prennent en fonction de la courbe des sondages. L’équipe gouvernementale fictionnelle en caricature d’autres, récentes ou actuelles.